La récente criminalisation du prosélytisme religieux en Algérie, où l'islam est religion d'Etat et où la liberté de culte est reconnue par la Constitution, a été accueillie avec circonspection, voire préoccupation, par les non musulmans.
Le parlement algérien a adopté le 20 mars une loi qui "fixe les conditions et règles d'exercice des cultes autres que musulman", prévoyant de sévères peines de prison contre ceux qui utilisent "des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion" ou à "ébranler sa foi".
Selon le responsable de la communication au ministère des Affaires religieuses, Abdellah Temine, cette loi vient en compléter une autre relative à l'exercice du culte musulman, adoptée au début des années 90 en pleine percée politique du Front islamique du salut (FIS, dissous).
"Il y avait un vide juridique qui a été comblé en 1991 par une loi fixant les attributions de la mosquée et de l'imam", a-t-il expliqué.
"Cette loi avait notamment fixé les lignes rouges qu'il ne fallait pas franchir, comme par exemple faire de la politique dans les mosquées", a-t-il ajouté.
"Tous ceux qui veulent pratiquer leur religion en Algérie, quelle qu'elle soit, sont les bienvenus, du moment que ça se passe dans un cadre légal et organisé", avait déclaré M. Temine après le vote de la loi anti-prosélytisme.
Si la première loi a permis de mettre fin à certaines "pratiques anarchiques" du culte musulman, la seconde est clairement dirigée contre les campagnes "clandestines" d'évangélisation.
"Cette loi n'est pas très rassurante. Dans la formulation nous ne sommes pas très satisfaits. Des gens mal intentionnés peuvent en faire un usage abusif", a déclaré le père Gilles Nicolas, proche collaborateur de l'archevêque d'Alger, Mgr Henri Teissier.
"Les ambassadeurs de l'Union européenne sont préoccupés, ils en discutent", ajoute-t-il, déplorant que la loi ait été adoptée "sans aucune consultation" des cultes non musulmans.
"Si je discute autour d'un café avec un voisin musulman et que je parle de Jésus, cela sera-t-il considéré comme un acte de prosélytisme ? Tomberai-je sous le coup de cette loi?" s'interroge le pasteur méthodiste Hans Hauzenberger, affecté récemment au temple d'Alger de l'Eglise protestante d'Algérie.
"Il suffira qu'une personne accuse l'Eglise de tenter de le convertir pour nous mettre dans une situation de suspicion de prosélytisme", dit-il.
La loi prévoit de 2 à 5 ans de prison et de fortes amendes contre toute personne qui "incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion".
Des sanctions similaires visent toute personne qui "fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou audio-visuels ou tout autre support ou moyen, qui visent à ébranler la foi d'un musulman".
Le texte crée également une commission nationale des cultes chargée de donner "un avis préalable à l'agrément" des associations à caractère religieux et à l'affectation d'un édifice à l'exercice du culte.
"Si les personnes qui composeront cette commission ont un esprit ouvert, il n'y aura aucune inquiétude. Si par contre, elles sont fermées au dialogue, des problèmes vont probablement se poser", estime le pasteur Hauzenberger.
"Cette loi peut ouvrir la voie à toutes sortes d'interprétations et constitue une atteinte à la liberté de culte. Je suis contre", déclare Cherif, un quinquagénaire converti au christianisme, fréquentant un lieu de culte en Kabylie (est d'Alger), cadre de discrètes menées évangélisatrices.
Le président de l'Association des oulémas algériens, le cheikh Abderrahmane Chibane, a dénoncé récemment ces "tentatives d'évangélisation".
"De nouveaux croisés essaient par tous les moyens de christianiser les Algériens. La mosquée, l'école, les médias et les institutions de l'Etat doivent s'y opposer", avait-il affirmé.
29 mars 2006
Source: Jeune Afrique