Dans son numéro daté du 6 mars 2005 et un article signé Catherine Simon, le quotidien parisien le Monde évoque l’émergence de nouveaux chrétiens au Maghreb issus de l’islam. A ses yeux, c’est le signe d’une certaine poussée du protestantisme évangélique. Nous relevons quelques extraits de cet article, dans la mesure où ils concernent le témoignage de notre Eglise (Eglise Evangélique Méthodiste - EEM) en Algérie. D’un autre côté, le mensuel protestant MISSION de ce mois de mars (N°148-2005) y consacre tout le numéro en partant du constat indéniable de ces conversions, «musulmans, ils sont devenus chrétiens» avant de dresser ensuite leur profil type. Interrogée par le journal, Leila Babès, professeur de sociologie des religions à l’Université catholique de Lille, y défend pour tout homme le droit à la conversion. Divers témoignages sont insérés dans ce mensuel, dont nous relevons celui de Zohra devenue pasteure ERF. L’Eglise Evangélique Méthodiste est présente et active en Algérie comme en témoigne le pasteur ERF Philippe Perrenoud. Des conversions qui ne manquent pas de susciter des remous et de poser la question de la différence entre l'évangélisation bien comprise et toute forme de prosélytisme de mauvais aloi.
>>Nouveaux chrétiens au Maghreb
Myriam, Farid, Abou Ghali : ils ont quitté l'islam pour le christianisme. Qui sont ces convertis, qui, en Kabylie ou au Maroc, vivent leur nouvelle foi dans une quasi-clandestinité ? La poussée inédite du protestantisme évangélique, même marginal, suscite la controverse.
La première moitié de sa vie, Myriam a été musulmane. Une vraie de vrai. Ses parents, des gens "pieux", originaires de Grande Kabylie, lui ont inculqué les bases. Née en pleine guerre d'Algérie (1954-1962), à une époque où le hidjab et les barbus du Front islamique du salut (FIS) n'avaient pas encore été inventés, la jeune Myriam demeure, jusqu'à sa vingt-cinquième année, une croyante irréprochable.
De sa nombreuse fratrie, elle est même la "seule pratiquante". L'islam, explique-t-elle, "on s'y sent confortable. On est au-dessus des autres, puisqu'on a la religion suprême". Elle n'imagine pas, alors, les vertiges qui l'attendent. Ni les menaces de mort qu'elle et les siens, devenus chrétiens, vont récolter. Myriam est une convertie. Une de ces "m'tournis" (de "tourner sa veste"), accusés d'avoir quitté Mohamed pour Jésus-Christ et le protestantisme évangélique. Et qui font scandale aujourd'hui, de manière inédite, en Algérie et au Maroc.
Ce prénom de Myriam, elle l'a choisi elle-même, dès la fin des années 1980, contrainte, comme d'autres, de pratiquer sa religion de manière clandestine. Un prénom-pseudonyme, qu'elle préfère continuer à utiliser aujourd'hui. C'est en 1985, à l'école normale de Kouba, à la périphérie d'Alger, que la jeune femme, licenciée en biologie, se lie d'amitié avec une autre élève, très pieuse et kabyle, comme elle. "On parlait beaucoup de Dieu, mais on n'en parlait pas pareil : ça faisait de grands débats entre nous. Elle a mis beaucoup de temps à m'avouer qu'elle était chrétienne. J'étais effondrée", raconte-t-elle, le visage pâle, bouleversée par ce souvenir. "Pour une musulmane, devenir chrétienne, ça veut dire que vous reniez tout. Chez nous, l'histoire, la culture et la foi sont mêlées : c'était son identité et Dieu lui-même que mon amie avait trahis", insiste-t-elle. Aux yeux de Myriam, cette renégate est devenue "impure". Tout contact doit être banni. Plus question de la recevoir chez elle, plus question même de lui parler. Pis : si Myriam avait suivi son "devoir de musulmane", elle aurait dû la dénoncer. "Quelqu'un qui quitte l'islam devient comme une souillure et mérite la mort - cela se pratique dans certains pays", assure-t-elle.
