France, Paris: les églises chrétiennes contre le principe d'une loi sur le voile

 Les Eglises chrétiennes adoptent une prise de position commune: elles s’opposent à une loi qui interdirait le port de signes religieux dans l'enceinte de l’école, qu'ils soient ostentatoires ou non.


Les représentants catholique, protestant et orthodoxe, qui avaient déjà exprimé séparément leur opposition à une mesure législative, mettent en garde ensemble contre les conséquences d'une loi qui pourrait être "ressentie comme discriminante" par les musulmans. 


Ils déplorent également que le débat sur la laïcité prenne "des accents" d'une "laïcité de combat, alors même", soulignent-ils, "que nos Eglises pouvaient se réjouir depuis quelques décennies d'une laïcité +apaisée+". 


"Le religieux enfermé dans une chapelle»?


«Lorsque l’on remet en cause la création d’aumôneries dans les lycées, pourtant possible depuis 1905, que l’on veut supprimer le concordat en Alsace-Moselle et que reviennent des questions sur le financement de l’enseignement privé sous contrat, je me demande ce qui se passe», s’inquiète de son côté le président de la Conférence épiscopale, Mgr Jean-Pierre Ricard. «On voudrait enfermer le religieux dans une chapelle», dénonce Jean-Arnold de Clermont, qui fustige «cette conception de l’espace public où l’on ne pourrait apparaître comme juif, protestant, bouddhiste ou catholique». Une conception que «semblent encore avoir encore nombre d’hommes politiques, dont l’inculture en la matière est incroyable», s’étonne ,«navré», l’un des signataires.


Le métropolite Emmanuel rappelle, du côté orthodoxe, le futur article 51 du projet de Constitution européenne, qui officialise justement les relations entre les institutions européennes et les Églises : «C’est cette laïcité-là que nous souhaitons, où le rôle des religions dans l’espace public est reconnu, voire encouragé»



Les présidents de la conférence des évêques de France, Mgr Jean-Pierre Ricard, de la Fédération Protestante de France (FPF), le pasteur Jean-Arnold de Clermont, et de l'assemblée des évêques orthodoxes, Mgr Emmanuel ont signé cette déclaration remise le 8 au matin à l'Elysée. 


Ces trois institutions sont réunies dans le Conseil d'Eglises chrétiennes en France (CECEF). 


Malgré la forme un peu solennelle de leur mise en garde, les responsables chrétiens ont démenti toute volonté de constituer "un front commun des religions de France". 


"Le problème ne se pose pas en ces termes", a souligné Mgr Ricard lors d'un point de presse lundi tandis que le pasteur de Clermont indiquait qu'il s'agissait simplement de "participer au débat public". "Nous ne sommes pas un magistère moral", a-t-il ajouté. 


Dans leur texte, les signataires soulignent leur "profond accord sur une vision commune de la laïcité", une laïcité qui "n'a pas pour mission de constituer des espaces vidés du religieux, mais d'offrir un espace où tous, croyants et non-croyants, puissent débattre (...) dans une écoute mutuelle (...) sans affrontement ni propagande"


Pas question, pourtant, de nier "les difficiles questions autour du foulard islamique" à l'école.


Mais l’interdiction législative générale ne semble pas être la voie la mieux appropriée pour les responsables chrétiens. D’une part, elle est inapplicable, estime Mgr Ricard : «Si on interdit les signes religieux, il faudrait pouvoir définir le religieux! Le bouddhisme est-il une religion? On voit bien la difficulté. D’ailleurs, jusqu’ici, la loi se contente de parler de «culte», et non de religion»


D’autre part, l’interdiction du voile évite le débat et la pédagogie qui serait nécessaire aux yeux de l’archevêque de Bordeaux: «Veut-on transformer l’école publique en sanctuaire, où l’on laisserait nos différences de côté? Dès lors, où va se faire l’apprentissage d’une société pluraliste?» observe-t-il. D’ailleurs, contrairement à Jacques Chirac, le pasteur de Clermont refuse de se dire «agressé» par le port du voile à l’école: «Si une femme porte ce foulard comme signe de convictions qui sont les siennes, je ne suis pas agressé. Simplement, je lui fais part de mes interrogations sur ce que cela signifie au niveau des droits de la femme»


Les responsables concèdent néanmoins de la nécessité "de rappeler les règles pour vivre ensemble dans l'espace scolaire"..


La lettre reprend l'idée d'un "code de la laïcité", déjà avancée notamment par Jean-Pierre Raffarin, qui rassemblerait et ferait connaître toutes les réglementations en cours. 


Mais les responsables chrétiens posent la question: "faut-il légiférer pour interdire dans l'espace scolaire le port du voile islamique, et plus largement celui de tout signe religieux visible? Notre conviction est que ce n'est pas en légiférant que l'on résoudra les difficultés actuelles", soulignent-ils. 


Notamment parce que "toute loi qui serait sentie comme discriminante par un certain nombre de Français risquerait d'avoir à court terme des conséquences plus néfastes que les bienfaits escomptés", et parce que "le véritable enjeu" est "la réussite de l'intégration". 


"Nous constatons que les milieux où les revendications islamistes trouvent leur plus large écho sont le plus souvent ceux des +ghettos+ que nous avons laissés se constituer aux banlieues de nos grandes villes, où des islamistes durs recrutent des jeunes qui n’ont pas d’avenir, , relèvent les trois religieux, dont la dernière phrase de leur lettre au président de la République est un appel à "resserrer", voire "créer le lien social, le problème n’étant pas religieux, mais social», pointe encore le président de la Fédération Protestante de France (FPF).


Aussi, les responsables chrétiens refusent-ils de se voir taxés de «naïveté» face à l’islam. «Nous savons bien que des courants islamistes veulent tester par là la capacité de nos démocraties à répondre aux défis de l’intégration et du pluralisme", explique Mgr Ricard. "Il faut donc mettre des barrières. Mais il faut aussi savoir faire des distinctions: tous les Maghrébins ne sont pas musulmans, tous les musulmans ne sont pas intégristes ! De toute façon, on ne réussit jamais l’intégration d’un groupe religieux uniquement par l’interdit»


Les Eglises chrétiennes s'étaient déjà exprimées en ordre dispersé, notamment devant la commission Stasi. Le 10 novembre, à l'occasion de l'assemblée annuelle de l'épiscopat, Mgr Ricard avait qualifié les propositions de légiférer sur le voile de "régression de la liberté religieuse"


8 décembre 2003


Source: EEMNI/AFP/La Croix