Les miraculés de la mer mexicains ont touché terre

À l'issue de neuf mois de dérive dans le Pacifique, trois pêcheurs mexicains ont débarqué aux îles Marshall.


ILS S'APPELLENT Jesus Vidana Lopez, Lucio Rendon et Salvador Ordonez Vasquez. Mais au Mexique, pour tous, ce sont les «Robinsons de la mer». Depuis deux semaines, le pays est suspendu à l'histoire de ces trois pêcheurs, qui ont survécu pendant 289 jours dans une barque à la dérive sur le Pacifique, sans aucune ressource. Sauvés par un paquebot taïwanais le 9 août, les trois miraculés ont retrouvé la terre ferme lundi, à Majuro, la capitale des îles Marshall. Maigres mais souriants, ils ont commencé à raconter leur odyssée à la télévision mexicaine, ravis de parler espagnol avec des compatriotes, à 8 000 kilomètres de leur pays. 


Le 28 octobre 2005, ils sont cinq, originaires du petit port de San Blas, à prendre le large. À bord d'une barque longue de neuf mètres et large de trois, ils partent chasser le requin. L'expédition doit durer deux semaines tout au plus. Elle tourne rapidement au cauchemar. Dès la première nuit, la ligne qu'ils utilisent pour chasser le requin se détache du bateau. 


À leur réveil, les cinq hommes passent des heures à la rechercher. Les moteurs calent : le carburant est épuisé. Le mauvais temps s'acharne. Emportée par le courant, la petite barque s'éloigne des côtes. À bord, les pêcheurs n'ont ni équipement d'alerte ni de navigation, et des vivres pour quelques jours seulement. Les seuls hameçons dont ils disposent sont destinés aux requins. Ils se révèlent inutiles pour traquer des petits poissons. 


Rumeurs


Pendant des jours, ils tentent de les attraper à la main avant de bricoler de petits hameçons grâce à des morceaux de fil de fer. L'eau de pluie étanche leur soif, et le poisson cru compose l'essentiel de leur menu, agrémenté de chair d'oiseau. C'est Salvador, le seul capable de s'approcher en silence des volatiles posés sur l'embarcation, qui les capture. Il y gagne un surnom : le Chat. 


À bord, Salvador dispose d'un autre trésor : une Bible dont il déclame des passages à longueur de journée, pour chasser le désespoir, alors que deux compagnons périssent successivement en janvier puis février. Les trois survivants assurent avoir toujours gardé conscience du temps qui passe, grâce à la petite montre Casio de Lucio. La boussole, dernière pièce de l'équipement de la petite barque, appartient à Jesus. Grâce à elle, l'errance a un sens : le bateau devrait s'échouer en Chine, calcule le jeune homme, âgé de 27 ans. 


C'est en fait au beau milieu du Pacifique que la barque rencontre le Koo's 102, un paquebot taïwanais spécialisé dans la pêche au thon, le 9 août. Intrigué par un point sur son radar, son capitaine s'approche, pour découvrir trois jeunes hommes endormis, squelettiques et en haillons. Réveillés par le bruit du moteur, les naufragés croient d'abord à un mirage, avant de se convaincre de leur chance. C'est la première fois qu'un navire s'aperçoit de leur existence. Ils en avaient pourtant vu plusieurs au large, sans parvenir à attirer leur attention. 


Au Mexique, les rumeurs n'ont pas tardé. Pour les uns, les trois hommes ont survécu en dévorant leurs compagnons d'infortune, dont personne ne connaît d'ailleurs les patronymes. La barque n'a jamais été destinée à la pêche au requin, mais au transport de drogue vers les États-Unis, assurent d'autres. Les survivants rejettent les accusations. Pris en charge par des diplomates mexicains, les trois pêcheurs, qui sont toujours sous surveillance médicale, devaient rentrer vendredi au pays en héros. Pour les habitants de San Blas, Lucio et Salvador sont doublement miraculés. Il y a deux ans, ils avaient déjà fait naufrage ensemble près des îles Marias, un archipel du Pacifique. Une surprise attend le troisième compère, Jesus : elle s'appelle Juliana, et elle est née il y a quatre mois. 



Source: Le Figaro