Amy Green*
Il est possible de croire en Dieu et en l'évolution, a dit le pasteur Adam Hamilton, à la tête de l'Église de la Résurrection dans la banlieue de Kansas-City, Kan. forte de 13,000 membres.
Telle est sa conviction intime et il en a fait part dans ses sermons tout au long de l'hiver dernier. Ils portaient sur la science et la religion. Sa congrégation évangélique méthodiste leur a réservé un bon accueil, alors que faisait rage dans le pays le débat du Dessein intelligent. Il croit que Dieu s'est servi de l'évolution dans la Création.
"Je crois que l'évolution est un processus conçu par Dieu lui-même," a-t-il dit. "Je ne vois pas personnellement en quoi l'évolution outrage ma foi, pourvu que l'on tienne l'évolution comme un mécanisme et qu'on ne soit pas tenté de dire de l'évolution qu’elle est un processus non téléguidé".
Sa théorie est une des nombreuses réponses à la question séculaire : d'où venons-nous ? Cette question a suscité curiosité et conflits pendant des siècles et été à la base de nos croyances les plus élémentaires, de notre univers et de notre foi. Provenons-nous d'Adam ou d’un singe ? Aurions-nous pu venir des deux à la fois ? Est-ce que nous sommes simplement les bénéficiaires chanceux de la sélection naturelle ou sommes-nous créés dans un Dessein précis comme partie intégrante d'un plan plus large ?
Une autre question est apparue au cours des derniers mois - que devons-nous enseigner aux enfants dans les classes de science ? La théorie de l'évolution de Darwin est largement acceptée comme un fait scientifique, mais pour beaucoup elle est en désaccord avec le récit de la création de la Genèse, qui nous apprend que Dieu n'a pas créé Adam à l'image d'un singe, mais à son image. La théorie du Dessein intelligent affirme que, du moment que l'univers est si complexe, il a dû avoir été créé par une force invisible, 'un designer' intelligent et le Président Bush a suggéré qu'on enseigne cette notion dans les écoles publiques à côté de l'évolution de manière à équilibrer le débat.
L'évolution et le Dessein intelligent ont divisé les réunions de conseils d'administration scolaires à travers le pays. En Pennsylvanie, les membres du conseil de huit écoles sur neuf, qui avaient soutenu la motion favorable à la lecture d'une déclaration sur le Dessein intelligent dans les salles de classe n'ont pas été réélus dans les élections de novembre. Un juge fédéral a dit à ce propos qu'il statuerait avant janvier sur le caractère constitutionnel ou non de cette déclaration. Mais dans le Kansas, le conseil scolaire de l'Etat a adopté d'un bout à l'autre de l'Etat les nouveaux programmes de science le mois dernier, notant que des pans de la théorie de l'évolution avaient été contestés.
L'Eglise Evangélique Méthodiste avec ses 11 millions de membres ne prend aucune position sur l'évolution ou le Dessein intelligent, mais affirme dans son Règlement que "la science est une interprétation légitime du monde naturel de Dieu. Nous affirmons la validité des revendications de la science dans la description du monde naturel, bien que nous ne reconnaissions pas à la science l'autorisation de se prononcer sur les questions théologiques."
Les critiques du Dessein intelligent disent que ses partisans cherchent à introduire la foi dans les classes scientifiques en faisant passer la théorie comme une théorie scientifique. Richard Duhrkopf, professeur associé de biologie à l'Université Baylor affiliée aux Baptistes du Sud à Waco, Texas, a dit que l'évolution n'était pas en désaccord avec le Christianisme.
"On peut facilement voir le processus évolutionniste comme un processus créateur," a dit Duhrkopf, un évangélique méthodiste qui s'est prononcé contre le Dessein intelligent une fois qu’il avait compris que son école risquait de perdre de sa crédibilité en soutenant cette idée. "L'Évolution est un mécanisme. Et pourquoi ne pourrait-elle pas être un mécanisme employé par Dieu ?"
Cependant, il critique les partisans du Dessein intelligent recourant à la foi pour expliquer les lacunes de la science.
"Cela ne signifie pas que nous devions dire de Dieu qu’il a agi d'une façon surnaturelle," a-t-il dit. "Cela signifie juste que nous avons des lacunes dans nos connaissances."
Beaucoup d’opposants au Dessein intelligent, comme Wesley R. Elsberry du Centre National pour l'Éducation de la Science à Oakland, Californie, croient que c'est une nouvelle façon déguisée de parler du créationisme.
"C'est la même vieille idée, mais c'est une autre tentative d'imposer (la foi) dans le programme d'études scientifiques au lycée," a dit Elsberry, un évangélique méthodiste.
