Macédoine: décès tragique du président Boris Trajkovski dans un accident d'avion

Cruelle perte pour la Macédoine: le président Boris Trajkovski se tue dans un accident d'avion en Bosnie en même temps que plusieurs autres responsables macédoniens. Ils allaient en délégation à une conférence internationale à Mostar. Le crash ne laissera aucun survivant.


Boris Trajkovski, 47 ans, était un ferme défenseur de la tolérance ethnique dans un pays qui a été en 2001 le théâtre d'un conflit entre forces gouvernementales et guérilla albanaise. Elu en 1999, il décède le jour même où la Macédoine devait officiellement soumettre sa candidature à l'entrée dans l'Union européenne. La cérémonie prévue jeudi à Dublin a été aussitôt reportée sine die. 


Les premiers hommages"


Les hommages affluent à l'adresse du pacificateur de la Macédoine.


Le premier ministre irlandais Bertie Ahern, à la tête de la présidence tournante de l'UE, a rendu hommage à Boris Trajkovski qui a "largement contribué à la réconciliation en Macédoine". "Ce jour aurait dû être un jour de réjouissance pour lui", a-t-il déploré, évoquant le soutien ferme du président à l'ambition européenne de son pays.


Regrettant la disparition d'un "grand homme", ami de l'Europe, le Haut représentant de l'Union européenne pour la politique extérieure, Javier Solana, a rendu un vibrant hommage à "l'homme de passion, à l'homme qui a fait avancer son pays, non seulement par les réformes mais aussi pour le rapprocher le plus possible de l'Europe". "J'étais son ami, j'étais avec lui dans des moments très difficiles", a déclaré l'ancien secrétaire général de l'OTAN. "Ce sera très dur pour le peuple macédonien de combler ce vide". 


"C'est une journée triste pour l'Europe qui a perdu un ami et un partisan de la tolérance qui est notre principe fondateur", a déclaré de son côté le président de la Commission européenne, Romano Prodi. 


La Macédoine avait signé en avril 2001 un accord d'association et de stabilisation avec l'UE. 


Pour sa part, le président croate Stipe Mesic, en visite à Bruxelles, a déploré la mort de son homologue macédonien et estimé que son décès allait avoir des "conséquences politiques" pour l'ensemble des Balkans. 


"Je devais rencontrer Boris à la Conférence sur les investissements en Bosnie. Ensemble avec lui et d'autres présidents de la région nous avions oeuvré pour la réconciliation et la stabilisation dans le sud-est de l'Europe", a déclaré M. Mesic. 


L'homme, avocat, prédicateur laïc au sein de l'EEM


Né en 1956, dans le village macédonien de Strumica, Boris Trajkovski avait passé son diplôme de droit à l'Université St. Cyrille et Méthode de Skopje en 1980 et s'était spécialisé dans le droit commercial et social. Sa femme, Vilma, était employée par la Banque Nationale de la République de la Macédoine. Il partira aussi étudier la théologie aux Etats-Unis. Là-bas, il renoncera au communisme et s'éloignera de la religion orthodoxe pour finir par être ordonné prédicateur laïc au sein de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM) dans un pays principalement orthodoxe et musulman; il suivra tout particulièrement les activités parmi la jeunesse au sein de l'Eglise Evangélique Méthodiste(EEM). Il deviendra bientôt le président du Conseil de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM) en Macédoine. Il était marié et père de deux enfants.


Le politicien rompu à l'art du dialogue"


Figure atypique de la politique macédonienne, il avait commencé sa carrière en 1998 dans le parti de centre droit VMRO-DPMNE de l'ancien Premier ministre Ljubco Georgievski, dont il fut le vice-ministre des Affaires étrangères. L'année suivante, il était élu second président de l'histoire de la République de Macédoine. 


Dès son arrivée au pouvoir, il avait dû faire face à la crise du Kosovo en 1999. Le président Trajkovski avait appelé la communauté internationale à l'aide pour surmonter la crise humanitaire liée à l'afflux de réfugiés albanophones fuyant la répression des troupes yougoslaves dans la province serbe. Le pays avait ouvert sa frontière et ses maisons, et autorisé le stationnement de troupes de l'OTAN en préparation des frappes punitives sur la Yougoslavie. 


Mais en février 2001, les tensions ethniques avaient débordé en Macédoine, confrontée à une insurrection albanophone. Les responsables de la minorité albanophone (un quart des deux millions d'habitants), réclamaient davantage de droits. En six mois d'âpres conflit, ce président modéré, adepte du franc-parler et pro-occidental avait su conduire le pays vers un accord de paix, sous les auspices de l'Otan, mettant fin à des mois d'affrontements armés et empêchant la violence de tourner à la guerre civile. Ce succès politique lui a valu la reconnaissance de la communauté internationale et de l'Eglise Evangélique Méthodiste, dont il était un membre actif. 


