Le journal «Le nouvel Observateur» a presente un dossier choc en titrant, à la une de sa publication, «Les évangéliques, la secte qui veut conquérirle monde».
Réalisé par Zlimane Zeghidour et Sophie des Déserts, ce dossier présente le courant religieux évangélique de «500 millions de fideles qui croient à l'Harmaguédon», avec un reportage aux Etats-Unis, en Virginie et au Brésil. Au milieu de ce dossier, la présentation d'un article sur les évangéliques de France, montrant que leur plus cher désir serait de convertir les musulmans, peut surprendre le lecteur.
Le secrétaire de l'Alliance Evangélique française, le pasteur Stéphane Lauzet, a réagi fortement en dénonçant, avec raison, les «contrevérités et le manque de nuances» dans un courrier qu'il a adresse
aux auteurs de ce dossier. II se dit particulièrernent choque par I'utilisation du mot «secte» à connotation péjorative et appliqué aux évangéliques, mais surtout par I'amalgame fait avec certains évangéliques americains qui «glissent vers un messianisme politique» et qui ne représentent pas du tout la réalité française. Stéphane Lauzet rappelle que «les évangéliques, composante importante du protestantisme français, représentent environ 350 000 personnes en France avec 1800 lieux de culte». Le secrétaire général de I'Alliance Evangélique française invite donc les journalistes du Nouvel Observateur à «un travail d'investigation approfondi pour montrer la diversité évangélique. On s'aperçoit alors, que les évangéliques n'ont pas tous des positions extrémistes qui rejettent les apports de l'archéologie et qu'ils savent faire la part des choses.»
S'il est sûr que ce milieu chrétien est une force numérique croissante dans le monde, on ne peut pas affirmer d'emblée le danger, voire la nocivité des évangéliques. Pour Stéphane Lauzet, «le désir d'évangéliser conduit à des actions en direction de l'ensemble de la population et non des seuls musulmans, comme semblerait le faire croire l'article».
C'est peut-être la première fois dans l'histoire récente que trois fédérations distinctes élèvent la voix simultanément avec force pour protester du contenu d'un dossier de presse jugé tendancieux. Le fait suffisamment rare mérite d'être relaté.
Voici la réaction successive de la FEF, AEF et FPF
1) Fédération Évangélique de France
Le dossier du Nouvel Observateur N° 2051 intitulé «Les évangéliques la secte qui veut conquérir le monde» traite surtout des évangéliques aux USA. Il est hasardeux et réducteur de classer 70 millions de croyants dans une secte! Tous les évangéliques américains n'approuvent pas la politique de Georges W. Bush.
Le titre et le ton provocateur employés par les auteurs ont blessé les évangéliques français dans leur grande majorité. La Fédération Évangélique de France (FEF) partage l’émotion de l’Alliance Évangélique de France, de la Fédération Protestante de France, de l’Union Nationale des Assemblées de Dieu et d’autres.
Après le débat sur la laïcité, le climat est, en France, assez tendu sans qu'il soit besoin qu'un journal comme Le Nouvel Observateur néglige de relever certaines différences essentielles entre les évangéliques français et américains. Ce qui aurait permis d’éviter l'amalgame que vous avez provoqué dans l'esprit du grand public. Votre vocation n'est-elle pas d'informer avec clarté?
Les évangéliques français respectent la laïcité républicaine. C’est pourquoi ils sont organisés, dans leur grande majorité, en association 1905. Ainsi selon les statuts de leurs Églises, ils s'abstiennent de toute activité politique. Cette différence aurait mérité votre attention et vos commentaires !
Les évangéliques sont en forte progression. En quoi leur vitalité fait-elle automatiquement d'eux des prosélytes ou des sectes? Si l'immense majorité des croyants témoigne de sa foi personnelle, elle le fait dans le respect de la liberté de conscience de chacun. Comme d’autres partagent leurs convictions politiques ou syndicales, souvent avec des moyens semblables: concerts, conférences, expositions, etc. Les sectes sont, elles, biens connues des autorités, autant par leurs méthodes que par leurs dérives.
