Allemagne, Berlin: des responsables d'Eglises unis dans leur opposition à la guerre en Irak

Une réunion d'urgence de responsables d'Eglise européens de haut niveau à Berlin a rejeté le recours à la force militaire contre l'Irak, en soulignant qu'une guerre aurait "des conséquences humanitaires inacceptables", entre autres le déclenchement éventuel d'une guerre civile et de troubles graves dans toute la région du Moyen-Orient.


Soucieux d'exprimer de manière concertée leur réaction à la menace d'intervention militaire en Irak, les responsables des Eglises européennes ont convoqué cette réunion urgente d'une journée. Cette réunion est organisée par le Conseil oecuménique des Eglises (COE), à la suite d'une initiative de l'Eglise évangélique d'Allemagne (Evangelische Kirche in Deutschland EKD) et en concertation avec la Conférence des Eglises européennes (KEK).



Dans la lettre d'invitation, Peter Weiderud, coordinateur de l'Equipe «affaires internationales» du COE, souligne que «la crise irakienne est entrée dans une nouvelle phase, encore plus critique» à la suite de la présentation au Conseil de sécurité de l'ONU, le lundi 27 janvier, du premier rapport des inspecteurs des armements. Relevant que l'Europe peut jouer «un rôle de tout premier plan» dans la crise actuelle, il déclare que la réunion «sera utile tant aux Eglises qu'à l'ensemble du mouvement oecuménique dans leurs efforts pour éviter une catastrophe humanitaire et les conséquences incalculables qu'entraînerait une guerre éventuelle, aussi bien dans la région que sur le plan international».


Voici la déclaration dans son intégralité publiée par ces responsables d'Eglises européens réunis à Berlin le 5 février 2003, à l'invitation du Conseil oecuménique des Eglises (COE), agissant en concertation avec la Conférence des Eglises européennes (KEK), le Conseil national des Eglises du Christ aux Etats-Unis (NCCCUSA) et le Conseil des Eglises du Moyen-Orient, et invités à se rencontrer par l'Eglise évangélique d'Allemagne (EKD). 


1. En notre qualité de responsables d'Eglises européennes et nous exprimant d'entente avec des conseils d'Eglises des Etats-Unis et du Moyen-Orient, nous demeurons profondément préoccupés par les appels à une campagne militaire contre l'Irak lancés et réitérés par les Etats-Unis et certains gouvernements européens. A nous qui sommes animés par la foi, l'amour du prochain nous fait obligation de nous opposer à la guerre et de rechercher une solution pacifique des conflits. En tant qu'Eglises, nous prions pour que la population de l'Irak et celle de tout le Moyen-Orient connaissent la paix, la justice et la sécurité. Une telle prière nous oblige aussi à être des instruments de paix. 


2. Nous déplorons qu'une fois encore les pays les plus puissants du monde considèrent que la guerre constitue un moyen acceptable de mener leur politique extérieure, ce qui suscite un climat général de crainte, de menace et d'insécurité. 


3. Nous ne pouvons accepter les objectifs d'une guerre contre l'Irak tels qu'ils sont présentés par ces gouvernements, et notamment par celui des Etats-Unis. Envisager une guerre et des frappes militaires préventives comme un moyen de modifier le régime d'un Etat souverain est un acte immoral et une violation des principes de la Charte des Nations Unies. Nous appelons le Conseil de sécurité à faire respecter ces principes, qui limitent strictement l'utilisation légitime de la force militaire, et d'éviter de créer un précédent déplorable en abaissant le seuil de tolérance de la violence en tant que moyen de résoudre les conflits internationaux. 


4. Nous croyons que la force militaire est un moyen inapproprié de parvenir à l'élimination d'éventuelles armes de destruction massive irakiennes. Nous insistons pour que l'on accorde le temps nécessaire aux mécanismes d'inspections qui ont été soigneusement mis en place par les Nations Unies. 


5. Tous les Etats membres des Nations Unies doivent se plier aux résolutions impératives de celles-ci et résoudre les conflits par des moyens pacifiques. L'Irak ne saurait faire exception. Nous en appelons au gouvernement irakien pour qu'il détruise toutes les armes de destruction massive et tous les sites servant à la recherche et à la production dans ce domaine. L'Irak doit coopérer sans réserve avec les inspecteurs des Nations Unies et garantir le respect intégral des droits civiques, politiques, économiques, sociaux et culturels de tous ses citoyens. La population irakienne a le droit de croire qu'il existe une alternative à la dictature et la guerre. 


