France: les sectes dans le collimateur de l'Etat

Liberté religieuse: le président de la FPF à Washington


Le président de la FPF, le pasteur J.-A de Clermont, a estimé le 15 mai que les accusations américaines contre la France en matière de liberté religieuse s'expliquaient largement par une mauvaise information. 


"Le chapitre consacré à la France dans le rapport du département d'État sur la liberté religieuse dans le monde est très mauvais", a-t-il déclaré, en estimant que l'administration américaine se fondait sur "des informateurs partiaux" pour accuser la France. Il a cependant jugé "tout à fait normal qu'un pays pose des questions à un autre" sur la manière dont il respecte les libertés fondamentales. Le pasteur de Clermont s'est rendu à Washington fin avril à l'invitation d'une fondation de recherche (Institute for religion and public politics) à laquelle participent les Églises américaines.


Lors d'une rencontre avec des journalistes à l'issue du conseil de la Fédération Protestante, le président de la FPF a rappelé que l'article un de la constitution américaine interdit toute intervention de l'État dans le domaine religieux. Soulignant "l'extrême différence de situation entre les deux pays", il a revanche estimé "tout à fait légitime que le gouvernement français légifère aussi dans le domaine religieux". Le pasteur de Clermont a cependant rappelé l'opposition des protestants aux premières moutures de la proposition de loi dite "About-Picard" visant à lutter contre les dérives sectaires. La mobilisation conjointe de la FPF et de l'Église catholique a permis de "briser le consensus parlementaire" et de faire évoluer ce projet dans le bon sens, s'est-il réjoui. Un représentant du département d'État, Michael Parmly, a réitéré la "préoccupation" des États-Unis le 1er mai dernier devant cette proposition de loi qui menacerait, selon Washington, la liberté religieuse. En vertu d'une loi du 27 octobre 1998, le département d'État américain est tenu de prendre en compte l'état des libertés religieuses dans ses relations avec les pays étrangers.


"La loi About-Picard"


Le mercredi 30 mai, l’Assemblée Nationale a voté, en deuxième lecture, le texte définitif de la proposition de loi tendant à renforcer la «prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales»


Adoptée par le Sénat, en première lecture le 16 décembre 1999, puis à l’Assemblée nationale le 22 juin 2000, cette proposition de loi About-Picard a de nouveau été examinée par le Sénat en deuxième lecture, le 3 mai 2001, avant d’être retournée à nouveau à l’Assemblée nationale. 


Au cours de ces différentes navettes, le texte initial a subi plusieurs changements: délit de «manipulation mentale» remplacé par la création d’un délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse d’une personne (Article 9); Suppression de différents articles (6,7) notamment la possibilité, pour le maire, d’interdire l’installation d’un groupement, condamné à plusieurs reprises, à moins de 200 rn des hôpitaux et des établissements scolaires, de supprimer le refus d’accorder un permis de construire aux groupements condamnés à plusieurs reprises. Autant d’actes d’intolérance insérés dans la proposition de loi initiale.


La députée Catherine Picard, rapporteuse de cette proposition, a rappelé que les principes de la mise en place d’une procédure de dissolution judiciaire, d’une extension de la responsabilité pénale des personnes morales, et de la capacité des associations de lutte contre les sectes à exercer les droits reconnus à la partie civile, faisaient désormais l’objet d’un large accord. C. Picard a jugé très significatif le fait que l’initiative de l’Assemblée nationale ait provoqué le courroux des organisations sectaires tout en indiquant que la solution retenue par le Sénat, d’ailleurs préconisée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), recueillait son agrément.


Les responsables religieux, entraînés par le pasteur de l’ERF, Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France, et le père Jean Vernette, viennent de s’adresser au Premier ministre. 


Sous la double signature du président de la Conférence épiscopale des évêques de France, le cardinal Billé, et du président de la FPF, les responsables catholiques et protestants émettent trois réserves fondamentales sur la proposition de loi About-Picard.


