Sous le titre «Les évangéliques français distinguent politique et religion», le journaliste Xavier Ternisien rend compte du dernier ouvrage de Sébastien Fath, historien et chercheur au CNRS, consacré au mouvement évangélique français.
Il évalue à près de 400 000 le nombre des fidèles évangéliques, soit plus d'un tiers des protestants français, qui seraient en tout 1,1 million.
Mais si l'on prend en compte la population des pratiquants, le protestantisme évangélique serait déjà majoritaire dans les temples. Les annuaires protestants recensent 690 paroisses luthériennes et réformées, contre 2 000 communautés évangéliques actives en France. En outre, souligne Sébastien Fath, la pratique religieuse est beaucoup plus importante chez celles-ci que chez les luthéro-réformés (80 % contre 10 %).
L'implantation du protestantisme évangélique en France est relativement ancienne. L'Institut biblique évangélique de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), un centre de formation très influent, a été fondé en 1921. Les premières tournées du prédicateur américain Billy Graham ont eu lieu en 1946, au foyer de Belleville. Elles n'ont rassemblé qu'une quarantaine de personnes. Le pasteur américain n'était pas encore la star médiatique qu'il deviendra.
Quarante ans plus tard, en 1986, il réunira 300 000 auditeurs dans le Palais des sports de Bercy et en province. Le courant évangélique connaît alors une visibilité jamais atteinte auparavant. Pour autant, les Eglises évangéliques françaises ne sont pas une transplantation de la "secte Bush" , pour reprendre une formule utilisée en 2003 par l'hebdomadaire Marianne .
Le mouvement français garde ses spécificités. En particulier, il opère une distinction nette entre religion et politique. Une théologienne américaine, qui a enseigné longtemps en région parisienne, souligne que les Français font moins la confusion que les Américains entre la foi et "un certain genre de nationalisme" .
Autre différence : les évangéliques français ne disposent pas d'une chaîne de télévision ou d'une radio. Il n'existe pas de "télé-évangélisme à la française" , constate Sébastien Fath. Ce sont les catholiques qui ont créé leur proche chaîne de télévision, KTO. Mais God TV n'a pas trouvé son équivalent français.
Les années récentes ont été marquées par l'essor du courant pentecôtiste, de type charismatique, qui promet aux fidèles, dès ici-bas, un avant-goût de paradis. La participation aux assemblées de prière prend là des allures de "trip", qui fait oublier la misère du monde. Dans son livre, Sébastien Fath raconte qu'une fidèle va jusqu'à s'écrier : "J'ai la marijuana du Seigneur !"
L'autre fait nouveau est l'explosion des Eglises ethniques. La communauté y joue le rôle d'une "Eglise providence", qui répond aux besoins et aux détresses des fidèles. Elle accentue certains aspects du mouvement évangélique, en mettant l'accent sur les guérisons, le don de prophétie, sous la conduite de pasteurs improvisés. Ceux-ci deviennent alors des "petits entrepreneurs de biens du salut" , avec des risques de dérives affairistes.
Xavier Ternisien
20.10.05
Source: Le Monde