6. Une guerre aurait des conséquences humanitaires inacceptables et entraînerait notamment de vastes déplacements de population, l'effondrement des structures de l'Etat, l'éventualité d'une guerre civile et de grands bouleversements dans toute la région. La détresse des enfants irakiens et la mort inutile de centaines de milliers d'habitants du pays au cours des 12 dernières années pendant lesquelles les sanctions ont été appliquées nous touchent profondément. Dans la situation actuelle, nous réaffirmons solennellement la validité des principes humanitaires admis de longue date, en vertu desquels il doit être possible de venir au secours des populations dans la détresse. 


7. En outre, nous mettons en garde contre les conséquences à long terme d'une telle guerre dans le domaine social, culturel, religieux et diplomatique. En attisant les foyers de violence qui consument déjà la région, on ne réussira qu'à exacerber la haine profonde qui fait le jeu des idéologies extrémistes et aggrave l'insécurité et l'instabilité dans le monde. En tant que responsables européens d'Eglises, nous avons le devoir moral et pastoral de nous opposer à la xénophobie dans nos propres pays, tout en apaisant les craintes de tous ceux qui, dans le monde musulman, estiment que le "christianisme occidental" est opposé à leur culture, leur religion et leurs valeurs. Nous devrions rechercher la coopération en faveur de la paix, de la justice et de la dignité humaine.


8. Tous les gouvernements, et notamment les membres du Conseil de sécurité, ont la responsabilité d'examiner la question dans toute sa complexité. Tous les moyens pacifiques et diplomatiques d'obliger l'Irak à se soumettre aux résolutions du Conseil de sécurité n'ont pas encore été épuisés. 


9. Nous estimons avoir l'obligation spirituelle, au nom de l'amour de Dieu pour l'humanité, de nous prononcer contre la guerre en Irak. Avec ce message, nous adressons un signe fort de solidarité et de soutien aux Eglises d'Irak, du Moyen-Orient et des Etats-Unis. Nous implorons Dieu de guider les responsables, afin qu'ils prennent leurs décisions sur la base de réflexions approfondies, de principes moraux et de critères légaux exigeants. Nous invitons toutes les Eglises à se joindre à nous dans cet acte de témoignage, à prier et à encourager la participation de tous les fidèles à la lutte pour la résolution pacifique de ce conflit.


Liste des participants :


Pasteur Konrad Raiser, secrétaire général du Conseil oecuménique des Eglises 


Pasteur Keith Clements, secrétaire général de la Conférence des Eglises européennes 


Präses Manfred Kock, président du Conseil de l'Eglise évangélique d'Allemagne (EKD) 


Evêque Walter Klaiber, chef de la Arbeitsgemeinschaft Christlicher Kirchen in Deutschland (Communauté de travail des Eglises chrétiennes d'Allemagne ACK) et de l'Eglise évangélique méthodiste (Allemagne) 


Pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France 


Evêque Herwig Sturm, Eglise évangélique de la confession d'Augsbourg et de la confession helvétique en Autriche 


Pasteur Thomas Wipf, président de la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse 


Evêque Jonas Jonson, évêque de l'Eglise de Suède et le pasteur Kjell Jonasson, Eglise de Suède 


Chanoine Trond Bakkevig, Eglise de Norvège 


Archevêque Jukka Parma, Eglise évangélique luthérienne de Finlande 


Evêque Karsten Nissen, Eglise évangélique luthérienne du Danemark 


Mme Alison Elliot, Eglise d'Ecosse et Action commune des Eglises d'Ecosse (ACTS) 


Pasteur Arie W. van der Plas, Eglises réformées des Pays-Bas et Eglises protestantes en union des Pays-Bas 


Archevêque Feofan, Eglise orthodoxe russe, archevêque de Berlin et d'Allemagne 


Evêque Athanasius d'Achaïa, Eglise de Grèce 


Pasteur Nuhad Daoud Tomeh, représentant du Secrétariat général du Conseil des Eglises du Moyen-Orient 


Bob Edgar, secrétaire général du Conseil national des Eglises du Christ aux Etats-Unis 


James Winkler, secrétaire général du Conseil général d'Eglise et société de l'Eglise méthodiste unie, Etats-Unis 


Pasteur Rebecca Larson, directrice de la Division d'Eglise et société de l'Eglise évangélique luthérienne d'Amérique, Etats-Unis 


Thor-Arne Pröis, directeur de l'Action commune des Eglises (ACT International), Genève 


Membres du personnel du COE: 

Peter Weiderud, directeur de la Commission des Eglises pour les affaires internationales 


Secrétariat de l'EKD: 

Evêque Rolf Koppe 

Pasteur Christa Grengel 

Pasteur Dagmar Heller 


Excusés: 

Eglise d'Angleterre 

S.S. Bartholomée, patriarche oecuménique 

Eglise évangélique d'Espagne 


6 février 2003


Source: Conseil Oecuménique des Eglises/ENI