Le quotidien Les Echos évoque dans sa livraison du 24 avril 2006 l’apparition d’un nouveau protestantisme marqué par son esprit éclairé et exigeant et par un retour à une plus grande simplicité du message biblique.
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La famille protestante française, que l'on évalue à environ deux millions de personnes, était identifiée à une relation individuelle de chacun au texte biblique. Si l'on y ajoute des valeurs morales libérales et le sentiment, partagé avec les Juifs, d'appartenir à une communauté minoritaire tenue de se distinguer par le travail et le talent pour ne pas disparaître, on avait le portrait d'une société protestante plus éclairée, plus exigeante avec elle-même que la moyenne des Français. Or le sondage que l'institut CSA vient de réaliser en collaboration avec le quotidien « La Croix » et l'hebdomadaire protestant « Réforme » est riche d'enseignements. Il confirme ce que l'on pressentait. La croissance de la mouvance dite « évangélique » au sein de l'église protestante en modifie le profil. Certes, il ne s'agit pas d'une pure importation du phénomène américain des « born again », qui influencent aujourd'hui la droite du Parti républicain, notamment dans le domaine des moeurs. Mais la parenté est nette avec les valeurs primaires du bien et du mal, de la joie et de la peine, de la générosité et de la cupidité, qui viennent du renouveau protestant américain et marquent un retour vers une plus grande simplicité du message biblique.
La même démarche se lit dans la conception de la collectivité des croyants. La tendance évangélique, qui représente désormais près du quart des protestants, exprime un fort besoin d'appartenance communautaire. Il se traduit concrètement par des célébrations religieuses où la foi se dit davantage par des danses, des chants, des expressions dites charismatiques, que par la rigueur intellectuelle à laquelle on assimilait jadis l'Eglise réformée. Cette évolution attire un public plus jeune et plus populaire que celui des assemblées protestantes traditionnelles.
Le parallèle est ici très net avec la mouvance catholique. Un des principaux effets du pontificat de Jean-Paul II, observé lors des immenses rassemblements des JMJ (Journées mondiales de la jeunesse), a été d'offrir des modalités simples et surtout conviviales d'expression de certaines valeurs. Le succès de ce nouveau protestantisme pose évidemment de sérieuses questions à l'Eglise réformée, dont l'identité s'est forgée dès l'origine sur un rapport individuel à Dieu. Mais il interroge bien au-delà des frontières religieuses. Dans ce besoin de partager des valeurs élémentaires, il est possible de voir un risque de retour au communautarisme identitaire, dont l'islam actuel montre les limites et les dangers. Mais on peut y voir aussi en creux une insuffisance de la modernité et de ses valeurs purement individualistes. C'est la nature du vivre ensemble qui est ici en cause et qui questionne les familles religieuses autant que la cité politique. La République s'est beaucoup battue pour la liberté et pour l'égalité. Ces mouvements lui font signe qu'il reste à penser la fraternité.
24 avril 2006
Source: Les Echos