Quelques pas de danses : le Sud des peuples indigènes amérindiens affronte le Nord de Mickey Mouse dans une mise en scène aux sons de la Samba. C'est de manière à la fois théâtrale et festive que s'est ouverte la plénière consacrée à la justice économique.
(*) Par Gérald Machabert
L'Assemblée du Conseil œcuménique des Eglises (COE) réunie à Porto Alegre (Brésil) aborde en plénière, dans plusieurs "conversations oecuméniques" et de nombreux ateliers du Mutiraõ le jeudi 16 février, la question de la justice économique. Ce thème est au cœur des discussions entre les Eglises membres du COE. Réunissant 348 Eglises du Sud comme du Nord, cette institution mondiale ne peut faire l'impasse sur le sujet des relations économiques qui rythment la vie du monde et de ses habitants, de ses communautés chrétiennes.
"Suis-je le gardien de mon frère ?"
C'est imprégnée de ses contacts avec les Gauchos du Rio Grande do Sul que la théologienne brésilienne Nancy Cardoso Pereira a relu avec l'assemblée le texte biblique du conflit opposant les deux frères, Caïn et Abel. Cette histoire dit la solidarité nécessaire entre les humains. Une histoire racontant aussi la tension et l'affrontement entre deux conceptions de la vie économique : celle du berger nomade et celle de l'agriculteur sédentaire, l'histoire d'un monde coupé en deux.
Intervenant après la théologienne, l'économiste ougandais, Yash Tandon, peignait la même image d'un monde divisé en rappelant quelques chiffres: "Plus de trois milliards de personnes sont considérées comme pauvres, vivant avec moins de 2 dollars par jour. Ceci représente 50% de la population mondiale. L'inégalité a crû de manière exponentielle". Aujourd'hui, les 20% les plus riches de la population mondiale sont 114 fois plus riches que les 20% les plus pauvres. En 1960, ce rapport n'était "que" de 30 fois.
Altermondialisme chrétien
L'évêque allemand, Wolfgang Huber modérait cette séance plénière consacrée à l'étude de l'appel Agape. Cet appel "à l'amour et à l'action" devra être adopté par l'Assemblée de Porto avant la fin de la rencontre. Lors d'une conférence de presse, Wolfgang Huber rappelait l'écart douloureux entre "les possibilités innombrables que le monde a aujourd'hui pour éradiquer la pauvreté de la surface du globe et l'accroissement continu de celle-ci".
L'appel Agape marque une étape importante dans un processus de réflexion lancé lors de la précédente Assemblée du COE à Harare (Zimbabwe). En huit points, il offre des pistes de réflexion et d'action pour ses Eglises membres. Mais il marque aussi une alternative nette aux récents traités de libre-échange. Ainsi le chemin de l'éradication de la pauvreté, même s'il reprend la proposition de l'éradication de la dette, prône aussi la protection des biens de production, l'autodétermination en matière d'approvisionnement agricole et alimentaire et la défense des biens et services publics.
L'eucharistie comme lieu de l'engagement
Pour Nancy Cardoso Pereira l'engagement des chrétiens "dans et pour le monde" s'ancre dans l'eucharistie : symbole de l'incarnation de Dieu, de sa solidarité avec l'humanité, elle concilie la dimension spirituelle de la prière et celle matérielle du repas.
L'eucharistie est aussi le lieu de la communion des chrétiens. Une communion que les membres de l'Alliance œcuménique "Agir ensemble" présents à Porto Alegre souhaitent bâtir très concrètement par un soutien solidaire et équitable des chrétiens de Pays du Sud. Atle Sommerfeldt raconte, lors d'une conférence de presse, comment son organisation de solidarité de l'Eglise de Norvège à soutenu de petits agriculteurs du Mozambique. "L'Union européenne subventionne largement des agriculteurs à dimension industrielle dans la production sucrière. Le sucre européen est donc produit au quart du prix de celui du Mozambique! Notre association, Norwegian Church Aid, a donc commercialisé des sachets de sucre du Mozambique, en encourageant les membres de notre Eglise à utiliser ce sucre équitable".
Omar Fernandez, secrétaire exécutif du Mouvement continental des Chrétiens pour la paix et la justice, demandait un peu moins de frilosité de la part des Eglises, face à l'injustice économique. Prenant pour exemple l'Amérique du Sud, où il vit, il les appelait à avoir une parole dans l'espace public : "garder le silence, c'est se faire le complice de l'injustice". Il offrait aussi à ces Eglises des pistes et des conseils pour mettre en place des lieux où une économie différente peut se vivre. "Regardez en Amérique latine, disait-il, ce sont de petits groupes de femmes et d'indigènes qui ont fait bouger les choses, d'abord au niveau local, puis plus largement. Aujourd'hui, c'est l'indigène, Evo Morales, président bolivien, qui défie le système pétrolier mondial".
Approfondir et agir
Plusieurs des interventions ont reçus des applaudissements nourris et les délégués, représentant des Eglises du Sud comme du Nord, ont été particulièrement attentifs lors de cette session. Ils ont demandé à avoir plus de temps lors de l'Assemblée pour continuer à travailler sur cette question. Une nouvelle session sera donc proposée d'ici la fin de la rencontre pour approfondir la discussion autour du texte de l'appel Agape.
17/02/2006
(*) Gérald Machabert vient de Montbéliard, France. Il est actuellement pasteur de l'Eglise Evangélique Luthérienne de France pour laquelle il est également rédacteur en chef de son mensuel L'AMI CHRETIEN.
Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)