L'agacement provoqué par le fait religieux dans la société et l'Etat doit être thématisé par les Eglises. On attend à la fois beaucoup et peu des Eglises et des communautés religieuses. Tout à fait comme avant les Lumières, elles doivent "fournir les valeurs" que la société ne peut pas reproduire elle-même. Si les valeurs que les Eglises fournissent conviennent, elles sont exploitables par l'opinion des politiciens et les responsables de l'économie et de la société. Dans ce cas, on peut admettre une touche de religion. Mais si elles ne conviennent pas, on se glisse rapidement dans le rôle du modernisme sécularisé et l'on prend ses distances, en se bouchant le nez, par rapport à l'influence de la religion sur la société civile. Il y a 30 ans, le juge fédéral et philosophe du droit allemand Ernst-Wolfgang Böckenförde a mobilisé l'attention avec la phrase: "L'Etat libéral, sécularisé vit de prémisses qu'il n'est pas lui-même en état de garantir".
Les Eglises ne sont pas simplement des "fournisseurs de valeurs". Elles doivent bien plutôt citer, infatigablement, ces prémisses dont vit l'Etat libéral et sécularisé: la dignité intangible de tout être humain (créé à l'image de Dieu), la libération des opprimés (pour lesquels Dieu a toujours pris parti), ainsi que la justice et la paix (en tant qu'horizon vers lequel la création doit tendre en direction du Royaume de Dieu). Ce sont là les critères fondamentaux irrévocables que les Eglises ont à citer imperturbablement au milieu des changements sociétaux de notre temps.
Heinrich Bolleter
Evêque de l'EEM pour l'Europe centrale et méridionale
Source: Kirche+Welt, n° 7, 6 avril 2006
Source: EEMNI