Soudan, Khartoum: "La paix est à notre porte", disent les Soudanaises - Visite de solidarité "de femmes à femmes", organisée par le COE et la CETA

par Aruna Gnanadason


"La paix arrive; nous allons pouvoir rentrer chez nous." Cet espoir, nous l’avons entendu exprimer bien des fois dans des camps et des centres communautaires gérés par les Eglises à Khartoum et dans la ville proche de Wad Medani, où nous sommes allées rendre visite à des réfugiées. C’est cette voix d’espoir qui soutient l’Eglise et la population du Soudan, qui attendent impatiemment une paix durable. 


A l'initiative du Conseil Oecuménique des Eglises (COE) et de la Conférence des Eglises de toute l’Afrique (CETA), une délégation oecuménique composée de cinq femmes originaires d'Afrique, d'Europe et des Etats-Unis s'est rendue à Khartoum et dans ses environs du 29 juin au 9 juillet pour rencontrer des Eglises et des groupes de femmes, et visiter des centres communautaires. 


Selon ce que nous ont dit les Soudanaises que nous avons rencontrées, la plupart originaires du sud du pays, il est bien clair que ce sont les femmes qui, dans le Soudan de l'après-guerre, joueront le rôle le plus important. Leurs maris sont morts à la guerre, ou se trouvent encore dans la zone des combats; c'est pourquoi les femmes doivent s'occuper des enfants, gagner de quoi nourrir leur famille et prendre toutes les décisions. 


Ainsi que le dit le communiqué d'une conférence de chrétiennes soudanaises qui s’est tenue quelques semaines à peine avant notre visite: "Il est temps maintenant de 'faire toutes choses nouvelles'" (cf. Ap 21,5). 


Vingt et une années de guerre ont laissé de profondes cicatrices dans l'âme du pays. Les femmes que nous avons vues hésitaient à parler des différentes formes de violence qu'elles ont connues et qu’elles continuent à subir. 


Les combats qui se poursuivent dans la région du Darfour montrent une fois encore comment le viol des femmes est délibérément et systématiquement employé comme arme de guerre. Le recours à la violence sexuelle a pour fin d’anéantir la volonté de la population, mais elle sert aussi d'instrument de purification ethnique. 


Les milices Jenjawid, soutenues par le gouvernement, ont terrorisé les populations du Darfour pour les obliger à quitter leurs terres. Depuis 21 ans, à ce qu'on nous a dit, le gouvernement emploie des tactiques semblables dans tout le sud du pays. 


D'après les Nations Unies, la situation qui prévaut dans la région du Darfour, dans l'ouest du Soudan, est actuellement la plus grave crise humanitaire du monde : depuis le début des combats au début de 2003, elle a déjà fait quelque 10 000 victimes et provoqué le déplacement de plus d'un million de personnes. 


Nous avons pu rencontrer des femmes qui, normalement, n'ont pas l'occasion de raconter ce qu'elles ont vécu: violence, désespoir, déplacement forcé. Dans la prison d'Omdourman, ville proche de Khartoum, la plupart des personnes détenues sont des femmes d’origine africaine qui résidaient dans le sud du pays et ont été contraintes d'en partir. 


Lorsque nous avons pénétré dans cette prison, nous avons été assaillis par les odeurs, les bruits et les scènes de la vie carcérale. Ici s'entassent 823 détenues et 227 enfants, dormant sur un sol crasseux dans un bâtiment temporaire au toit de zinc. 


Ces femmes, qui purgent une sentence de trois à six mois, doivent payer une amende pour être libérées. Si elles ne le peuvent pas, leur détention est prolongée. 


Elles ont été condamnées pour des délits mineurs tels que fabriquer et vendre de la bière artisanale: bien souvent, c'est l'une des rares possibilités qu'ont des femmes sans formation de gagner au moins un peu d’argent pour acheter de la nourriture pour elles et leurs enfants. "Elles ne sont pas méchantes, nous dit un des responsables de la prison; c'est la pauvreté qui les pousse à faire ça."


Dans le triste camp de déplacés internes de Joborona, nous avons vu, sur des kilomètres, des maisons délabrées et des cabanes faites de cartons d'emballage et de feuilles de plastique. Les femmes qui vivent ici nous ont fait part de leur vie, faite de désespoir. Amère ironie: en arabe, Joborona signifie "par la force"


A plusieurs reprises, beaucoup de ces femmes ont été expulsées de leur abri par les services d'urbanisme et pour la construction de lotissements. L'une d'elles nous a dit: "Je travaillais aux champs. Quand je suis revenue, toute ma famille avait été déplacée et le village avait été incendié." 


Selon un fonctionnaire du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Soudan compte quelque quatre millions de déplacés internes, dont beaucoup n'ont pas de domicile fixe depuis plus dix ans. 


Malgré ces récits de souffrance, nous sommes parties du Soudan avec un très fort sentiment d'espoir pour l’avenir. En dépit de tout ce que fait l'Etat pour favoriser l'arabisation et l'islamisation de toute la société, l'Eglise résiste dans sa foi et son attachement à son identité chrétienne et dans sa responsabilité à l'égard de ses fidèles. 


Dans leurs prières, leurs chants et leurs danses, les femmes font preuve d'une profonde spiritualité, manifestant ainsi qu'elles sont fortes dans la foi : c'est elle qui les a soutenues tout au long de la guerre et de leur déplacement. 