Lauréat du prix de la paix méthodiste 2002 


Boris Trajkovski recevra à Oslo le 18 septembre 2002 le Prix Méthodiste Mondial de la Paix 2002 pour son rôle actif dans la stabilisation de cette région des Balkans "Chaque nation lutte pour la paix," a relevé Trajkovski à cette occasion. "Mais la seule paix qui dure pour toujours, on la trouve dans une relation véritable et durable avec Jésus Christ." Il était fier de recevoir cette très haute distinction de membres de sa propre famille spirituelle. "Cela signifie que je suis toujours dans leurs coeurs et leurs prières et qu'ils seront toujours derrière moi," a-t-il fait remarquer avec le sourire.


"Un Président confronté aux agitations ethniques"


Cet homme s'est montré sur le terrain comme un homme de paix toujours soucieux de la concorde entre ethnies: "Chaque nation lutte pour la paix," a dit Trajkovski dans son discours. "Les habitants de la Macédoine méritent qu'on leur crédite la paix, a-t-il ajouté. Ils "cherchent la lumière," a-t-il ajouté et il a demandé qu'on prie pour eux. "Au cours de l'année écoulée, pendant la période de ma vie la plus stimulante, j'ai fait l'expérience des paroles du Christ, j'ai vécu avec ses paroles et j'ai survécu seulement à cause de ses paroles," a-t-il précisé.


A un moment donné, il a été dans l'obligation de décider d'une action militaire; il lui a été très difficile de prendre cette mesure, at-il reconnu aux membres du comité exécutif du Conseil Méthodiste Mondial dans sa brève intervention du 19 septembre 2002. "Je savais que la signature de ces documents allait à l'encontre de tout ce que je croyais, mais je savais aussi qu'il fallait mettre dans la balance mes responsabilités présidentielles." 


"Son fort: le pragmatisme et la vie spirituelle"


Plus tard, au cours d'une discussion avec son administration, il avait laissé entendre qu'il ressemblait à un homme passant au milieu d'un feu, mais "Dieu était bien là avec moi." Trajkovski a dit qu'il priait le matin et la nuit et mettait sa vie dans les mains de Dieu.


L'évêque Sunday Mbang du Nigeria, président du Conseil Méthodiste Mondial, a remis ce jour-là le prix à Trajkovski en relevant son courage comme responsable et sa contribution inestimable à la stabilisation de son pays; il a aussi relevé son engagement à la tête du gouvernement veillant à l'équilibre des forces en présence et à l'établissement de la paix dans une région passée du socialisme à la république; il a enfin relevé sa créativité comme leader mondial et comme disciple de Jésus Christ; pour toutes ces raisons, "le Conseil Méthodiste Mondial a souhaité honorer Boris Trajkovski en lui remettant le prix méthodiste mondial de la Paix pour l'année 2002," a dit Mbang.


"Pour le dépassement des réflexes communautaristes"


Dans un monde en proie aux dissensions ethniques et aux convulsions nationalistes, Boris Tarjkovski a su donner l'exemple de la paix et comme tel avancé pour son pays un modèle de société où chaque ethnie trouve sa place. Son pays, pion central de l'échiquier balkanique longtemps assimilé à une poudrière, la Macédoine, gagne à ses yeux à comprendre tous ses habitants, à la fois des Macédoniens et des Albanais vivant ensemble en bonne intelligence; sa vision des choses lui a permis de se rallier les voix albanaises au cours des élections de 1999. Trajkovski a aussi joué un rôle crucial dans l'adoption par le Parlement de la Macédoine d'une nouvelle constitution reconnaissant le droit à l'existence de la minorité albanaise aussi bien que des principaux groupes religieux non-orthodoxes. Ces groupes comprennent des Catholiques Romains, des Juifs, des Musulmans et des Méthodistes. ont deux enfants.


"La réconciliation, ligne directrice de son programme"


Pendant la guerre au Kosovo voisin, Boris Trajkovski avait participé aux opérations de secours auprès des réfugiés en Macédoine et s'était fait connaître pour son impartialité et ses efforts pour favoriser la réconciliation entre Serbes et Albanais. En contribuant à son élection à la tête du pays en 1999, es Albanais, qui représentent de 25 à 30 % de la population, lui en savent gré. "Il n'aurait pas été élu s'il n'avait pas reçu les voix de la population albanaise de Macédoine", estime l'évêque méthodiste Henri Bolleter. Trajkovski optait résolument en faveur d'une réconciliation pacifique lors d'un discours prononcé le 23 février 2001 au sommet du Processus de coopération en Europe du Sud-Est. "Notre région est une vraie mosaïque, composée d'une variété de systèmes de valeurs, de cultures, de religions, de langues et de groupes ethniques", déclara-t-il. "Les frontières ethniques ne peuvent pas être une partie de la solution. Nous devons construire des Etats composés d'individus, non de groupes ethniques".


