Les objectifs fixés par le Sommet mondial de 1995 pour le développement social ne pourront être réalisés si des changements fondamentaux ne sont pas apportés au fonctionnement de l'économie mondiale : c'est ce qu'explique actuellement une équipe oecuménique aux délégués qui se préparent à la réunion d'examen organisée cinq ans après le Sommet.
La pauvreté, disent les membres de l'équipe, s'est accrue au cours des cinq ans écoulés depuis que les responsables politiques du monde ont pris l'engagement de la réduire lors du Sommet mondial pour le développement social ; de plus, le gouffre entre les riches et les pauvres continue à se creuser.
Le Conseil oecuménique des Eglises (COE) et la Fédération luthérienne mondiale (FLM), qui parrainent conjointement la participation de représentants des Eglises aux réunions tenues en préparation à la conférence d'examen qui aura lieu à Genève du 26 au 30 juin, ont envoyé une équipe oecuménique internationale de quelque vingt-cinq membres à New York pour la réunion du comité préparatoire du 3 au 14 avril.
Rogate R. Mshana, secrétaire exécutif du COE chargé des questions de justice économique, et Gail Lerner, représentante du COE auprès de l'ONU à New York, assistent les membres de l'équipe qui s'entretiennent avec les délégués gouvernementaux, leur communiquent le point de vue des Eglises et recueillent des informations qu'ils transmettront ensuite aux Eglises de leur pays.
Expliquant les objectifs de ces efforts alors que les membres de l'équipe se réunissaient le 3 avril, Rogate Mshana et Gail Lerner ont annoncé qu'ils plaçaient un accent prioritaire sur le premier des dix engagements du plan d'action adopté à Copenhague, à savoir la création d'un "environnement qui permette aux populations de parvenir au développement social".
Les représentants des Eglises soulignent également l'importance fondamentale du deuxième engagement, l'élimination de la pauvreté, ont-ils ajouté.
Sur ces points, l'équipe distingue un rapprochement oecuménique important avec les positions soutenues par l'Eglise catholique romaine, tant par l'intermédiaire de la Mission d'observation du Saint-Siège auprès de l'ONU que par les organisations non gouvernementales (NGO) catholiques romaines.
Selon Rogate Mshana et Gail Lerner, une facteur essentiel à la création des conditions cadres nécessaires consiste à abandonner l'approche "néolibérale" du développement pour la remplacer par l'engagement d'édifier une "économie centrée sur les personnes".
La vision "néolibérale" soutient que l'économie de marché et la non-intervention de l'Etat favorisent la croissance et peuvent mettre fin à la pauvreté par leurs effets de "ruissellement". Selon Rogate Mshana et Gail Lerner, il est "illusoire" de penser que l'économie de marché est "libre" quand, en fait, elle est toujours contrôlée en certains points ; l'expérience vécue par les pays pauvres depuis Copenhague montre que le néolibéralisme ne fonctionne pas.
En ce qui concerne l'élimination de la pauvreté, l'équipe oecuménique insiste sur la nécessité d'aller au delà de moyens classiques telles qu'un appel de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en faveur d'une réduction de la pauvreté de 50 pour cent d'ici à 2015.
Rogate Mshana et Gail Lerner affirment que le monde ne devrait pas parler de réduire la pauvreté, mais adopter une stratégie pour l'éliminer.
Ils demandent un accroissement de l'aide au développement fournie aux pays pauvres. Ils sont d'avis qu'une "taxe sur les transaction de devises", parfois appelée "taxe Tobin" (d'après l'économiste James Tobin qui en a proposé l'idée en 1978), pourrait aider les économies faibles en limitant la spéculation sur les devises et en dégageant des sommes substantielles pour le développement.
En accord avec l'Assemblée du COE à Harare en 1998, l'équipe oecuménique souligne également l'urgence de la question de la dette. Mais Rogate Mshana et Gail Lerner déclarent qu'il faudrait considérer avant cela un appel aux "réparations", demandant que les fonds que les pays riches ont tirés des pays pauvres soient remboursés à ceux-ci. Et les représentants des Eglises demanderont l'annulation complète des dettes des pays pauvres plutôt que la négociation de nouveaux délais de remboursement.
Ils affirment aussi que les dettes devraient être annulées sans exigences d' "ajustements structurels" de la part du Fonds monétaire international (FMI) ou d'autres institutions, qui signifient généralement des réductions des dépenses sociales et le retour de nombreux services publics au secteur privé.
L'équipe oecuménique s'efforcera d'obtenir qu'on prenne en considération les questions éthiques fondamentales et qu'on se penche sur les besoins des populations africaines et autochtones. Elle n'entend pas, toutefois, traiter chaque thème qui sera abordé à Genève 2000, ni s'engager en profondeur dans certains aspects techniques.
Fondamentalement, les représentants des Eglises estiment primordial d'appeler à un changement d'attitude de ceux qui dominent aujourd'hui l'économie mondiale, afin de promouvoir "une économie juste et morale... où les ressources soient équitablement réparties et où les institutions publiques et privées soient tenues responsables des conséquences sociales et écologiques de leurs actes."
>Source: COE