<18/09/2000 Argentine, Patagones: nouvelles de la famille Rudolph

Etienne Rudolph, pasteur de l'Eglise Evangélique Méthodiste, est parti en 1999 en Argentine pour se mettre au service de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM). Le pasteur Rudoph, originaire d'Alsace est marié et père de trois enfants, Eve, Noé, Lucie. Voici sa dernière lettre circulaire, le point sur sa vie d'Eglise et .... de famille.

«Par la fenêtre, on aperçoit un ciel bleu avec un soleil radieux: le printemps n'est pas loin! Eh oui! L'automne s'approche pour vous et le printemps pour nous. Certes, le vent est encore frais en Patagonie, mais il est des signes qui ne trompent pas: l'amandier du jardin est en fleur et, en mer, les baleines sont de retour...
Voilà presque un an que nous sommes en Argentine, dont 6 mois à Carmen de Patagones. Une année pleine de nouvelles expériences et amitiés... Nous aimerions vous partager un peu ce que nous vivons et découvrons dans ce pays et dans l'Eglise méthodiste...
Commençons par quelques chiffres sur l'Argentine: 2 796 427 km2 (5 fois la France), 37 millions d'habitants dont près de la moitié à Buenos Aires et environs... Des richesses naturelles immenses: gaz naturel et pétrole; une agriculture très diversifiée: les céréales (blé, maïs, sorgho), les oléagineux (soja, tournesol, arachide) sont les principales productions de la Pampa, tandis que les cultures tropicales se développent près des rivières andines (canne à sucre, coton, maté, tabac, fruits et légumes), l'élevage bovin est prépondérant dans la Pampa tandis que celui des ovins est centralisé en Patagonie. Enfin, l'Argentine bénéficie d'abondantes ressources hydroélectriques sur ses fleuves les plus importants.
Au début des années 90, avec trois autres pays d'Amérique du Sud, l'Argentine a suivi les "bons" conseils des organismes financiers mondiaux (FMI, Banque Mondiale) afin de régler définitivement le problème de la dette extérieure. Ces conseils proposaient des plans d'ajustement structurel avec des privatisations massives. Résultat: en 10 ans, la dette extérieure a plus que doublé et s'élève à 130 millions de dollars avec des intérêts annuels de 10 millions de dollars! Le taux de chômage a presque triplé, les emplois précaires sont majoritaires, 28% seulement de la population entre 20 et 65 ans a un emploi stable...
Cruelle description, mais qui se traduit dans une réalité quotidienne difficile pour les Argentins. Combien de familles cherchent simplement à survivre avant de vivre seulement! Les contrastes sont frappants entre par exemple des technologies avancées et une misère sociale visible par quartiers entiers... L'absence de protection sociale ne fait qu'accentuer la pauvreté. Celle-ci n'est malheureusement pas seulement sur le plan matériel bien que 9 millions de personnes vivent dans de mauvaises conditions. Elle l'est aussi dans les domaines de la santé, du logement et de l'éducation avec, par exemple, 1 200 000 enfants et jeunes hors du système scolaire... Chacun est plus ou moins livré à lui-même. La débrouillardise est trop souvent la règle... à la limite de l'illégal, la fraude et la corruption étant présentes à tous les niveaux de la société. "C'est le système qui le veut, ce n'est pas de notre faute..." entend-on fréquemment.
Carmen de Patagones fait partie de ces villes en Argentine davantage frappées par une situation socio-économique difficile. Il n'y a ici ni industries, ni entreprises importantes, ni agriculture développée... La municipalité procure de temps à autre un petit travail au "noir" (c'est-à-dire sans feuille de salaire, sans aucune déclaration et sans protection sociale) pour un mois aux personnes n'ayant aucun revenu, et les rétribue 200 pesos (1 peso = 1 dollar), ce qui n'est même pas le tiers de ce qu'il faudrait pour vivre. S'il y a davantage de personnes travaillant que d'argent disponible, la somme totale sera divisée par le nombre des travailleurs, l'apport financier descend ainsi parfois à 120 pesos par personne. Chaque personne employée de la sorte reçoit encore un sac alimentaire par semaine.
Quelques chiffres sur l'Eglise Méthodiste: Dès 1836, les premiers pasteurs méthodistes arrivent à Buenos Aires et rapidement une première église est construite. Aujourd'hui, on trouve en Argentine une centaine d'Eglises locales réparties en 7 régions, fréquentées par environ 8000 personnes, comptant près de 2000 membres, une soixantaine de pasteurs, 7 surintendants, un évêque. Les conditions économiques des membres reflètent la situation du pays, c'est-à-dire qu'un quart des personnes est au chômage et/ou dans la pauvreté.
L'Eglise de Carmen de Patagones compte 15 membres et une fréquentation de 15 à 20 personnes par culte. Sur ces 15 membres, trois ont une rentrée financière régulière (salaire ou pension de retraite) et deux ont une rentrée occasionnelle d'argent (travail temporaire, précaire, sous-emploi). Certaines familles vivent dans des conditions matérielles difficiles. Les activités de l'Eglise peuvent paraître "classiques": culte, étude biblique hebdomadaire, groupe de jeunes, club d'enfants, soutien scolaire, vestiaire... mais elles s'inscrivent dans la réalité argentine décrite plus haut.
Le club d'enfants rassemble une cinquantaine de "chicos" de 3 à 13 ans dont 4/5ème viennent de familles en difficulté sociale. Leçons bibliques, jeux, chants, goûter occupent une douzaine d'animateurs plus de deux heures du samedi après-midi. Le goûter est un moment important et intéressant, certains enfants le dévorent avec une telle avidité qu'elle semble témoigner de leur détresse... A une monitrice qui lui demandait pourquoi il venait à l'Eglise, un gamin de 8 ans lui a répondu: "C'est parce qu'ici on ne crie pas avec moi et je reçois du lait." Sans commentaire...
Par certaines visites que j'effectue, j'entre ainsi dans les foyers de plusieurs de ces enfants. Dans l'un on ne se parle qu'en criant, dans un autre on ne se parle pas, dans un autre encore on ne peut venir que lorsque le père n'est pas là, dans d'autres on n'est pas reçu ou c'est la mère qui n'est jamais là ou alors on est bien reçu, avec reconnaissance de ce que l'Eglise fait pour leurs enfants...
Comment vivre l'Evangile en paroles et en actes de façon cohérente? C'est une question présente dans notre quotidien. Au-delà de la langue, nous apprenons aussi à changer notre regard, à découvrir et comprendre d'autres mentalités, à vivre plus concrètement encore le partage et l'accompagnement... Les nécessités étant grandes, que, comment et à quelles répondre? Fort heureusement, Dieu n'est jamais dépassé par les événements "il tient le monde dans ses mains..."
......
Nous vous souhaitons un bon démarrage dans les différentes "rentrées" (des classes, des communautés...) que vous vivez certainement... En Europe comme en Amérique du Sud (et en Afrique !), avançons sur le chemin du Seigneur "les yeux fixés sur Jésus, qui est l'auteur de la foi et qui la mène à la perfection." (Héb 12/2). Amitiés, Etienne, Anne, Eve, Noé, Lucie
».

>Source: Etienne Rudolph