Argentine, Patagones: nouvelles de la famille Rudolph

Chers amis, 


Le temps semble parfois passer à vive allure: nous voilà déjà dans notre deuxième année scolaire à Patagones. La rentrée a eu lieu le 12 mars après une période estivale de 3 mois bien remplie elle aussi. Avec les parents d´Anne, nous avons eu l´occasion de visiter le grand Sud jusqu´à Ushuaia... Nous sommes reconnaissants d´avoir eu cette visite de France et d´avoir repris des forces avant cette nouvelle année qui s´est ouverte. Nous vous remercions également de tout coeur pour votre soutien et affection manifestés sous diverses formes ces mois écoulés. 


Dans une lettre précédente, nous vous avions parlé de la situation économique de l´Argentine. Cette situation ne s´est pas améliorée, au contraire, elle a pris des proportions politiques. La démission de 4 ministres et leurs remplacements ont créé des troubles. En effet, un des ministres nommés (Domingo Caballo) l´était déjà sous un gouvernement précédent de l´opposition politique et avait été gouverneur de la Banque Centrale d´Argentine la dernière année de la dictature. Il ne se passe pas un jour sans qu´il y ait des mouvements de protestations dans un endroit du pays: grèves, blocages de routes, manifs, marches... Les gens sont fatigués et découragés de voir que les promesses d´avant les élections ne sont pas tenues. Peut-être pensez-vous que c´est la même chose dans d´autres endroits du monde. Certes, mais cela ne justifie pas les attitudes des gouvernants d´une part et, d´autre part, les Argentins voient leur qualité de vie baisser pour descendre à un niveau inquiétant. La paupérisation est grandissante et visible, ce sont les classes populaires et moyennes qui en font les frais. Le taux de chômage dépasse les 20%, la délinquance et la criminalité ont fortement augmenté, enfin, un autre taux, celui du suicide, a également augmenté...


Toutes ces difficultés créent des situations humaines dramatiques... ainsi que des discours passéistes et parfois dangereux du genre "Ah, si les militaires revenaient, au moins eux sauraient faire" ou "Du temps de la dictature, il y avait du travail pour tous..." L´espérance est pratiquement au point mort, trop de gens ne voient pas, ne voient plus comment le pays s´en sortira. Les gens sont écoeurés par leurs dirigeants politiques tant leur corruption et leurs magouilles sont grandes. Le surintendant de la Région nous écrivait l´autre jour et disait que si ça continue comme ça, encore un peu de temps et il faudra "marcher sur Buenos Aires à la Marcos" (cf. Mexique)... 


Les activités d´Eglise paraissent proches de ce que nous connaissions avant de venir et de ce que vous vivez certainement. Cependant, laissez-nous vous faire part de quelques extraits de notre quotidien dans ce contexte. Il est vrai qu´il faut le situer. La situation au niveau national a des répercussions évidentes au niveau local. L´Eglise de Patagones est composée essentiellement de familles se trouvant en difficulté non seulement financière, mais également sur le plan social ainsi que sur le plan relationnel au sein de leur famille et vers l´extérieur, avec différents types de problèmes comme l´alcoolisme, la maltraitance, l´illettrisme, la malnutrition... 


Mercredi soir, 21h45, le téléphone sonne. C´est C. A. qui me dit : "Etienne, peux-tu venir avec ta voiture, ma femme ne se sent pas bien, elle a vomi et ses nerfs ont lâché." Je m´y rends le plus vite possible et, en effet, M. sa femme se sent mal et nous allons à l´hôpital. Au service d´urgence, composé de deux pièces plutôt vétustes, une infirmière nous dit que le médecin va venir. Une demi-heure plus tard, il arrive et ne veut pas lui donner autre chose qu´une aspirine. Me voyant, il me reconnaît et me demande ce que je veux. Je lui dis que je venais seulement accompagner des amis. Ma présence suffit alors pour qu´il prenne en charge Mabel de façon plus décente. Il parle avec elle, lui fait une injection pour la calmer et lui prescrit une prise de sang pour le lendemain matin... 


Samedi soir après le culte, V. M., une fille du groupe de jeune me demande si je peux venir chez elle parce que sa maman me demande. J´y vais. La situation n´est pas simple: les parents, séparés depuis plus de 10 ans, vivent cependant sous le même toit avec leurs deux dernières filles (17 et 13 ans). L´aînée (23 ans), qui a accouché de son quatrième enfant il y a un mois, a demandé à ses parents s´ils ne pouvaient pas l´héberger pour quelque temps. Elle débarque donc avec 4 enfants et son compagnon, le père des deux derniers. La maison, un petit trois-pièces, accueille donc 10 personnes. La mère n´en peut plus, V. non plus, et au fur et à mesure que nous parlons ensemble, je m´aperçois que tous n´en peuvent plus. Les adultes dorment à tour de rôle et cela fait plus d´un mois que la situation est ainsi... La fille aînée ne sait pas où aller avec sa famille... Chacun a les nerfs à fleur de peau. Pleurs et cris sont le quotidien de cette famille. Pas facile... 


Mardi soir après l´étude biblique, D. G. vient me voir discrètement à notre voiture et me demande si je ne pouvais pas lui prêter une dizaine de pesos pour qu´il puisse acheter à manger pour sa famille, il va bientôt toucher l´argent que son entreprise lui doit depuis 9 mois... 


