Le Vatican a pris le risque mardi de faire régresser le dialogue oecuménique en niant aux Protestants la qualité d'Eglise et en réaffirmant la primauté de Rome.
Deux jours après la béatification déjà fort controversée de Pie IX, le pape accusé d'obscurantisme et d'antisémitisme, la Déclaration "Dominus Jesus" (Seigneur Jésus) laisse entendre en substance que le "chemin" du salut passe par l'Eglise catholique, apostolique et romaine.
Cette réaffirmation de l'universalité exclusive de l'Eglise catholique semble en apparente contradiction avec l'action de Jean Paul II qui s'est efforcé tout au long de son pontificat de promouvoir l'oecuménisme et le dialogue interreligieux, notamment lors de ses nombreux voyages à travers le monde. Dans la foulée, le Cardinal Ratzinger, préfet de la congrégation vaticane pour la Doctrine de la Foi, faisait publier dans la revue romaine Adista une note adressée initialement aux évêques catholiques allant dans le même sens: toutes les Eglises ne sont pas égales entre elles. Les Eglises qui n'ont pas «d'épiscopat et n'offrent pas un accès substantiel et intégral au mystère de l'eucharistie» ne sont pas des Eglises au plein sens du terme.»
Les deux documents, auquel le pape Jean Paul II a conféré un caractère "infaillible", suggèrent une distinction, d'un côté entre les Eglises Romaine et Orthodoxe et de l'autre les communautés protestantes.
-Les Eglises Orthodoxes sont en définitive très proches de Rome, -les Eglises orthodoxes ont en effet à ses yeux une place à part: "l'Eglise du Christ y est présente et agissante malgré l'absence de la pleine communion avec l'Eglise catholique, provoquée par leur non-acceptation de la doctrine catholique du primat papal".
- Les communautés protestantes -qu'elles soient anglicanes ou non- ne doivent plus être considérées aux yeux de Rome comme des Eglises «soeurs». A ses yeux, elles ne sont que de simples «communautés ecclésiales». L'Eglise catholique guidée par Rome n'est pas leur "soeur", mais en réalité l'unique "Eglise mère". L'Eglise est « unique », souligne le cardinal Ratzinger, et, « malgré les divisions entre chrétiens, l'Eglise du Christ continue à exister, en plénitude, dans la seule Eglise catholique». La clé de cette continuité historique» est la « succession apostolique » (les évêques sont nommés par le pape comme les apôtres l'ont été par le Christ). L'expression '"Eglises soeurs", au sens propre, ne s'applique donc qu'aux communautés ecclésiales ayant préservé un Episcopat et une Eucharistie valides, à savoir l'Eglise Orthodoxe. Il s'en suit que pour Ratzinger les Eglises de la Réforme protestante (anglicanisme, luthéranisme, calvinisme,méthodisme, etc.) ne sont donc pas «des Eglises au sens propre», parce qu'elles ont rompu la succession apostolique: leur épiscopat n'est pas «valide» et leur célébration du mystère eucharistique n'est ni «authentique ni intégrale».
Cette prise de position a suscité une vague de protestation sans précédent dans la grande famille protestante. En Grande-Bretagne, la réaction de l'archevêque de Cantorbéry ne s'est pas fait attendre. Pour George Carey, primat de l'Eglise anglicane, la déclaration est simplement «inacceptable».» «L'idée que l'église anglicane et d'autres ne sont pas des églises au 'sens propre' semble'' remettre en question ''les gains considérables que nous avons faits'' estime le responsable anglican. «Ces documents ne reflètent aucunement les progrès accomplis dans la compréhension réciproque grâce au dialogue et à la coopération oecuméniques accomplis durant ces 30 dernières années», ajoute le primat des Anglicans.
Le Conseil Mondial des Eglises basé à Genève a déclaré que ce serait une ''tragédie'' si la coopération dans le monde chrétien était ''masquée par le dialogue des églises sur leur statut et leur autorité relative -de quelque importance qu'ils puissent être''.
Le porte-parole du Vatican, Joaquin Navarro-Valls, se défend de pareilles intentions: "le Saint-Siège n'a aucunement l'intention de changer sa façon de concevoir les rapports entre l'Eglise catholique et les autres Eglises et communautés chrétiennes".
Mais la presse italienne en juge différemment: pour le quotidien italien, La Stampa, de Turin, la note du Cardinal Ratzinger signifie que «les Eglises issues de la Réformation Protestante sont automatiquement exclues de la liste des 'Eglises soeurs'». L'autre quotidien italien, la Repubblica de Rome affirme de son côté: «Avec une telle définition, est réduite en peau de chagrin l'importance des Eglises Réformées et Luthériennes. Soutenir une telle affirmation, un demi-siècle après le second concile de Vatican, c'est faire un pas en arrière.»
John Wilkins, éditeur du «Tablet», un journal catholique influent publié à Londres, a décrit cette déclaration comme étant «vraiment, vraiment rétrograde.... profondément négative....».
Paraic Reamonn, responsable du service d'information de l'Alliance Mondiale des Eglises Réformées, qui compte 215 Eglises membres a déclaré à l'agence ENI: «Vatican II affirmait que l'unique Eglise de Jésus-Christ 'subsistait' dans l'Eglise Catholique Romaine; cette affirmation rendait possible une distinction oecuménique importante entre l'Eglise chrétienne et l'Eglise de Rome. 'Dominus Iesus' résulte de l'effort des catholiques conservateurs à nier cette évidence: et à soutenir au contrire l'Eglise chrétienne et l'Eglise Catholique Romaine ne font qu'un. ... Il n'est pas aisé de voir comment ces documents concordent avec la lettre de Vatican II et les progrès accomplis dans le domaine oecuménique depuis cette date. Ils ne s'accordent certainement pas avec l'esprit de Vatican II, et ne manqueront pas de susciter unee forte irritation dans le rang des catholiques.»