Mais l'Algérie n'est pas l'Arabie saoudite. Au lieu de rompre avec sa copine, Myriam se met à prier pour elle. "Je la voyais perdue, égarée. Je priais pour qu'elle revienne à l'islam, c'est-à-dire, dans mon esprit, à la raison", explique-t-elle. Le mari de Myriam - "un musulman de Kabylie, pas trop rigide, ni très pratiquant", note-t-elle - lui conseille d'inviter l'" égarée" chez eux, afin de trouver " un moyen de l'aider". L'amie espère, de son côté, que Myriam, "grâce à Dieu", finira par l'accepter telle qu'elle est. Les discussions, un temps interrompues, reprennent donc de plus belle. La partie se révèle inégale. "J'essayais de la convaincre. Mais comment critiquer une religion dont je ne savais pratiquement rien ? Mon amie connaissait le Coran et la Bible. Pas moi", sourit Myriam. Inévitable, arrive le jour où son amie lui propose de lire "le livre des chrétiens". Myriam est effrayée. "Le simple fait de toucher la Bible, c'était un péché, un blasphème. Finalement, j'ai quand même dit oui. Toujours pareil : avec cette idée d'aller voir, de vérifier et de faire revenir mon amie dans le droit chemin."
La suite, c'est un peu l'arroseur arrosé, version religieuse. Durant l'été 1987, "l'été le plus terrible que j'aie jamais vécu", Myriam se plonge dans les Evangiles. "Chercher autre chose, aller en dehors de Mohamed, c'est interdit. Surtout quand on vous a inculqué l'image d'un Dieu redoutable, un Dieu du Jugement - un Dieu qui, dans l'islam, n'est jamais totalement d'amour : il est bourreau aussi, l'un n'allant pas sans l'autre. Surtout quand on vous a appris l'interdiction absolue de questionner le Coran", s'exclame Myriam, qui vit cette transgression avec beaucoup d'angoisse. "Jusque-là, ajoute-t-elle, Jésus était un prophète parmi d'autres. Et là, tout d'un coup, il me fascinait. En lisant le Nouveau Testament, je découvrais un texte facile d'accès - malgré quelques écueils. Cette simplicité m'émerveillait." La "crise" qu'elle vit est telle que la jeune femme en perd l'appétit et le sommeil. Jusqu'à cette nuit, décisive, où elle se met à "parler avec Dieu". Elle s'adresse à lui sans détour : " De ces deux livres, le Coran et la Bible, lequel dois-je suivre ? Où es-tu ? Dans quel Livre ? Dis-le moi et j'irai." Myriam ne parle pas de "révélation". Elle explique simplement qu'" une clarté" s'est faite en elle, "comme un voile qui se levait, quelque chose d'instantané : tout d'un coup, j'étais apaisée et heureuse. Jésus-Christ était le chemin". Myriam, à son tour, est devenue apostate. La pire des choses en islam - qui est religion d'Etat, en Algérie comme au Maroc.
Alger, février 2005. Le pasteur méthodiste Hugh Johnson, âgé de 71 ans, a bien connu Myriam. Elle, l'Algérienne, a finalement quitté son pays natal en 1994 ; après une solide formation en théologie, elle vient, à l'âge de 45 ans, d'être nommée pasteur dans le sud de la France. Lui, l'Américain natif du Kentucky, est resté à Alger. Il y vit depuis quarante-trois ans et a bien failli y mourir. Le matin du mercredi 19 janvier, "veille de l'Aïd el-Kebir", comme l'a relevé la presse locale, le vieil homme a été poignardé en pleine rue, devant l'église protestante de la rue Reda-Houhou, dans le centre de la capitale.