Jeudi après-midi, C. A. vient à la maison. Il n´a pas d´argent pour payer les médicaments pour une de ses filles malades... Situation familiale difficile: lui et sa femme ne savent ni lire ni écrire. Des amis de l´Eglise les ont déjà accompagnés au cours du soir de l´école pour adultes. Mais la gêne et la honte sont tenaces. Lui a fait une année, elle a abandonné il y a deux ans. Il n´a pas de travail et vit de ce que la mairie peut donner... 


S. P. vient chaque mardi manger avec nous le repas de midi. N´ayant aucun revenu, chaque problème de santé se transforme en difficulté. Il ne lui reste que des dents en haut à droite et en bas à gauche... ce qui n´est pas ce qu´il y a de plus facile pour manger. Et voilà qu´une molaire lui cause des douleurs. Résultat à l´hôpital, on lui a arraché cette dent. Il n´avait pas de moyens pour la faire réparer... 


M. O. nous annonce que sa fille G., à peine 16, est enceinte... Son copain, 18 ans, dit qu´il est prêt à assumer ou au moins essayer. Le manque d´information et la honte rendent cette fille nerveuse et mal à l´aise dans sa peau. Nous avons commencé à en parler... 


Décrire des situations en peu de mots peut les rendre extrêmes. Mais certaines le sont, et le sont d´autant plus que nous nous sentons démunis. Accompagner sans s´imposer, trouver les mots et les attitudes justes, comprendre les situations sans juger... sont autant d´exercices de services et de témoignages que nous sommes appelés à vivre. 


Comme pour équilibrer ces moments qui pourraient nous décourager, nous vivons comme des clins d´oeil de Dieu d´autres moments où la joie et l´engagement chrétien nous encouragent. D. M., un homme de 30 ans, est venu pour la première fois au petit déjeuner de Pâques 2000 avec sa compagne, Patricia qui a des enfants. Il n´est pas revenu souvent après cette date-là. Mi-octobre, en travaillant avec du grillage, il se prend un bout de fil de fer dans l´oeil. Les médecins lui disent qu´il ne le récupérera pas. Il demande alors au témoins de Jéhovah qui tiennent des réunions chaque semaine dans sa maison, d´arrêter ces études parce que ce qu´ils disent ne tient pas debout. Il leur dit encore qu´il va chercher lui-même ce Dieu de la Bible. Il commence à prier, pour rencontrer Dieu mais aussi et surtout pour son oeil. Deux mois passent, il ne voit toujours rien. Il fréquente notre communauté et prend conscience que des hommes et des femmes qu´il ne connaît pas et qui ne le connaissent pas prient pour lui. A Noël, son oeil se remet à fonctionner. Les médecins lui disent alors que c´est très surprenant et qu´il a de la chance. Lui pense plutôt qu´il s´agit de la main de Dieu. Cependant, ils lui disent qu´il mettra du temps pour récupérer peut-être 30 à 50% de cet oeil dans le meilleur des cas. Passe encore un mois et fin janvier, il voit presque comme avant. Aujourd´hui il n´a plus mal, il dit qu´il voit aussi bien qu´avant, malgré la cicatrice. Il est reconnaissant à ce Dieu de la Bible qui l´a sauvé et guéri. Avec sa compagne, ils souhaitent devenir membres de notre Eglise. Cet homme a une soif de la Bible impressionnante. Bien qu´il lise avec quelque difficulté en raison d´une scolarité arrêtée avant la fin de l´école primaire parce que son père alcoolique voulait qu´il travaille, il dévore cependant les livres qu´il trouve et surtout la Bible... Encourageant, non? 


Au sein de notre Eglise locale, nous avons commencé une réflexion sur l´Eglise, les membres et leur engagement. Le 5 mai prochain, nous aurons notre assemblée générale locale qui élira pour la première fois depuis plus de 20 ans un petit conseil d´Eglise. Eh oui! Tout reposait sur les épaules d´un couple depuis 13 ans et les membres prennent peu à peu conscience de la nécessité de s´organiser pour travailler plus efficacement. 


Nous avons partagé le dimanche de Pâques avec l´Eglise Luthérienne. Avec la collègue pasteur, nous avons organisé une journée qui a commencé à 7h pour une petite montée à pied sur la colline à l´extérieur de la ville. Là haut, nous avons chanté, lu et médité les textes de l´Evangile au lever du soleil... Magnifique! Puis, nous sommes descendus pour prendre le petit déjeuner à 8h30 dans l´Eglise Méthodiste... Excellent ! Enfin, à 10h, nous nous sommes rendus à la petite chapelle luthérienne pour célébrer le culte de Pâques de la résurrection de notre Seigneur... Enrichissant ! Les relations entre nos deux petites communautés sont bonnes et nous souhaitons poursuivre et approfondir ces échanges... 


Toutes les "tranches de vie" mentionnées font partie de la réalité de l´Eglise et de notre vie ici. La fidélité de Dieu est constante et nous la vivons jour après jour. 


Sachant que la joie et la paix du Ressuscité vous accompagnent, recevez nos "saludos" les meilleurs. 


Anne et Etienne avec Eve, Noé et Lucie

Avril 2001 


Famille RUDOLPH à CARMEN DE PATAGONES

ARGENTINE


Source: EEMNI