Histoire: John Wesley a changé l’Amérique

Pourquoi le 300e anniversaire de Wesley doit-il être marqué d’une pierre blanche de ce côté de l’Atlantique?


Par Chris Armstrong


Le monde est en train de fêter le 300e anniversaire de la naissance de John Wesley avec des célébrations, des conférences, des publications et de nombreux autres actes commémoratifs. (Pour les férus de détails et les coupeurs de cheveux en quatre: Wesley est né le 17 ou le 28 juin 1703, selon qu’on se réfère au «vieux» calendrier (julien), en vigueur jusqu’en 1752 ou au calendrier (grégorien) «nouveau style» introduit l’année suivante). Mais ce qui intéresse sans doute plus les Américains, c’est de savoir en quoi Wesley a contribuer à modifier notre pays? Après tout, lorsqu’il était pasteur de paroisse à Savannah, il n’a pas tenu plus de 2 ans à ce poste avant de susciter la colère des habitants de la colonie et de retourner en Angleterre.


En fait, l’Amérique a une relation particulière avec cet homme et son héritage. C’est ici que, pour la première fois, le méthodisme est devenu une dénomination spécifique - séparée de l’Eglise d’Angleterre si chère à Wesley. Wesley a approuvé la séparation avec réticence et pour une raison purement pragmatique: tant de gens étaient entrés dans l’Eglise grâce au ministère méthodiste qu’il n’y avait pas assez de prêtres anglicans pour leur distribuer la Sainte Cène. C’est pourquoi les méthodistes avaient besoin de recevoir l’autorité d’ordonner leurs propres ministres. 


L’Amérique a transformé le méthodisme et le méthodisme lui a bientôt rendu la pareille. En 1880, c’était une petite dénomination protestante parmi beaucoup d’autres. Dès 1900, elle avait grandi au point d’être la plus grande de toutes. L’espace limité d’un bulletin d’information ne permet pas de donner plus qu’un bref résumé des changements que Wesley et ses héritiers ont apporté à l’Amérique, mais nous pouvons à tout le moins tenter de commencer à raconter cette histoire.


Wesley et le méthodisme se sont - typiquement - alliés à d’autres chrétiens axés sur l’évangélisation pour promouvoir ensemble une foi profondément ancrée et activement vécue. Le christianisme, pour Wesley, n’était pas un sport de spectateurs. Depuis les jours de son «Holy Club» d’Oxford jusqu’à la fin de sa vie, Wesley a cherché à être un Vrai Chrétien - différent en cela des nombreux «presque chrétiens» nominaux qu’il voyait autour de lui dans l’Eglise établie. Et son désir le plus cher était d’aider d’autres à faire de même.


Pour Wesley, un Vrai Chrétien était caractérisé par deux qualités: la sainteté et le bonheur.


Dans son Plain Account of Christian Perfection (Exposé simple de la perfection chrétienne), Wesley définissait la sainteté non pas comme le fait de parvenir à la perfection sans péché, mais comme d’avoir le cœur entièrement centré sur Dieu, mettant de côté toutes les autres affections - «le parfait amour». Son enseignement à ce sujet combinait l’athlétisme spirituel du ”Serious Call to a Devout and Holy Life» (Une vocation profonde à une vie de dévotion et de sainteté) de William Law, l’accent mis par les Frères moraves sur la conviction intime de l’assurance du salut (qui pour Wesley incluait la sanctification) et l’insistance des Puritains sur un examen de conscience approfondi couplé à une action sanctifiée dans tous les domaines de la vie.


Cette insistance sur la sanctification est devenue la caractéristique du mouvement de Wesley. Il a souvent dit que la mission du méthodisme était de «répandre la sainteté scriptuaire dans tout le pays».


Il n’était pas du genre à concevoir la sainteté comme quelque chose de rigoureusement ascétique, mortifiant le cœur aussi bien que la chair. Wesley professait plutôt que le Vrai Christianisme répondait aux désirs les plus profonds, les plus vrais d’une personne, faisant du chrétien un être plus heureux, plus productif. Pressé de définir «le caractère d’un méthodiste», il répondit, dans un tract publié sous ce titre en 1742: «Dieu est la joie du cœur [d’un méthodiste] … Il est par conséquent heureux en Dieu, oui, toujours heureux, ayant en lui ‘une source d’eau jaillissant en vie éternelle’ et ‘ inondant son âme de paix et de joie’».


