Argentine: lettre ouverte au président des Etats Unis

Nous publions la lettre ouverte que l’évêque (émérite) méthodiste argentin Federico Pagura a adressée en août 2004 au président Bush. L’évêque Pagura est connu depuis des décennies dans toute l’Amérique latine et au-delà pour son combat en faveur des droit de l’homme pendant la dictature militaire en Argentine. Il est également le compositeur de textes de cantiques chantés dans tous le continent, parce qu’ils expriment bien ce que ressentent les gens d’aujourd’hui dans cette partie du monde. L’évêque Pagura, prédécesseur de l’évêque Etchegoyen actuellement en exercice, a été l’un des co-présidents du Conseil Oecuménique à la fin des années 1990 et est bien sûr l’un des ténors du Conseil des évêque méthodistes d’Amérique latine et du CIEMAL — Conseil des Eglises évangéliques méthodistes d’Amérique latine. eemni 


Monsieur le Président George W. Bush


J'ose vous écrire, Monsieur le Président, parce que nous sommes membres de la même communauté religieuse, née au sein de l'anglicanisme du XVIIIe siècle. Vivant aujourd'hui dans les lumières et les ombres que la révolution industrielle a projetées sur cette heure décisive, nous nous situons aux pôles opposés d'une vision éthico-religieuse de la vie. Etudiez l'histoire du véritable Mouvement Méthodiste, auquel vous affirmez appartenir et souvenez-vous du combat inexorable de Wesley, contre l'esclavage, contre l'amour de l'argent et la pratique de l'usure, et en faveur d'une réelle défense et transformation de la vie, dans ses dimensions personnelles et sociales.


Certains d'entre nous sont de simples spectateurs ou acteurs au sein du "Tiers Monde" ou mieux, du "Sud qui existe aussi" (merveilleuse expression de l'un de nos poètes); d'autres, tels que vous, sont des personnalités dirigeantes de quelques-unes des pages les plus tristes, honteuses et sanglantes de cette histoire. Les pages de cette époque ont été ouvertes par le terrorisme monstrueux qui a abattu les tours jumelles de New York, mais elles ont continué avec la réponse au terrorisme par l'empire que vous présidez et représentez. Ce terrorisme-là avait déjà connu un précédent lors d'un autre 11 septembre (1973) au Chili; en mettant fin au gouvernement constitutionnel de feu le Président Dr Salvador Allende; il renforçait la chaîne des dictatures sanglantes dans toute l'Amérique latine et les Caraïbes et nous a finalement immergés dans la longue nuit de l'idéologie néo-libérale, avec le chômage, la misère, l'agitation sociale, la corruption et la violence sans fin qui en résultent. 


Aujourd'hui, Monsieur le Président, votre empire se concentre sur le Moyen-Orient, l'une des régions du monde les plus riches tant en pétrole et qu'en histoire. Mais l'ombre impériale s'étend sur le reste de l'humanité souffrante et incrédule où, après tant de cruautés et de mensonges propagés par le nazisme et le stalinisme, le capitalisme impérial que vous représentez domine de la manière la plus cynique et la plus éhontée. C'est pourquoi nous prions avec ferveur pour la fin de cette période atroce et scandaleuse que l'humanité a dû endurer.


Nous prions aussi pour l'illumination de la conscience de votre peuple, Monsieur le Président, afin qu'il puisse enfin se débarrasser de l'atroce doctrine de la "sécurité nationale" et de l'arrogance impérialiste qui sont progressivement répudiées par la vaste majorité des pays. Nous prions afin que vos concitoyens, qui en tant que nation ont perdu le chemin tracé par vos hommes d'état les plus nobles et les plus visionnaires, refusent bientôt ces politiques, d'une manière humble, pénitentielle et définitive. A moins qu'ils ne veuillent, par aveuglement ou entêtement, opter pour l'extermination ou le suicide de la famille humaine tout entière.


Dans l'intervalle, Monsieur le Président, je voudrais vous exhorter à vous pencher honnêtement sur les pages de la Bible plutôt que de persister dans ces mensonges qui sont devenus évidents lors de votre élection présidentielle et dans vos politiques coloniales, fondées sur la fausseté et la terreur. Souvenez-vous des paroles cinglantes et lumineuses du prophète Habaquq, lorsqu'il dit:


Malheur ! Il accumule ce qui n'est pas à lui ! Jusques à quand ? Il se charge d'une dette de plus en plus lourde. Ne vont-ils pas se dresser tout à coup, tes créanciers, se réveiller, ceux qui te secoueront ? Tu deviendras une bonne prise pour eux ! Comme tu as pillé des nations en nombre, tout le reste des peuples te pillera, à cause du sang humain, à cause de la violence faite au pays, à la cité et à tous ses habitants.


Malheur ! Il se taille une part malhonnête pour sa maison, afin de faire son nid tout en haut pour esquiver la main du malheur. C'est la honte de ta maison que tu as décidée: causer la fin de peuples en nombre est une atteinte à ta propre vie. Oui, la pierre du mur criera, et la poutre de la charpente lui répondra. (Habaquq 2:6-11)


Et n'oubliez pas les paroles de l'Evangile quand il nous avertit:


Il ne suffit pas de me dire: "Seigneur, Seigneur!" pour entrer dans le Royaume des cieux; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. (Matthieu 7:21)


Heureux ceux qui font œuvre de paix; il seront appelés Fils de Dieu. (Matthieu 5:9)


Et finalement cette parole éloquente, proche de la conclusion de la première épître de Pierre:


C'est le moment, en effet, où le jugement commence par la maison de Dieu; or, s'il débute par nous, quelle sera la fin de ceux qui refusent de croire à l'Evangile de Dieu ? (I Pierre 4:17)


Monsieur le Président, j'ai cherché à réaliser l'impossible, à savoir vous adresser une lettre, vous dont le gouvernement a été caractérisé par une arrogance continue, une ambition incommensurable, le bellicisme et l'hostilité et le fondamentalisme religieux. Ces attitudes vous ont amené à vous entourer de faux prophètes, qui disent "paix, paix, alors qu'il n'y a point de paix" (Jérémie 6:14), alors qu'ils restent sourds à de grandes voix prophétiques dans votre pays, telles que Michael Moore (ce génie du septième art) et aux voix les plus sages et les plus respectées au sein de l'Eglise à laquelle vous dites appartenir. 


Que Dieu aie pitié de nous, et que pour l'amour des plus pauvres, des opprimés et des exclus de notre génération, eux qui sont les plus privilégiés selon l'Evangile, nous puissions ouvrir nos yeux et vraiment nous tourner vers Dieu, afin de voir Sa Lumière et abandonner nos voies de méchanceté qui n'ont que la mort et la désolation pour conséquence !


C'est notre espérance et notre prière.


Federico J. Pagura

Evêque retraité - Eglise évangélique méthodiste d'Argentine


Rosario, Argentine, août 2004.


Traduction assurée par Frédy Schmid

Source: EEMNI