Ils contestent tout d’abord la notion de secte et de regroupement sectaire «indéfinissable juridiquement». «Je sais bien, précise Jean-Arnold de Clermont, que le mot figure dans le titre et ne fait pas partie du projet de loi. Mais qu’importe, on ne sait toujours pas ce que recouvre cette notion de secte.»


Les auteurs de la lettre adressée au Premier ministre s’inquiètent ensuite du contenu de l’Article 5 de la loi qui consiste à élargir «le délit d’abus frauduleux d’état d’ignorance ou de situation de faiblesse». Le problème porte ici sur «les actes ou abstentions préjudiciables» que des personnes auraient été amenées à vivre sous la pression d’un groupe sectaire. «Mais, qui définira le caractère préjudiciable de cet acte?» a demandé Jean-Arnold de Clermont. «Ne verra-t-on pas, un jour, un juge estimer qu’une jeune moniale, astreinte, de son plein gré, à une nuit de jeûne et de prière, subit un préjudice grave?»


Enfin, Mgr Billé et Jean-Arnold de Clermont estiment que l’on a conservé, sinon la définition, du moins le contenu même du délit de manipulation mentale. «Créer, maintenir ou exploiter la sujétion psychologique» rappelle très précisément la notion de manipulation mentale qui reste ainsi présente dans la dernière mouture du texte. 


Pour sa part, la section française de l’ Association internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR) s’inquiète de ce nouvel arsenal juridique d’exception portant finalement préjudice à la liberté de croyance. 


Pour Jean-Paul Barquon, le secrétaire national, «même si l’on ne partage pas les délires et les observations de certains marginaux de la foi, on doit toujours faire une distinction entre les opinions et les actes. 


« Dans un État de droit, les auteurs d’actes délictueux ont toujours été pénalement répréhensibles. Or, depuis quelque temps, certaines personnes ne font plus de distinction entre la liberté d’opinion et les actes délictueux. Prétextant la dangerosité des sectes, un soupçon pèse sur bien des minorités religieuses qu’elles soient d’obédiences catholique, protestante ou évangélique. 


« On ne peut que regretter les informations réductrices et parfois alarmistes transmises par les filiales de certains groupes considérés comme sectes, à leur maison mère américaine, donnant j’image d’un État français devenu subitement répressif, en évacuant du pays, la notion de liberté religieuse.


On peut également déplorer l’information passionnelle et souvent partisane, que des associations de défense, considérées comme anti-sectes, transmettent tant au niveau de la presse qu’au niveau des pouvoirs publics. 


Aujourd’hui, dans la société française, le climat est tel que, dès qu’une personne ose parler de liberté religieuse, on pense qu’elle est récupérée par un groupe de type sectaire. 


L’aspect, à priori positif, de cette nouvelle législation est de protéger les personnes en situation de faiblesse, mais on est ici placé sur un fil de rasoir. Bien des incroyants considèrent toujours la foi religieuse comme une manifestation de bigoterie, de naïveté et de crédulité. Faudra-t-il alors considérer une personne âgée croyante ou un handicapé mental croyant en situation de faiblesse face à l’incroyance et au rationalisme? Ne verrat-on pas, à l’avenir, surgir des abus ? Ne soupçonnera-t-on pas tous les milieux religieux français de « manipulation psychologique » face aux conversions ? Tout croyant doit non seulement respecter son interlocuteur mais aussi l’amener à la conversion. 


Dans un État qui a adopté le régime de séparation depuis 1905, en assurant la liberté des cultes, comment concilier maintenant cette nouvelle législation avec la Constitution française et le droit international en matière de liberté religieuse ? 


Comment concevoir, en France, pays qui revendique la paternité des droits de l’homme, l’application de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ? 


L’acharnement manifesté à l’encontre de minorités religieuses et de dissidences, comme la fixation obsessionnelle à l’égard de ces nouveaux mouvements religieux, restent bien révélateurs de l’intolérance qui anime des hommes ne sachant pas toujours mesurer l’histoire religieuse.»

Source: BIA & FPF/BIP