Un coup de couteau dans le dos, à la hauteur des reins. Le pasteur a été sauvé de justesse. Son agresseur, un "illuminé islamiste" selon certaines sources, un " aliéné mental" selon d'autres, n'a pas été arrêté. "C'est un avertissement, estime Hugh Johnson. Si j'étais mort, l'avertissement aurait été plus radical", ironise-t-il. Deux autres chrétiens avaient déjà été agressés, de la même manière, à Alger, à la fin de l'année 2004. Ils avaient toutefois été moins grièvement atteints. Le visage rond, la barbe blanche, visiblement remis de sa blessure, le vieil Américain assure qu'il ne se sent "ni amer, ni craintif". Mais "peut-être suis-je bête ?", plaisante-t-il, en recevant ses visiteurs dans le petit salon de lecture de la Société biblique, officiellement baptisée Société algérienne du livre culturel.
Le pasteur Johnson est une manière de dinosaure. L'un des derniers Mohicans protestants que compte l'Algérie. Les pasteurs de nationalité étrangère ne sont plus que "cinq ou six" aujourd'hui, assure-t-il. Une ou deux fois par an, la Société biblique importe, "à la seule demande des églises et avec le tampon du ministère des affaires religieuses", une moyenne de "mille à deux mille cinq cents ouvrages bibliques en arabe et mille à deux mille en français". Un chiffre "à peu près stable", ces dix dernières années. Le pasteur méthodiste, officiellement à la retraite depuis décembre 2004, n'a pas encore été remplacé. Vu l'environnement algérien, les candidats sont rares. Le départ du pasteur Johnson marquera la fin d'une histoire.
Débarqués en Algérie, à la fin du XIXe siècle, en même temps que les catholiques, les premiers protestants ont d'abord été des colons, qui se sont installés à travers le pays dans le sillage de l'armée française. Très vite vient le temps des prêtres et des pasteurs - ces derniers étant presque aussi souvent britanniques que français. Si l'implantation des Eglises est permise, le prosélytisme est en revanche formellement interdit : une clause en ce sens a été introduite dans l'acte de capitulation signé, en 1830, entre le dey d'Alger et le gouvernement français, soucieux de ne pas susciter l'hostilité des autorités musulmanes. D'emblée, les églises chrétiennes sont des églises pour étrangers.
>>La mission en Algérie d’hier à aujourd’hui
... En Algérie, malgré les efforts missionnaires plus ou moins souterrains, principalement menés en Kabylie, région historiquement rebelle, le nombre des Algériens convertis demeure proche de zéro. "Nous ne pouvons citer de chiffres, ce serait peut-être humiliant : si l'on veut un ordre de grandeur, j'indiquerai qu'en trente ans nous avons administré une quarantaine de baptêmes d'adultes à Tizi-Ouzou et que les deux tiers vivent comme des chrétiens", reconnaissait le pasteur Alfred Rolland, dans le rapport Eglise et mission en Algérie, qu'il présenta, en novembre 1956, à Oran. Les temps ont-ils changé ?
Au lendemain de l'indépendance, il y a bel et bien eu, en Algérie, un ministre des finances chrétien, Pierre Smaïn Maghroug, aujourd'hui installé en France, rappelle le Père Pierre Boz, aumônier catholique, qui dirige, à Paris, la Communauté des chrétiens originaires de Kabylie. En 1992, le nombre de ces derniers oscillait "entre quatre mille et six mille personnes", en majorité catholiques, la plupart exilées en France. "Le nombre des protestants n'est pas négligeable", relevait alors l'association. Treize ans plus tard, le paysage n'est plus le même.