A Hannovre, Allemagne, Manfred Kock, le président du Conseil de l'Eglise Evangélique Luthérienne d'Allemagne (EKD), l'Eglise la plus importante d'Allemagne, a décrit ces «signes venant de Rome» comme «un renforcement de l'image que l'Eglise Catholique Romaine a traditionnellement d'elle-même et un recul de la collaboration oecuménique». 'Dominus Iesus' signifie, déclare Kock, que, d'après Rome, de toutes les Eglises, les Eglises de la Réforme occupent «le dernier rang des priorités» et que Rome a rejeté le principe de l'égalité de traitement «avec une clarté qui ne laissait subsister aucun doute». Malgré cela, il ajoutait: «L'avenir de l'Eglise sera de vivre l'unité oecuménique, -Jésus-Christ en fait la promesse et cette unité est requise pour le témoignage et le service de l'Eglise en Allemagne comme dans les autres endroits. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi ne nous fera pas reculer.»
En France, le président de la Fédération protestante, le pasteur Jean-Arnold de Clermont, dit sa «surprise attristée». Il ajoutera que cette déclaration «contraste singulièrement avec les invitations à l'humilité et à l'ouverture entendues durant cette année jubilaire» (le Monde du 05/09/2000): «En cette année du Jubilé, c'est-à-dire de commémoration par tous les chrétiens de la naissance du Christ, nous attendions de Rome autre chose au plan oecuménique.» Et de se demander les raisons de ce durcissement de ton inattendu: «Qu'est-ce qui pousse à la publication à ce jour d'un tel texte? Y a-t-il des tensions telles entre les différents courants du catholicisme qu'il faille donner des gages aux uns contre les autres? Ou est-on à la veille d'échéances importantes qui nécessitent que certains soient en train de «resserrer les boulons» de la doctrine?» Il lui paraît évident que l'Eglise Catholique Romaine fait un pas en arrière, en se prenant pour la seule détentrice de la vérité et médiatrice de salut: «En lisant un tel document, je crois assister à un retour en arrière de l'Eglise catholique qui voudrait, une fois encore, nous faire croire qu'elle est la seule à posséder la Vérité et accaparer le salut des hommes.» Pour le président de Clermont, «les Eglises protestantes sont des Eglises à part entière, pour autant qu'«elles recherchent le salut en Jésus-Christ, annoncent l'Evangile et partagent les sacrements», quoi qu'affirme Ratzinger. Même s'il voit dans ces publications un coup dur pour la cause oecuménique, de Clermont n'entend pas changer de cap: «Notre volonté oecuménique est intacte. Protestants, nous ne pouvons pas écouter la parole de Dieu, la recevoir, nous engager avec elle dans la vie concrète sans la partager avec nos «frères» et«soeurs» chrétiens de toute confession.»
A Genève, le siège du Conseil oecuménique des Eglises (COE) - qui regroupe 337 Eglises protestantes (réformées, luthériennes, méthodistes, etc....), anglicanes et orthodoxes de par le monde -exprime ses regrets et rappelle à Rome que la chrétienté a besoin à l'aube du IIIème millénaire d'un témoignage «commun et crédible». Et le pasteur Konrad Raiser, secrétaire général du COE, de se demander à la suite du pasteur Jean de Clermont pourquoi la Congrégation pour la doctrine de la foi (héritière du Saint Office, lui-même successeur de l'Inquisition) a cru bon de faire cette déclaration à ce moment.
De son côté, le président du Conseil de la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS), Thomas Wipf, estime dans sa plus récente intervention que personne ne peut définir de sa propre initiative les critères lui permettant de déterminer quelle Eglise est la véritable Eglise de Jésus-Christ.
Une voix évangélique s'est faite entendre en Suisse sur ce sujet et non des moindres. Samuel Moser, Président de la «Fédération des Eglises et communautés Evangéliques Libres» (en allemand: «Verbandes Evangelischer Freikirchen und Gemeinden» -VFG-) en Suisse, considère quant à lui ce document du Vatican 'Dominus Iesu' comme une affaire interne au catholicisme. Tout en réglant ses comptes avec une certaine approche oecuménique, ce document présente clairement la révélation de Dieu en Jésus-Christ: Dieu s'est révélé parfaitement et définitivement à travers Jésus-Christ, le Fils de Dieu, Sauveur et porteur de l'histoire du salut. Et Moser a estimé cette contribution théologique positive; un évangélique ne formulerait pas autrement ces vérités essentielles. Néanmoins, il déplore, comme tant d'autres responsables protestants, la «condescendance» de Rome par rapport aux autres Eglises, qu'il juge même inacceptable. L'évangélique qu'il est récuse la succession apostolique formulée ici explicitement de même que l'assilimation de l'Eglise de Jésus-Christ à l'Eglise catholique Romaine. Il est incceptable pour une Eglise de s'élever au-dessus des autres Eglises chrétiennes, ajoute le président de la VFG. Les membres des Eglises libres récusent aussi l'enseignement relatif au primat du pape.
>Source: RPD, le Monde, Le Temps, AFP, ENI