Argentine: nouvelles du couple missionnaire Etienne Rudolph

 Voici la dernière circulaire de la famille Rudolph engagés en Patagonie (Sud d'Argentine) au service de l'Eglise Evangélique Méthodiste avant leur retour en France (fin décembre 2003). Une forme de bilan de leurs quatre années de ministère dans ce pays du Sud.


Cher amis,

Jésus s'approcha et fit route avec eux...

Luc 24/15


Cela fait un peu plus de 4 ans que nous sommes arrivés en Argentine. Nous savons qu'Il a fait route avec nous... Dans quelques semaines, nous rentrerons définitivement en France. Cette lettre pourrait paraître comme un courrier bilan, ce n'est pas le cas même si nous évoquons ces années passées en Patagonie.


Quatre ans c'est peu, c'est beaucoup! Il n'est pas facile d'écrire et de décrire ce que nous avons vécu... Des liens d'amitié se sont noués et font que nous garderons des souvenirs vivants de nos rencontres. Et nous espérons que ces souvenirs n'appartiendront pas au passé, mais qu'ils maintiendront un caractère de relations et d'échanges...


Il nous faudra du temps pour apprécier à sa juste mesure cette expérience argentine. Avec vous, amis et famille, nous savons que nous vivrons de nouvelles expériences de vie et nous nous en réjouissons. Pour l'heure, nous sommes encore en Argentine et nous nous préparons au retour tout en vivant intensément ces dernières semaines.


Quelques mots sur la situation du pays. Le nouveau président et son gouvernement, après 9 mois de gestion, semblent maintenir un certain cap de pied ferme. Bien des Argentins sont surpris parce que ce gouvernement travaille, c'est-à-dire qu'il mène plusieurs réformes de front. Cependant la bonne volonté ne suffit pas pour sortir le pays de sa profonde crise. Les décisions politiques dans le domaine social sont probablement les plus difficiles à prendre parce qu'elles engagent le pays vers une voie qui ne convient pas forcément aux groupes financiers nationaux et internationaux...


Dans la vie quotidienne, si la dévaluation dans ses débuts a ébranlé les gens (les prix grimpaient sans cesse), elle a fini par se stabiliser et elle est même bénéfique au pays pour ses exportations, ce qui se répercute dans bien des domaines intérieurs (commerce, emploi...). Le moral des gens semble s'améliorer quelque peu. La résignation reste grande, l'incertitude aussi. L'effet "K" (de Kirchner, le nouveau président) a permis une certaine reprise, mais pour durer dans le temps, l'illusion doit être remplacée par des avancées sociales concrètes, et celles-ci se font attendre. La classe élevée tire son épingle du jeu, la moyenne a fait les frais de la crise et les classes populaires souffrent toujours et encore des conséquences – parfois dramatiques – de l'irresponsabilité et du profit égoïste de ceux qui se croient au-dessus de la mêlée...


Dans cette crise, l'Eglise essaie de faire entendre sa voix. Celle-ci est prophétique parce qu'elle dénonce les injustices sociales, politiques et économiques, mais aussi propose à la lumière de l'Evangile des chemins d'espérance.Dans un document "Buscando salidas... caminando hacia adelante!" (= "Cherchant des sorties... en marchant de l'avant!"), les Eglises d'Amérique latine font entendre leurs critiques et leurs propositions. Celles-ci passent par l'analyse sans indulgence de la globalisation néolibérale qui pervertit les relations humaines. S'appuyant sur un fondement théologique intéressant, les propositions avancées touchent à des domaines internationaux comme la refonte de certains organismes financiers et un nouveau processus d'intégration économique, ainsi qu'à des domaines nationaux dont chaque pays d'Amérique latine puisera selon ses besoins: un nouveau pacte social et économique, un nouveau concept de l'Etat, une décision politique au sujet de la dette extérieure, un plan de réactivation de l'emploi à moyen et long terme, un cadre légal et juridique approprié et, enfin, le droit à la sécurité sociale pour tout citoyen. Le document termine en citant Victor Hugo qui disait que 'les utopies d'aujourd'hui seront les vérités de demain.' "C'est dans ce sens, dit encore le document, que l'utopie se définit en Amérique latine comme étant la nécessité de libération pour la vie en abondance que Dieu a promis en son Fils Jésus Christ... C'est notre espérance et vers elle nous définissons notre vocation."


Ce document a été élaboré suite à des mois de travail et réalisé par un nombre important de latino-américains, théologiens, sociologues, économistes, hommes et femmes de terrain, engagés dans leur vie quotidienne en faveur du Dieu de la Vie.


Chaque Eglise locale est invitée à voir ce qu'elle peut faire concrètement et à le vivre dans son contexte. Il nous appartient d'accompagner ces personnes, hommes et femmes de nos Eglises, ici à Patagones, tout comme à Conesa et à Bahia Blanca. Différentes actions ont été menées et suivent leur cours. A Conesa, le projet d'un centre de jour pour personnes âgées s'est transformé en réalité. Même si cette réalisation est modeste, elle est encourageante au niveau local. A Bahia Blanca, dans un quartier défavorisé, c'est une petite entreprise artisanale de pâtes alimentaires qui a vu le jour. Ceci se rajoute au travail avec les familles et les enfants du quartier. Dans l'Eglise du centre ville, des conférences sur différents thèmes de société (sur la crise, les questions de bioéthique...) sont régulièrement proposées et sont bien fréquentées par les habitants de Bahia Blanca. Des concerts de chorales trouvent leur place dans cette Eglise du centre et ont permis à celle-ci depuis de nombreuses années d'être connue pour son engagement social. Les entrées aux concerts permettent souvent de collecter une grande quantité d'aliments non périssables pour les enfants de quartiers en difficulté sociale.


Nous voilà presque au bout de ces 4 années. Nos enfants, comme nous, ont en eux des sentiments partagés. Eve, Noé et Lucie laisseront des amis et s'en rendent peu à peu compte. Ils savent avec nous que nous trouverons notre place dans le Sud-Ouest de la France, à Agen, dans une communauté qui nous attend. Mais il est vrai que nous ne partons pas de gaieté de cœur. Personne ne nous "oblige" à rentrer tout comme personne ne nous "oblige" à rester. Et c'est ce qui a peut-être rendu notre décision plus difficile... Pourtant c'est vers l'avenir que nous nous tournons sachant là encore qu'Il continuera de faire route avec nous...


Le stress des préparatifs, en termes administratifs, mais aussi de déménagement et des dernières rencontres avec les amis, s'accélère ces derniers temps. Dans six semaines environ nous serons dans l'avion... Nous voudrions profiter de cette dernière lettre à nos amis depuis la Patagonie, pour vous remercier de votre accompagnement et votre soutien qui se sont traduits par tant de signes, de gestes et de paroles tout au long de ces années. Notre reconnaissance va aussi vers nos familles et tout spécialement à Christine et Stéphan qui ont suivi de près notre situation sur le plan administratif en France ainsi que dans mille et un petits et grands détails... De tout cœur un grand merci !


Au plaisir de vous revoir d'ici quelques semaines, recevez nos meilleures salutations.


Anne, Etienne Eve, Noé et Lucie

Source: EEMNI