Dans une de ses éditions en 2001, l'hebdomadaire allemand "Die Zeit" a décrit la politique mise en oeuvre par Trajkovski en des termes élogieux. "Aujourd'hui sans Trajkovski, il n'y aurait pas d'accord entre les Macédoniens et les Albanais. Ce faisant, il n'a rien fait d'autre que de remplir son devoir de président. Il a cru dans la Macédoine; aimable, persévérant et capable d'une confiance aveugle," ainsi "die Zeit"


"Président et conciliateur, spécialiste de la résolution des conflits"


Au cours des 14 dernières années, Trajkovski a participé à maintes conférences internationales portant sur la résolution de conflits, la tolérance religieuse et la liberté religieuse. Sa biographie officielle insiste sur son implication dans l'amélioration des relations de la Macédoine avec les autres pays. Il ne croyait pas si bien dire quand il se définissait président et conciliateur: "Dieu m'a appelé à être président et conciliateur."


Boris Trajkovski était conscient de la gravité de sa charge et s'en était ouvert: "Je veux être le président de tous les citoyens de Macédoine", souligne-t-il. Il était convaincu de devoir représenter également les intérêts des Macédoniens, des Albanais, des Roms, des Grecs et des Serbes, des Bulgares et des Valaques. Lui-même représentant d'une forte minorité, il était censé défendre les droits à l'existence de toutes les minorités qui composent la nation macédonienne: "Je suis méthodiste, c'est à dire le représentant d'une minorité de 0.1%. Et j'ai été élu à la présidence". Il a été grand praticien du dialogue entre les communautés. "Pour ce qui est des droits des groupes, nous dialoguons depuis 10 ans", pousuit-t-il. "Et nous allons continuer à le faire à l'avenir. Mais nous ne pouvons pas discuter d'une solution qui mettrait en cause l'intégrité du pays et sa stabilité à long terme." Contre toute vélléité guerrière et terroriste, Boris Trajkovski était pour le recours aux institutions démocratiques. "Nous ne pouvons rien faire d'autre que d'indiquer, encore et toujours, que pour agir, la seule voie possible est celle des institutions démocratiques. Nous devons renforcer l'éducation à la tolérance et aller ensemble vers l'Europe". Le dernier pas avant l'intégration de la Macédoine à l'Union Européenne devait être franchi ce jeudi à Dublin mais la Providence en a décidé autrement.


"Praticien de la laïcité ouverte et militant de la paix tous azimuts"


Boris Tarjkovski a fondé son combat politique sur sa foi chrétienne. Loin de reléguer la foi dans la sphère privée, cet homme public a fait souvent état en public de l'importance de la foi dans la conduite des affaires publiques, donnant par là au monde entier une leçon de laïcité ouverte. Lors d'un discours prononcé le 13 juin 2002 aux rencontres de Berlin, Boris Trajkovski a ainsi rapporté comment sa foi l'avait porté dans les situations difficiles, au moment par exemple où il eut à signer un ordre militaire qui aurait pu coûter des vies, afin de garantir la sécurité de toute la région des Balkans. Pour Trajkovski, le monde ne sera jamais totalement débarassé de conflits et de haines. Le plus important, affirma-t-il, c'est d'avoir une relation personnelle avec le Seigneur de l'univers. "La Bonne Nouvelle, c'est Jésus-Christ", a déclaré le président, lui-même dirigeant laïc de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM) de Macédoine


Voici un autre exemple de l'engagement de Trajkovski en faveur de la paix et de la compréhension interreligieuse: c'était en mai 2002, quand quelques 40 intellectuels internationaux et 50 intellectuels locaux représentant les communautés musulmanes, juives et chrétiennes se sont rencontrées à Skopje pour un "trialogue". Le président avait rencontré les deux professeurs, Léonard Swidler de l'Université du Temple et Paul Mojzes de l'Université de Rosemount, qui avaient fondé ce qui est devenu le "Trialogue Annual International" entre intellectuels, et les a invités à venir en Macédoine. Le pasteur Siegfried (EEM Suisse), présent à cette manifestation, a noté "le grand respect" accordé à chaque groupe religieux pendant la conférence. "J'ai la forte impression que ce trialogue est devenu un défi important pour les communautés religieuses: il leur revient le soin de faire nouveaux pas, d'apporter de nouvelles contributions à la paix en Macédoine," a-t-il ajouté.

Source: EEMNI/divers