De même que leur fondateur qui, en 173, avait senti «son cœur étrangement réchauffé» lors d’une réunion à l’Aldergate Street, les méthodistes pratiquaient une religion de la joie. Les Américains de la Frontière plaisantaient au sujet des «méthodistes jubilants», mais les Wesleyens portaient ce surnom comme une décoration honorifique. Ils estimaient que leur propre joie était une des meilleures publicités pour la véracité du message qu’ils prêchaient. 


Lorsque des méthodistes américains blancs commencèrent à rencontrer des Africains dans le Sud esclavagiste, ils trouvèrent dans la spiritualité traditionnelle des Africains, à la fois sentimentale et physique, un complément naturel à leur propre foi vivante. Bientôt, de nombreux Afro-Américains adoptèrent l’évangile grâce au témoignage des méthodistes - encore que nombre d’entre eux aient été révoltés par l’hypocrisie et la cruauté de tant de maîtres «chrétiens». Les esclaves chrétiens exprimaient leur joie d’une liberté spirituelle nouvelle, intérieure, dans leurs témoignages de conversion, leurs chants - les «spirituals» - et les cris rythmant leurs danses. 


A la même époque, les méthodistes blancs et noirs commencèrent à se réunir ensemble dans le cadre de camps ou d’églises (encore qu’avec une certaine réserve qui deviendra plus tard de la ségrégation, amenant à la création des Eglises Méthodiste africaine épiscopalienne et Méthodiste africaine épiscopalienne Sion). Lors de telles rencontres, les deux races vivaient ensemble, du moins pour un moment, ce que les responsables blancs de la dénomination aimaient à appeler «un temps de fusion»: des instants de célébration fraternelle - certains criaient, d’autres, remplis de bonheur par l’Esprit, se pâmaient, tous proclamaient la Bonne Nouvelle et témoignaient de sa réalité dans leurs cœurs. C’est là l’une des racines profondes des récentes tentatives visant à guérir la sinistre division raciale dans les églises de ce pays. 


Pour Wesley, l’impact du Vrai Christianisme ne devait en aucun cas rester confiné dans les limites de l’assemblée des croyants, quelle que soit la félicité éptouvée au sein de la fraternité. Depuis les jours de son «Holy Club» d’Oxford jusqu’à la fin de sa vie, il a insisté sur l’importance des œuvres charitables. Lui et ses compagnons méthodistes oxfordiens donnèrent des parts importantes de leurs revenus pour venir en aide aux pauvres et ils consacrèrent un temps considérable à aider les prisonniers condamnés (après une vie de dons généreux, Wesley mourut relativement pauvre). Wesley avait l’esclavage en horreur et - du moins pendant les premières décennies de la participation de l’Amérique à cette répugnante institution - les méthodistes ont été parmi les plus fermes opposants à l’esclavage (leur performance ultérieure ne fut pas toujours aussi reluisante - voir Religion in the Old South (La religion dans le vieux Sud) de Don Mathews.


D’autres campagnes, telle la lutte, couronnée de succès, contre l’ivrognerie largement répandue dans l’Amérique du 19e siècle ont, elles aussi, trouvé des dirigeants profilés au sein du méthodisme - la présidente Frances Williard, de l’Union de tempérance des femmes chrétiennes en est un exemple. A la fin du 19e siècle, l’Armée du Salut, une organisation d’origine wesleyenne, faisait plus pour les pauvres en Amérique que n’importe quel autre groupe.


Dans son livre Revivalism and Social Reform (Retour à la foi et réforme sociale), l’historien Timothy L. Smith a définitivement écarté le vieux mythe selon lequel le souci des «âmes» et l’engagement pour les réformes sociales n’auraient jamais marché de concert au sein du mouvement religieux américain. Son «Annexe A» énumère les efforts réformateurs de gens qui s’identifiaient au mouvement de sanctification wesleyen du dix-neuvième siècle. 