Pourquoi Le Nouvel Observateur ne consacrerait-il pas un dossier sérieux sur les «évangéliques en France» en enquêtant auprès de ses différentes instances représentatives?
Alain STAMP chargé de communication de la Fédération Évangélique de France.
2) L'Alliance Evangélique Française
Madame Sophie des Déserts
Monsieur Slimane Zeghidour
Je viens de prendre connaissance de votre article consacré aux Evangéliques. Je note avec satisfaction que votre connaissance du sujet vous a évité de faire l’erreur si commune de confondre Evangéliques et Evangélistes, même si par ailleurs je relève un certains nombres d’erreurs, que la lecture des ouvrages que vous citez en bas de page aurait dû vous épargner , et qui sont à la limite de la diffamation . Je tiens donc à faire les remarques suivantes:
1) Je m’étonne du titre donné: vous n’êtes pas sans savoir que le mot secte a une connotation péjorative et je m’interroge sur son utilisation dans une assimilation sans nuance (Les Evangéliques= une secte) qui est en plein décalage avec la réalité. Je prendrai comme seul exemple de ce décalage le dialogue qui existe entre l’ Eglise Catholique Romaine et l’Alliance Evangélique Mondiale .
2) Ce même titre comporte un autre raccourci regrettable: celui-là même qui consiste à parler des Evangéliques, comme s’il s’agissait d’un groupe uniforme. L’essentiel de votre article est consacré aux Evangéliques nord-américains et brésiliens. Jusqu’à présent la presse française (le Nouvel Observateur compris), avait su faire la différence entre le mouvement évangélique américain et le mouvement évangélique européen. La façon dont vous rédigez votre article tend à faire l’amalgame: c’est non seulement regrettable, mais objectivement faux. S’il est vrai que certains évangéliques américains glissent vers un messianisme politique, je ne pense pas que ce soit vrai de tous les évangéliques, y compris aux Etats-Unis. En tout cas, la réalité en France est toute autre. On l’a bien vu à propos de la guerre en Irak
3) Dans les deux colonnes consacrées aux Evangéliques en France, vous soulignez que «les Evangéliques forment en France une galaxie très mouvante de courants qui échappent à toute vision d’ensemble ». Je regrette que votre enquête ne vous ait pas amenés à prendre connaissance d’une réalité sensiblement différente.
4) Les Evangéliques en France sont une composante importante du protestantisme. Ils ont environ 1800 lieux de culte et représentent environ 350000 personnes, soit un tiers environ du nombre total de protestants. D’une part, un certain nombre d’entre eux font partie de la Fédération Protestante de France. D’autre part, la soixantaine de dénominations qui composent les Evangéliques en France, se retrouvent au sein du CNEF (Conseil National des Evangéliques en France) créé en 2001 à l’initiative de l’Alliance Evangélique Française et de la Fédération Evangélique de France. Leur diversité peut surprendre et mérite un vrai travail d’investigation. On s’aperçoit alors que les évangéliques ne sont pas tous des fondamentalistes qui rejettent les apports de l’archéologie ou sont aveugles au point de ne pas faire la part des choses , y compris dans le conflit Israélo-palestinien.
5) Il est vrai que les Evangéliques sont en expansion partout dans le monde: leur dynamisme et la force de leur conviction sont remarquables mais leur foi ne se limite, en aucune façon, à une attente messianique (dont la formulation concernant le millenium est d’ailleurs plus diverse que votre description ne le laisse penser). Leur foi les amène aussi à oeuvrer pour le bien être de leurs contemporains. Bon nombre de leurs actions vont, comme celles d’autres chrétiens, dans le sens d’une amélioration des conditions de vie, de la lutte contre la pauvreté et l’injustice, et pour les droits de l’homme. Pour mémoire, Henri Dunant, fondateur de la Croix Rouge était membre de l’Alliance Evangélique. Il est vrai que ces actions peuvent paraître bien faibles tant les besoins sont immenses … La motivation, en tous cas, est claire: partager, sous tous ses aspects, l’amour du Christ pour l’humanité.