Est-ce, comme le pense cette Algérienne chrétienne, rencontrée dans la capitale, à cause des violences terroristes perpétrées au nom de l'islam, dans les années 1990, que beaucoup de croyants ont laissé tomber le Coran ? "Les gens étaient tellement choqués. L'islam est donc capable de faire ça ? Ces massacres ? Ces enfants égorgés ? Ces femmes violées ? Beaucoup se sont demandé : qui est Dieu ? où est-il ? Certains se sont suicidés ou sont devenus athées. D'autres ont choisi Jésus." Elle fait partie de ceux-là. "Dieu a tourné le Mal en Bien : il n'y a jamais eu autant de conversions en Algérie que pendant le terrorisme ! Même à l'époque de saint Augustin, il n'y en a pas eu tant !", s'échauffe-t-elle. Une jubilation que la majorité des Algériens est loin de partager. "Contrairement aux Eglises historiques - catholique et protestante, reconnues par les autorités - les missions méthodistes, évangéliques et charismatiques, implantées depuis les années 1990, sont ouvertement prosélytes", écrit, dans son numéro du mois de mars, le mensuel protestant français Mission, qui consacre un important dossier à ces drôles de paroissiens du Maghreb, ces "musulmans, devenus chrétiens". Selon Linda Caille, rédactrice en chef de Mission, le nombre des conversions en Algérie serait de "mille par an", principalement en Kabylie. Sur une population nationale de plus de 32 millions d'habitants, mille conversions par an ne représentent pas grand-chose.
MÊME si elle se vérifiait sur dix ans, cette poussée du christianisme serait numériquement marginale. Il n'empêche ! En Algérie, les chiffres les plus délirants circulent. Croisade contre djihad ? "L'évangélisation en Kabylie (...) est le résultat d'un prosélytisme organisé et financé par une stratégie mondiale d'évangélisation des peuples musulmans", tonne, le 26 juillet, un journaliste du quotidien El Watan, cité par Mission. Selon ce pamphlétaire, il serait "de notoriété publique que la Maison Blanche, le Congrès et la CIA suivent et gèrent avec un grand intérêt l'expansion des Eglises évangéliques" dans le monde. Le reste de la presse fait chorus. "On m'a même accusé de payer 7 000 euros par conversion !", s'agace le pasteur Johnson. C'était avant son agression. Les cris des uns, fustigeant "une évangélisation qui agresse l'islam dans sa propre maison", ont-ils armé le bras des autres ? En tout cas, les députés islamistes ne sont pas en reste, ni le Haut Conseil islamique (organisme gouvernemental) qui décide, fin 2004, de diligenter une enquête afin de "mesurer l'ampleur" du phénomène. On en attend les résultats.
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>>En Kabylie
Au-dessus de Tizi-Ouzou, les montagnes de Kabylie sont blanches. La neige, tombée en abondance, n'a pas empêché les fidèles de se presser vers les lieux de culte. Celui que dirige Farid est un simple garage, aménagé en temple. "Ce vendredi, vingt et une personnes sont venues des villages alentour jusqu'ici", annonce-t-il fièrement. Farid préfère lui aussi qu'on ne donne pas son nom ni celui de son bourg. Même si, "ici, en Kabylie, les gens sont tolérants. Tout le monde ferme les yeux, même la police. Si je devais travailler à Alger, je ferais vraiment attention", ajoute-t-il. Parmi ses ouailles, on trouve quelques hommes et beaucoup de femmes. L'un est plâtrier peintre, une autre est secrétaire, une troisième ouvrière au chômage - contrainte de démissionner de l'usine où elle travaillait, "après que la direction a appris - qu'elle était - chrétienne", assure-t- elle. Tous sont persuadés que la Kabylie est en train de connaître ce qu'en jargon protestant on appelle un "réveil"- c'est-à-dire une expansion des conversions, survenant après une longue période de "sommeil". Il est vrai que le nombre des églises affiliées à l'Eglise protestante d'Algérie (EPA, représentée par le pasteur Johnson) est passé, en cinq ans, de quatre à treize - sans compter une "liste d'attente de quinze demandes", précise-t-on à Alger. Farid et les siens sont résolument optimistes. "On a tous vécu des miracles", insistent-ils. Signe des temps : en 2004, pour la première fois, "une dizaine de missionnaires algériens" sont partis évangéliser "au Niger, au Tchad et en Mauritanie". Et pour la première fois aussi, un groupe de "trois missionnaires algériens" s'est rendu en France, ajoute Farid, pour "porter la bonne parole en Alsace, à Lille, à Lyon et à Marseille".