Mais le Dessein intelligent est une théorie scientifique, a dit Bill Harris, professeur de médecine à l'Université de Kansas-City dans le Missouri et membre de l'Église de la Résurrection. Il croit que les étudiants en sciences doivent entendre parler des thèses défiant l'évolution et axées sur un »designer» et qu'ils doivent discuter sur ce »designer» avec leurs familles. Il estime que beaucoup sont peu disposés à approuver le Dessein intelligent pour des raisons politiques, car ils ne veulent pas être étiquetés comme chrétiens fondamentalistes.
"Ce n'est pas une question religieuse," a dit Harris, qui est aussi chercheur en cardiologie. "C'est une question scientifique qui a des implications religieuses et philosophiques. Mais c'est fondamentalement une question scientifique. Y-a-t-il lieu de prendre le Dessein dans le monde pour une évidence ? Je dirais que oui ."
Hamilton ne croit pas que le Dessein intelligent soit une alternative à l'évolution, il ne croit pas non plus que le récit de la création dans la Genèse soit une histoire à prendre et comprendre littéralement. Il estime que c'est une leçon qui nous en dit long sur des vérités plus profondes.
"Il y a un Dieu au ciel; il y a ces gens créés avec une âme," a-t-il dit. "Les théories scientifiques vont et viennent, mais les vérités les plus importantes sont des vérités concernant la réalité ultime, d'où venons-nous et pourquoi nous sommes ici - et c'est ce que la Genèse essaye d'enseigner. Et si nous lisons la Genèse à cette lumière, nous ne trouverons pas de conflit entre l'évolution et le Méthodisme."
*Green est un auteur indépendant résidant à Nashville, Tenn.
Le 15 décembre 2005
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Commentaire:
Nous relevons dans le journal TELERAMA (n° 2919 - 22 décembre 2005) un article d’Olivier Pascal-Moussellard consacré à la montée en puissance du thème du Dessein Intelligent dans la société américaine en réaction à la théorie de l’évolution. En voici quelques extraits.
La croisade anti-Darwin
« La théorie de Darwin continue d'être mise à l'épreuve par les nouvelles découvertes. Il s'agit d'une théorie, pas de faits. » Voilà ce que prétendent et tentent d'imposer dans toutes les écoles américaines les partisans de l'Intelligent Design (Dessein intelligent). Cette « théorie » conteste la thèse fondamentale du darwinisme selon laquelle l'évolution est régie par la loi de la sélection naturelle, et la survie des espèces découle de leur capacité à s'adapter aux hasards. Les promoteurs de l'Intelligent Design voient au contraire la patte d'un esprit supérieur, intelligent, dans tout l'ordre de l'Univers. Ils ont allumé des feux partout, des écoles aux journaux, des confessionnaux aux prétoires. Ils multiplient les conférences, surtout dans les Etats « réceptifs » du Sud et de l'Ouest. Cet été, George W. Bush, inspiré comme jamais, a même déclaré que « les deux théories [Dessein intelligent et évolution] devaient être enseignées » à l'école. Peu importe que son propre conseiller scientifique l'ait contredit publiquement... Le virus est résistant : 51 % des Américains rejettent aujourd'hui la théorie de l'évolution. Dieu, affirment les sondés, a créé l'homme sous sa forme actuelle, une fois pour toutes. Et pour les siècles des siècles.
En cette veille de Noël, c'est vers la Pennsylvanie - et plus précisément la région de Dover - que les regards sont braqués... Il y a un an, le Conseil d'éducation, chargé de définir les programmes, s'était laissé convaincre par deux de ses membres que la théorie de l'évolution branlait du manche. Il avait envoyé aux enseignants la circulaire citée plus haut - « une théorie, pas des faits » - pour qu'ils la lisent aux élèves, en rappelant aux chères têtes blondes que le Dessein intelligent offrait « une explication de l'origine de la vie différente de celle de Darwin », et en les encourageant « à garder l'esprit ouvert ». Bronca chez les professeurs ! « C'est un affaiblissement terrible de la science, s'emporte Steve Stough, qui enseigne la biologie à York, tout près de Dover. Dans notre établissement, sur treize professeurs de sciences, pas un ne croit à l'Intelligent Design. » Steve Stough attend les résultats du procès qu'une dizaine de parents d'élèves et lui ont intenté au Conseil d'éducation. Vieux procès en vérité ! Dont la genèse remonte à 1925, année du fameux Scopes Trial, aussi appelé Monkey Trial (« procès du singe »). Cette année-là, un professeur de biologie du Tennessee - John Scopes - se met en tête d'enseigner la théorie de l'évolution à ses élèves. Les « créationnistes », qui pensent que l'homme et la nature ont été fabriqués par Dieu en six jours il y a grosso modo six mille ans, comme le raconte la Genèse, décident de l'en empêcher. Et réussissent : John Scopes est condamné, au terme d'un procès grand-guignolesque où l'on put croiser, selon les gazettes, plus d'un singe dans le public. Le Mississippi (en 1926) et l'Arkansas (en 1928) votent des lois pour interdire l'enseignement de l'évolution. Et dans ce dernier Etat, il faudra attendre 1968 pour que cette interdiction soit cassée par la Cour suprême !