6) Je vous remercie par avance de bien vouloir porte ces remarques à la connaissance de vos lecteurs : elles compléteront utilement votre article. Je reste à votre disposition pour de plus amples renseignements.
Stéphane Lauzet
Secrétaire Général de l'Alliance Evangélique Française
3) La Fédération Protestante de France
Suite au dossier publié sous le titre «Les évangéliques, la secte qui veut conquérir le monde», vous avez dû recevoir une lettre du Pasteur Stéphane Lauzet, secrétaire de l'Alliance évangélique française, à laquelle je souscris pleinement.
J'y ajoute les quelques remarques suivantes:
Sous la pression de l'ignorance ou de la mauvaise foi des médias, les Eglises protestantes de France devront-elles abandonner le beau nom d'«évangéliques»?
Plus de la moitié d'entre elles portent ce nom: Eglise évangélique luthérienne, Union des Eglises évangéliques, Eglises réformées évangéliques indépendantes, Mission évangélique tzigane...! Ce faisant, elles indiquent explicitement, ce qui est commun à toutes les Eglises, qu'elles placent l'Evangile (la bonne nouvelle) de Jésus Christ au cour de leur message. Le mot vient s'inscrire aux côtés d'autres appellations qui indiquent soit leur origine historique - luthérienne, réformée, pentecôtiste, baptiste - soit leur mode d'organisation - presbytérien, synodal, épiscopalien.
Mais toutes se savent «évangéliques», qu'elles portent ou non ce titre.
Or les voilà assimilées à «une secte». L'amalgame est honteux. Mieux que d'autres, peut-être, parce qu'elles ont un sens développé de la liberté, elles savent que ce risque guette tous ceux qui se laissent porter par de fortes convictions. Mieux que d'autres, elles ont appris à s'en défendre par le débat interne, la critique fraternelle. Les Fédérations, évangélique ou protestante, en France en sont de vivants exemples. Elles ont dénoncé vigoureusement les dérives de certains mouvements religieux américains qui ont confondu les voies de Dieu et les aventures guerrières de Georges Bush; comme elles ont critiqué les prises de positions partisanes dans le conflit israélo-palestinien. Qu'on veuille bien se souvenir de la manière dont les protestants français se sont fait l'échos de leurs frères et soeurs des Eglises américaines résistant avec vigueur à la «croisade» menée contre les «forces du mal», affirmant leur refus d'un soi-disant choc des civilisations qui les dresseraient contre l'Islam.
Ces Eglises, nos Eglises, acceptent la critique. Elles refusent l'amalgame et la mauvaise foi, les raccourcis trompeurs et la chasse aux sorcières*. Elles demandent d'être respectées pour ce qu'elles sont, et de n'être pas de celles dont on peut dire n'importe quoi impunément, au nom de la liberté d'expression à laquelle elles sont si fortement attachées.
En définitive, ce que demande nos Eglises, c'est de l'honnêteté intellectuelle. N'est-ce pas le moins que l'on puisse attendre d'une presse libre.
Jean-Arnold de Clermont
Président de la Fédération protestante de France**
Notes:
En voici quelques exemples:
- parler de Bush comme d'un évangélique, alors qu'il n'appartient pas à une Eglise évangélique
- parler des évangéliques en reconnaissant qu'il y a de grandes différences entre eux;
- mélanger des qualificatifs sans rapports les uns avec les autres (protestants = référence historique, expansionniste = référence politique, millénariste = référence théologique, apocalyptique = référence de science fiction);
- faire des «born again» un mouvement alors qu'il y en a dans toutes les Eglises;
- Ecrire que la doctrine évangélique est le mouvement qui progresse le plus. Une doctrine n'est pas un mouvement.
- Etc.
** La Fédération protestante de France regroupe 17 Eglises et environ 500 associations issues de ces Eglises, soit environ les deux tiers du protestantisme français
Source: BIA/AEF/FEF/FPF/EEMNI