Sébastien Fath, lui, ne croit pas aux miracles. "Ces phénomènes ne tombent pas du ciel, contrairement aux interprétations de la littérature pieuse. Ils s'expliquent par une longue évolution des sociétés musulmanes", souligne l'historien. Il conclut : "En plus de quarante ans d'indépendance, le Maghreb a testé le nationalisme, l'islam politique et la dictature débonnaire. On peut faire l'hypothèse d'une déception chez une partie des Maghrébins, face à ces grands récits qui n'ont pas tenu leurs promesses. Les progrès du protestantisme s'inscrivent dans ce mouvement qui intègre le religieux dans la problématique plus vaste de la culture démocratique."
>>Témoignage de Zohra publié par MISSION
Je me suis convertie il y a 17 ans. tétais étudiante en biologie à l'école normale d'Alger; musulmane, pratiquante, sans tchador. Je n'étais pas du tout en «mal de sens». l'avais une amie Kabyle avec qui je m'entendais bien, mais lorsque nous parlions de Dieu « en général », nous n'arrivions jamais à nous comprendre. Elle m'a alors avoué qu'elle était chrétienne. tétais effondrée, c'était impossible pour moi d'être algérienne et chrétienne. l'ai accepté la Bible qu'elle me tendait en me disant, dans mes prières musulmanes, que j'arriverais à la ramener à la raison. Je n'arrivais pas à décoller mes yeux des Évangiles, j'alternais leur lecture avec celle du Coran. tétais jeune mariée, avec un enfant en bas âge, mon mari ne comprenait pas ce qui m'arrivait. Une crise de doutes mêlée de craintes terribles m'a envahie. Je culpabilisais de cette attirance pour le Christ, je me disais que ce serait vraiment exceptionnel si Dieu pouvait être si simple et si accessible. Pendant trois mois, je suis restée malade; dans la prière, j'ai rendu les armes et demandé à Dieu de se faire entendre de moi, sa réponse fut immédiate. C'était en 1987. Pendant un an, j'ai vécu ma foi seule, encouragée par mes partages occasionnels avec mon amie; mon mari s'est converti, tout comme sa famille, mais la mienne n'a rien voulu entendre de mes choix. Des interpellations des services secrets ont débuté. Il fallait être discret. Il n'était pas question pour nous de quitter notre Église même si elle était clandestine. Pendant les années noires (1993-1998), nous avons changé de quartier, mais notre religion était connue. Des professeurs de français et d'anglais étaient assassinés. Nous avons tout supporté, même le linceul accroché à notre porte. l'ai craqué lorsque, par un coup de téléphone anonyme, quelqu'un m'a menacée de s'en prendre à mes enfants. Nous nous sommes rapprochés de l'Église Réformée d'Algérie, des pasteurs Hugh Johnson et Philippe Perrenoud. Nous avons quitté l'Algérie en 1996 pour étudier la théologie à Montpellier.
>>Interview du pasteur Philippe Perrenoud au journal MISSION
Philippe Perrenoud est pasteur de l'Église réformée. Il a passé son enfance en Algérie. Dans les années noires du terrorisme (19931998), il a pensé que pour mettre en pratique ce qu'il prêchait, il lui fallait aller donner un coup de main là-bas. C'est pourquoi, depuis 1996, il y passe deux fois par an un mois, il remplace le pasteur d'Alger, Hugh Jonhson. Ce dernier a été poignardé par un inconnu fin janvier 2005, au centre d'Alger. Grièvement blessé, il est hors de danger. Âgé de 71 ans, il vit en Algérie depuis 43 ans. Il a été décoré de la légion d'honneur, à l'ambassade de France, en novembre dernier.
>Que pensez-vous du phénomène de «réveil évangélique» en Kabylie?