Cette année encore, dans trois Etats, un juge fédéral a dû faire retirer des manuels scolaires une vignette sur laquelle on pouvait lire : « L'évolution est une théorie, pas un fait, sur les origines de la vie. » La controverse, donc, ne faiblit pas. Pourtant, le Scopes Trial fut la seule victoire importante des créationnistes. Chaque fois qu'ils ont essayé d'introduire la Genèse au forceps dans les classes, les tribunaux les ont renvoyés à leurs missels et surtout à la Constitution : on ne badine pas avec la séparation de l'Eglise et de l'Etat ! D'où le changement de stratégie : plutôt que d'affronter Darwin, pourquoi ne pas le contourner, en reconnaissant que la terre n'est (probablement) pas apparue il y a six mille ans et que les espèces ont (sans doute) évolué ? Pas question, bien sûr, de lâcher sur l'essentiel, et d'admettre que le hasard peut jouer un rôle dans la sélection. Et si la référence à Dieu est gommée, c'est pour être remplacée par un fourre-tout anonyme et accrocheur - le fameux « Esprit intelligent » - qui signifie la même chose. Bref, « l'Intelligent Design est bien la dernière incarnation du créationnisme, analyse Jerry Coyne, professeur de biologie à l'université de Chicago. Loin d'être une alternative scientifique respectable à l'évolution, c'est une tentative maligne de faire entrer la religion, déguisée en science, dans les écoles publiques ».
Une façon de crier « Ceci est une science ! » tout en brossant un tableau de la création furieusement proche de la Genèse, une attitude « révisionniste » qui, profitant des incertitudes qui n'ont pas encore été levées, nie l'ensemble de la théorie de l'évolution, telle est la stratégie des promoteurs de l'Intelligent Design. Leur seconde « Bible », Of pandas and people, publiée en 1989, s'appuie sur les fameux « chaînons manquants » - ces espèces que l'on ne trouve pas pour compléter la chaîne de l'évolution -, histoire d'invalider le darwinisme. Or, personne ne nie dans la communauté scientifique qu'il y ait discussion sur le sujet. Comme le faisait récemment remarquer Pascal Picq, professeur au Collège de France, « les hommes et les grands singes africains possèdent un ancêtre commun récent et exclusif mais nous ne connaissons qu'une partie de leur arbre évolutif ». Et surtout, les choses sont comme toujours plus compliquées qu'on ne le croit : « L'évolution n'est pas "linéaire". Une progression qui passe par une bipédie de plus en plus marquée, un cerveau de plus en plus volumineux, des mains de plus en plus habiles, la création d'outils et la socialisation, représente une vision schématique et obsolète » (2).
... L’enjeu de la théorie n’est pas scientifique, mais politique. Les tenants du Dessein Intelligent tiennent à défendre la liberté religieuse.... :
« Défendre la liberté religieuse dans une nation où les élèves de l'école publique sont interdits de prière et n'ont pas le droit d'affirmer leur soumission à Dieu [...] ; où les écoles qui exposent des crèches à Noël, les Dix Commandements et les autres symboles de notre héritage religieux et moral sont importunées. »
Dans les coulisses, côté lobbying, on croise aussi des clubs de réflexion comme le Discovery Institute ou le Centre pour la Science et la Culture, qui promet de « faire échouer le matérialisme scientifique et son héritage moral, culturel et politique destructeur », pour le remplacer par « l'idée que l'homme et la nature ont été créés par Dieu ».
Les organisations de ce type n'ont pas toujours eu le vent en poupe, mais les temps ne leur ont jamais été aussi favorables. L'Intelligent Design surfe sur ce que Jerry Coyne appelle « la régression de la société américaine ». Son succès auprès de l'opinion ne peut être isolé de la Révolution conservatrice. « Il ne peut même être compris, ajoute Michael Ruse, auteur de Evolution-Creation Struggle, que dans le contexte plus large d'une société où les protestants fondamentalistes gagnent chaque jour plus de terrain. » Une société dans laquelle la remise en cause de l'Evolution, regrettait au début du mois un article du New York Times, « trahit une crise culturelle en Amérique, une crise de crédulité et non pas de foi, enracinée dans la négligence et l'ignorance »
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(1) Selon un sondage réalisé par CBS News au mois d'octobre.
(2) In Europa (le magazine de la Recherche européenne), Avril 2005.
Source: UMNS/Télérama/EEMNI