Cet ouvrage et celui de Donald Dayton Discovering an Evangelical Heritage (Découverte d’un héritage évangélique) valent d’être lus encore aujourd’hui en ce qui concerne cet aspect majeur de l’impact wesleyen en Amérique.


Le méthodisme et ses filiations pentecôtistes n’ont certes pas toujours assumé cet héritage d’action sociale; pourtant, très souvent, ils l’ont fait - spectaculairement. Le signe sans doute le plus visible de leur succès dans les milieux évangéliques wesleyens sont la sainteté d’une part et d’autre part les églises/centre sociaux pentecôtistes avec leur allure «resto du cœur» - une vision typique de nombreux centres-villes abandonnés au 20e siècle par les Eglises traditionnelles. Ces églises ont souvent répondu bien plus qu’aux seuls besoins spirituels de leurs congrégations, reliées qu’elles sont à un vaste réseau de ministères sociaux.


Wesley et ses successeurs ont transformé le paysage américain dans bien d’autres domaines encore.


Ils ont contribué à démocratiser les églises américaines, chargeant les laïques - hommes et femmes, noirs et blancs - de porter l’Evangile dans tous les coins du pays. L’Armée du Salut est la seule dénomination contemporaine comptant 50 % de femmes parmi ses dirigeants ordonnés.


Les méthodistes ont contribué à lancer le premier «centre d’intérêt famille», faisant de l’ère victorienne la période reine de l’instruction religieuse à domicile.


Tout en soulignant fortement la nécessité de la grâce pour les chrétiens, les méthodistes ont propagé l’accent arminien mis par Wesley sur la place de la volonté et de la responsabilité des êtres humains dans la vie religieuse - touchant et changeant presque toutes les autres dénominations protestantes en Amérique.


Wesley lisait avidement les Pères de l’Eglise et souhaitait que son mouvement reflète la pureté, la simplicité, et le caractère communautaire de l’Eglise primitive. Ses disciples l’ont suivi en cela, prenant tout spécialement pour modèle l’Eglise apostolique des Actes. Cette tendance forte a atteint son sommet lorsque les Eglises pentecôtistes ont fait revivre les «dons de l’esprit» mentionnés en I Corinthiens 12.


L’accent mis par Wesley sur les petits groupes - les fameuses «réunions de CLASSES», disciplinées, aux membres fortement soudés les uns aux autres - a fondé le paysage de la spiritualité américaine contemporaine avec ses «cellules», ses études bibliques et tant d’autres formes de fraternité et de culte en petits groupes.


Le génie organisationnel de Wesley se retrouve dans la croissance massive de la «machine» dénominationnelle méthodiste américaine au 19e siècle, qui se réunissait régulièrement pour célébrer sa croissance en termes d’une précision toute mathématique et pour diriger son corps ministériel avec un sens de l’organisation remarquable, qui ferait pâlir d’envie maintes grandes compagnies. C’est là que se trouve probablement l’origine des méga-églises américaines contemporaines. 


La passion de Wesley pour l’éducation se retrouve dans d’innombrables lycées et universités américaines. Il insistait pour que tous ses prédicateurs lisent et fournissait à chacun d’eux un stock de livres à vendre, produits par les grandes maisons d’éditions méthodistes. Cette priorité donnée à l’éducation a transformé l’Eglise elle-même, par le biais de l’Ecole du dimanche - une institution qui doit beaucoup de sa position prépondérante au 19e siècle et de sa forme actuelle à des responsables méthodistes, tel que John Heyl Vincent, fondateur de Chautauqua.


Finalement, et très important, les hymnes théologiquement si riches de Charles, le frère de John et plus tard les compositions de l’auteure d’hymnes wesleyens Fanny Crosby, continuent à enrichir les recueils de cantiques de nombreuses Eglises bien au delà des limites du méthodisme - des presbytériens aux luthériens. 


C’est ainsi, et de bien d’autres façons encore, que John Wesley a changé les Etats-Unis - et le monde. Bon trois centième anniversaire, John ! Nous serions plus pauvres si vous n’aviez pas vécu.


* Chris Armstrong est le rédacteur en chef de la revue Christian History.


20.06.2003

Source: Christianity Today