Par Kathleen LaCamera*
Deux hommes avaient été tués par balles devant la porte d'un modeste immeuble de deux étages, au 193 Crumlin Road, Belfast. Un troisième était mort à l'intérieur.
Cette tuerie, remontant à quelques années, n'avait pas été causée par des combats entre catholiques et protestants. Les victimes étaient mortes dans le cadre d'une rivalité sanglante entre groupes paramilitaires protestants, ou loyalistes, appelés "Ulster Volunteer Force" ou "Ulster Defense Association".
A l'intérieur de l'immeuble, des gens qui avaient peut-être participé à ces meurtres sont assis autour d'une table et discutent de coopération. Le groupe s'appelle lui-même la Commission loyaliste et ses quelque 30 membres se sont rencontrés plusieurs fois au cours des derniers mois. Au terme de l'une de ces réunions, le 9 avril, un reporter a été invité à pénétrer dans la pièce.
Autour de la table se trouvent également des représentants des Eglises et de la population; ils attendent de pouvoir donner leur appui à que qu'ils savent être un acte de foi de la part de gens qui, dans le passé, ont probablement tenté, littéralement, de se tuer les uns les autres. C'est la toute première fois que des représentants des Eglises et de la population ont, ensemble, participé à une discussion prolongée avec des paramilitaires loyalistes.
"Pendant des années, les Eglises et les responsables politiques ont nettement pris leurs distances par rapport aux paramilitaires", dit Gary Mason, un pasteur méthodiste travaillant dans le cadre de la Mission de Belfast Est, au cœur du territoire des paramilitaires loyalistes. "Il n'y a pas eu de vrai dialogue. Ces gars font partie de la société et ne devraient pas être mis à l'écart".
Mason sait que dans son quartier protestant, les paramilitaires et bien d'autres gens s'estiment marginalisés et abandonnés; ils ne se sentent pas pris en compte par le processus de paix officiel. Il sait aussi que de tels sentiments de rejet et d'impuissance, surtout quand ils se combinent avec une situation économique précaire, sont un mélange pouvant mener au type de violence capable de faire capoter la paix, celle qui a donné lieu à ces scènes incroyables, diffusées l'an passé dans le monde entier et montrant des hommes et des femmes d'âge mûr harcelant des fillettes catholiques et leurs parents en route pour l'école.
C'est le genre de réflexions que font des gens qui croient n'avoir plus rien à perdre.
La Commission loyaliste n'a pas encore formellement décidé de son statut et de son rôle, mais Mason dit que d'appuyer ceux qui essaient de se défaire de leurs traditions de violence est un risque qui vaut la peine d'être pris.
Il poursuit: "Ils veulent voir une société différente, bâtie sur la paix et la justice. L'Eglise a le devoir de les aider à mettre ces buts et ces objectifs dans un cadre de référence biblique",
On n'écrit pas grand chose au sujet de la Commission loyaliste. Ses membres se méfient de la publicité et parlent rarement à la presse. Issue des efforts de trois pasteurs de l'Eglise d'Irlande (anglicane) pour prévenir une bataille entre loyalistes pour le contrôle de leur base territoriale, la Commission table sur la discrétion. Ses membres ne cherchent pas seulement à prévenir une résurgence des conflits internes, mais à contribuer à ce que leur communauté protestante, qu'ils voient en recul, participe avec confiance à un processus de résolution de conflits en Irlande du Nord.
Dans la pièce, tous sont d'avis que le reste du monde, et particulièrement les Américains, rangent leur adversaire catholique, l'Armée républicaine irlandaise provisoire, dans le camp des "colombes".
Un membre de la Commission déclare au Service de presse évangélique méthodiste: "Pour tout le monde, nous sommes des terroristes, des épouvantails. Les gens nous perçoivent comme des trafiquants de drogues meurtriers". Les hommes disent que le processus de paix officiel est "une porte grande ouverte pour les nationalistes (catholiques)"; personne ne veut entendre parler de l'intimidation et de la précarité économique qui poussent les gens à quitter des quartiers ouvriers traditionnellement protestants.