En tant que chrétien on ne peut que se réjouir que de nouvelles personnes connaissent l'Évangile. Les Églises historiques ont à apprendre de ces églises de pentecôte, surtout dans la façon dont elles vivent leur foi. La poussée fondamentaliste suscite, d'un autre côté, des inquiétudes. La poussée évangélique n'est pas l'apanage de l'Algérie, regardez ce qui se passe en Afrique noire ou en Amérique du Sud.
>À inquiétudes faites-vous allusion?
La transmission de l'Évangile, c'est bien mais de quel évangile s'agit-il? Ces petits mouvements qui ne sont pas reliés entre eux, et sans aucune doctrine, risquent de partir dans tous les sens par manque de bases théologiques sérieuses. Cette conversion ne cache-t-elle pas uniquement la transposition d'une lecture fondamentaliste à une autre? La conversion est-elle suscitée par des intérêts financiers ou dans l'espoir d'obtenir un visa? Ou bien est-ce une fuite mystique? Je remarque que le mouvement islamiste agit aussi de même ici et là-bas. Les Églises historiques ne sont jamais entrées dans le jeu du prosélytisme. Certains journaux antichrétiens affirment que ces mouvements naissent pour empêcher l'unité nationale algérienne. Là encore, je ne crois pas que ce soit le but des missions américaines.
>Quelle est la cible de cette « offensive fondamentaliste?»?
Elle touche en priorité les jeunes adultes issus de milieu modeste, génération en perte de repères traditionnels. Indéniablement ces jeunes ont une plus grande liberté culturelle, la volonté de s'affirmer personnellement et sans doute de marquer une certaine liberté par rapport au contexte arabo-nationaliste de ces missions ? C'est un phénomène important mais certainement surmédiatisé. Il est difficile de chiffrer les résultats. Je pense que si les missionnaires américains sont entendus c'est parce que leur façon de vivre leur foi, de l'exprimer n'est pas sans une certaine similitude avec le vécu d'un Islam traditionnel mêlé de « maraboutisme ». Les phénomènes extatiques pentecôtistes réveillent un certain écho.
>Quelle est la position du gouvernement algérien face à ce « réveil »?
Il me paraît coincé. La Constitution algérienne garantit la liberté de culte. C'est un paradoxe. Les Églises n'ont pas le droit de faire du prosélytisme mais rien ne peut interdire l'autoconversion. Chacun est libre d'acheter dans une librairie une Bible ou des ouvrages religieux chrétiens.
>Comment vit-on en tant et chrétien dans un monde islamique?
Bien, indéniablement bien. Pour la bonne raison que, dans le monde musulman, c'est un devoir d'accueillir l'étranger. Dans les années noires, les gens du quartier ont protégé l'Église. Et l'agression dont a récemment été victime le pasteur Johnson n'y change rien. Il s'agit sans doute d'un acte isolé, peut-être « motivé» par des discours incendiaires dans des mosquées. À mon avis les clivages importants n'existent pas seulement entre les musulmans et les chrétiens mais aussi à l'intérieur de nos communautés respectives... Ce sont les différences de fonctionnement entre communautés de types sectaires ou identitaires.
>Quel est le rôle des Eglises historiques?
Au plus fort du terrorisme, c'était d'être là dans une Algérie coupée du monde extérieur (les Églises étaient quasiment les seules «O.N.G. » à être restées...). Le peuple algérien y a été très sensible; il y a un « capital de sympathie» envers les chrétiens. Au cours d'un ramadan, une famille algérienne m'apportait tous les jours le repas du soir parce que, pour elle, le ramadan était un temps de partage. Mais d'autres pensaient qu'il s'agissait d'un acte intéressé (visa ou autre). Je ne savais comment la remercier et son chef de famille m'a dit: « Priez pour nous! » Nous ne pouvons peut-être plus en rester à une simple présence (comme dans un passé encore récent), mais apporter une parole plus explicite, l'approfondir. Apporter un témoignage avec ce que nous avons de spécifique.
Propos recueillis par Claude Walch dans le journal du DEFAP MISSION N°148 - mars 2005
Source: EEMNI/Le Monde/Mission