Craig Detweiler est cinéaste et chroniqueur réputé en matière culturelle. Il fait partie de ces artistes qui veulent promouvoir les valeurs positives issues du christianisme. Il réagit avec mesure à la publication de cette parodie de l’islam.
Par craigdetweiler
Qu'est-ce que les films chrétiens et les films porno ont en commun? Mauvais effets, production minable, et vous savez toujours comment cela va finir. C'est une blague racontée par plusieurs de mes amis cinéastes à Hollywood qui sonne remarquablement vraie dans l'Innocence des musulmans. Le scénario, les décors, l'éclairage, les cheveux, le maquillage, les vêtements sont tous terriblement ringards. Notons que le son de ce film est affreux et toujours une marque d'amateurisme. Un véritable monteur aurait complètement coupé le film, ne laissant aucune trace de cette ‘poubelle’. Comment une telle incompétence peut-elle avoir été emballée dans cette histoire presque incompréhensible? Et pourtant, ce film raté, baclé de quatorze minutes est probablement le film le plus important de l'année (avec des excuses à Paul Thomas Anderson, réalisateur de The Master ). Parfois le pire des médias peut submerger le plus beau, le plus fort et le plus valable des médias.
Comment les disciples de Jésus devraient-ils répondre à cette parodie? Commençons par la gêne et la honte. Comment quelque chose d'aussi vil et d'offensant a-t-il pu se faire par des gens qui prétendent servir le Fils de Dieu? Comment Jésus peut-il, lui, l'incarnation de l'amour, être traîné dans la boue et la fange qu'est l'Innocence des Musulmans? Ceci est fait à autrui sans aucune forme de respect et de responsabilité. Je comprends que les chrétiens en Égypte peuvent se sentir menacés par les bouleversements politiques récents. Les chrétiens coptes sont beaucoup trop familiers de la persécution religieuse. Et l'ascension des Frères musulmans en Egypte augmente leur peur. Mais quand on s'engage dans le blasphème flagrant à l'encontre de Mohammed, son discours ne peut être identifié qu'à un discours de haine. Et le discours de haine n’est jamais gratuit, il a toujours un coût.
De combien de façons les producteurs de cet erstaz ont-ils réussi à offenser ? Bien sûr, leur «film» inclut des scènes de Musulmans brandissant le sabre pour abattre un chrétien innocent. C'est simple et familier. Mais ces quatorze minutes douloureuses et ridicules sont répréhensibles : il tient le prophète comme illégitime, on le montre en train de manger du porc, on place son visage entre les jambes d'une femme, on désigne le Coran comme une fusion malheureuse de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament, on laissee entendre que le messager a couché avec des femmes mariées, qu’il aurait encouragé ses disciples à abuser sexuellement des enfants, etc etc etc etc ... Notre embarras et la honte devraient être suivis d'indignation.
J'ai mis du temps à réagir. Je ne veux pas ajouter une once d'huile sur le feu. Le fossé culturel entre la liberté d'expression occidentale et la bienséance islamique est si massif. L'Amérique est une culture post-blasphématoire. Je ne veux pas non plus conduire les gens à YouTube, à la recherche de cette «infraction». Elle est passée inaperçue au départ pour atteindre une audience mondiale de plus de 10 millions de clics. Bien sûr, la vidéo peut être utilisée à diverses fins politiques. Non, les gens ne devraient pas avoir déclenché une émeute sur un tel projet absurde. Un ambassadeur américain bâtisseur de pont en Libye n’aurait jamais dû périr parce que les fourbes "réalisateurs" ont essayé de fomenter une tempête. Un Nakoula Basseley Nakoula alias Sam Becile condamné pour fraude a commis un vol d'identité massif qui change une religion enracinée dans la grâce et l'amour en une arme de haine. Ainsi, la honte et l'indignation peuvent-elles être suivies par la douleur et le chagrin. Mon cœur se brise aussi pour les acteurs qui ont été dupés et doublés par les cinéastes. Nous devrions tous poursuivre Nakoula.
Merci à Dieu pour les Coptes orthodoxes comme le dirigeant Sa Grâce Mgr Sérapion de Los Angeles qui a parlé contre le film: «Les Coptes à travers la diaspora n'ont jamais participé à aucune humiliation ni à aucune violence contre ceux qui persécutent souvent les chrétiens. Ce n'est pas la manière chrétienne de répondre à la haine par la haine. Le christianisme interdit à un chrétien de tels actes », a déclaré Sérapion. «Si brûler la Bible est une mauvaise chose, alors brûler un livre vénéré ou respecté par les autres est tout aussi mauvais. Vouloir blâmer en bloc les Coptes pour la production de ce film c'est comme si on blâmait en bloc les Musulmans pour les actions de quelques fanatiques. Même si les chrétiens sont souvent confrontés à la persécution, à l'injustice et à des appels sur les ondes à des attaques ouvertes, nous rejetons la violence sous toutes ses formes». Les appels à la paix émanant de mes collègues musulmans sur Patheos ont également été source d'inspiration. Ils reconnaissent qu'il reste beaucoup à faire en matière d'éducation dans le monde musulman.
Je suis reconnaissant pour les entreprises comme les médias ethnographiques qui produisent des documentaires aux visées pacifiques comme Little Town of Bethlehem . Des chercheurs tels que Miroslav Volf écrivent des livres audacieux et novateurs qui rassemblent les gens, malgré des pratiques religieuses différentes. J'ai investi trois ans dans les Songs for Peace Project , en collaboration avec des Musulmans et des Chrétiens au Liban et en Indonésie, qui partagent des valeurs communes et une musique remarquable. J'ai été béni par ces amitiés forgées avec des Musulmans du monde entier. Et pourtant, tous ces sages efforts, ces efforts mesurés et encourageants peuvent être annulés en ces lamentables quatorze minutes.
Nous avons prié pour que la violence cesse. Nous attendons que la colère s'apaise. Nous aspirons à un monde où l'art renforce la bénédiction plutôt que le blasphème. Nous n'allons pas éliminer la haine de ce côté du paradis. Mais la créativité et la guérison peuvent découler de la douleur et de la stupidité.
20 septembre 2012
traduction eemni, publication avec l’autorisation de l’auteur
eemni