Ils l'admettent eux-mêmes: les membres de la Commission loyaliste - tous des hommes - ne sont pas des enfants de chœur. Au total, les membres de la Commission ont passé plus de deux siècles en prison. Les groupes paramilitaires catholiques et protestants ont tous un passé d'attentats à la bombe, de fusillades et de passages à tabac qui ont causé en 30 ans quelque 4'000 morts et des milliers d'autres victimes. Ils ont aussi été impliqués dans le trafic de drogue, la prostitution, l'extorsion de fonds et d'autres activités criminelles.
C'est un lourd passé de destruction, dont il leur reste à sortir complètement. Alors qu'au début avril, l'IRA a mis de nouveaux stocks d'armes "hors d'usage" dans le cadre d'un processus de "mise hors service", les paramilitaires loyalistes n'ont encore rien fait de tel.
On peut donc légitimement mettre en doute la capacité de ce groupe hétéroclite à proposer quoi que ce soit de neuf ou de substantiel pour mettre fin à la violence en Irlande du Nord. Le groupe s'était déjà réuni auparavant, sous un autre nom, afin de proclamer un cesser le feu en 1994. Mais la trêve avait été sérieusement mise à mal par des désaccords au sujet de l'Accord du Vendredi Saint - réalisé en 1998 grâce à l'entremise de l'ancien sénateur US George Mitchell - qui n'avait pas apporté aux protestants ce qu'ils en attendaient. L'un des groupes participants, l'Ulster Defense Association, est impliqué dans la mort d'un employé postal catholique, tué d'un coup de feu en arrivant au travail cette année.
Toutefois, lorsque toutes les autres parties - médiateurs, politiciens aussi bien que responsables religieux - échouèrent à mettre fin à une manifestation de protestation monstre des habitants protestants de Belfast Nord devant l'école primaire de filles Holy Cross (Sainte Croix), la Commission loyaliste parvint à persuader les protestants de se retirer. La manifestation n'a pas repris - contrairement à d'autres incidents passés, quand des actions similaires n'avaient été arrêtées que pour une semaine ou un mois. La Commission a aussi annoncé un accord entre les principales unités paramilitaires protestantes, en vertu duquel elles s'engagent à ne plus recruter de membres au sein des écoles. Mason estime que ces gestes sont significatifs.
"Les paramilitaires ne vont pas seulement renoncer à recruter dans les écoles, mais aucune menace ne sera plus adressée en leur nom à des maîtres ou des membres du personnel ", précise Mason. "…La Commission est en train d'agir au sein de la communauté loyaliste pour essayer de tirer au clair des histoires qui ont été très, très moches. Je constate un engagement, une ouverture, une honnêteté et une franchise dans la Commission…Je dirais que je suis assez optimiste quant à toute cette affaire".
"Nous sommes tous intéressés à résoudre les conflits", dit un des vétérans de la Commission qui avait aussi participé à la négociation de l'Accord du Vendredi Saint. "Nombre d'entre nous avons fait de la prison. … Pour ceux qui ont perdu des amis et des collègues, …il est difficile de pardonner, mais nous voyons de réelles possibilités".
Johnston McMaster, pasteur méthodiste et professeur à l'Ecole irlandaise pour l'œcuménisme, a déclaré au Service de presse évangélique méthodiste: "On a besoin de quelque chose qui puisse donner une voix unie et disciplinée à une communauté ouvrière loyaliste profondément insatisfaite. S'il y a là une organisation qui puisse redonner une certaine cohérence à la communauté loyaliste… c'est vraiment un espoir".
Un membre de la Commission a dit: "Ce que nous avons fait est de mettre de côté nos loyautés et fidélités particulières pour faire ce qui est en notre pouvoir pour le bien de la communauté. Comment mettre cela en œuvre est encore à l'étude."
Nombreux sont ceux qui espèrent que la Commission loyaliste parviendra à se trouver un rôle lui permettant de profiter des possibilités actuelles de résoudre les conflits. Le président de l'Eglise méthodiste irlandaise, le pasteur Harold Good, a trouvé que sa première rencontre avec la Commission loyaliste, le 15 avril, avait été "constructive et utile". Good, qui est également membre de la Commission des Droits humains d'Irlande du Nord, a dit que la vraie bataille est celle qu'il faut mener contre tout ce qui est dégradant pour les personnes, quelles qu'elles soient, et qui les prive du droit à vivre une vie décente dans une communauté sûre et paisible.
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18 avril 2002
*La Camera est une correspondante du Service de presse évangélique méthodiste basée en Angleterre.
Source: Service de presse évangélique méthodiste (UMNS)