Le Conseil des Eglises du Soudan (SCC) et les organisations de femmes dépendant de ses Eglises membres ont lancé des projets d'autosuffisance économique et de paix, qui seront essentiels dans la vie quotidienne des femmes après la guerre. Les Eglises s'occupent aussi du problème des enfants qui subissent les conséquences de la guerre et dont beaucoup sont orphelins ou vivent dans la rue. 


Outre la pauvreté et la violence sexuelle et familiale contre les femmes, les initiatives des femmes se heurtent aussi à l'absence de formation, au chômage et à l'analphabétisme. Des groupes spécialisés dans le ministère en prison viennent rendre visite aux détenues et les aident, par exemple, à fabriquer et vendre des vêtements pour enfants. 


La lutte contre le VIH/sida est également un problème crucial. "Le sida est là, et nous en avons tellement peur! – plus que de la guerre qui nous a obligées à quitter le Sud", nous a dit une femme qui a été obligée de se réfugier à Wad Medani, à quatre heures de Khartoum. "Maintenant, notre pire ennemi, c'est le sida."


A Haj-Youssef, dans le camp de réfugié de Nyaret, des femmes originaires de différentes tribus et appartenant à différentes religions se sont regroupées pour essayer de trouver une solution à leurs problèmes en vivant en communauté et en organisant ensemble leur vie quotidienne. La plupart sont des veuves et des mères célibataires. Ce groupe a réussi à acheter un petit bout de terrain et à monter une boutique pour vendre des objets d’usage courant. On y trouve à peu près de tout, des tasses aux appareils de télévision ; bien sûr, pour les plus gros articles, il faut passer commande. Il ne s'agit pas tant de faire des bénéfices que de servir la communauté. 


"La collaboration de ces femmes transcende les limites traditionnelles du genre et de l’origine géographique ou tribale, fait remarquer Kirsten Schwanke-Adiang, une Allemande membre de l'équipe du COE. Si elles veulent survivre, les femmes doivent collaborer entre elles, et elles doivent s'assumer elles-mêmes et assumer la responsabilité de leurs enfants. Malgré l'ampleur de la tragédie que représente la situation actuelle au Soudan, les femmes elles-mêmes admettent que la guerre leur a appris à coopérer par-delà les frontières traditionnelles." Les femmes oeuvrent ensemble à l'édification du pays. 


Dans nos conversations avec des représentants du PNUD et des membres du secrétariat du Conseil des Eglises du Soudan, il nous est apparu que le plus préoccupant est de savoir si la communauté internationale a bien l'intention d'aider les communautés à rentrer chez elles et à reconstruire leur vie. On craint que la lassitude des donateurs n'affecte les opérations compliquées prévues par les Nations Unies, dont l'exécution dépendra d'un fort engagement des Eglises et de la société au Soudan. 


Cette visite s'inscrivait dans le cadre de l’accent spécial que la Décennie "vaincre la violence" (COE) a consacré au Soudan en 2003; ses membres ont été les hôtes du Conseil des Eglises du Soudan, et elle faisait suite à une série de visites de solidarité "de femmes à femmes" dans des situations de conflit. 


L'équipe internationale de femmes qui est allée rendre visite à ces femmes de Khartoum veut faire connaître à l’ensemble de la communauté oecuménique - Eglises, institutions et organisations oecuménique - les préoccupations que suscite la situation de ces femmes. Il leur appartient maintenant d'accompagner le Soudan au delà de ce fragile accord de paix. 


*Aruna Gnanadason est coordinatrice de l'équipe 'Justice, paix et création' du COE ; elle est également responsable de son Programme des femmes 


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Informations sur le Soudan


On peut dire que la guerre qui fait rage au Soudan est la plus longue guerre civile d'Afrique. En dehors d'un intervalle de 11 années de paix (1971-1982), le Soudan est déchiré par la guerre civile depuis son indépendance. Le conflit actuel a éclaté il y a 11 ans, lorsque le gouvernement a essayé d’imposer la charia - la loi islamique - dans le pays ; cela a provoqué une rébellion, qui a démarré dans le sud du pays, où vivent des Africains chrétiens et animistes (religions traditionnelles). La guerre civile du Soudan a fait deux millions de morts et plus de quatre millions de personnes déplacées. 


Il se peut que les protocoles signés en mai 2004 mettent fin à la guerre et marquent le début d’un long et difficile processus de reconstruction et de réconciliation. Mais cet accord n’inclut pas la région du Darfour, dans l’ouest du Soudan, où l’on compte environ un million de personnes déplacées en raison des combats qui opposent les rebelles aux milices soutenues par le gouvernement. 


Les Eglises du Soudan, tout comme le Conseil oecuménique des Eglises, participent activement aux efforts de paix. Le COE a appuyé l'engagement de ses partenaires oecuméniques au Soudan : le Conseil des Eglises du Soudan (SCC), le Nouveau Conseil des Eglises du Soudan (NSCC) et le Forum oecuménique sur le Soudan (SEF), la Conférence des Eglises de toute l'Afrique (CETA) ainsi que le Conseil national des Eglises du Kenya (NCCK). En 2003, en réponse à une demande du Forum oecuménique sur le Soudan, le COE a nommé le pasteur Samuel Kobia envoyé oecuménique spécial, le chargeant de suivre les progrès du processus de paix et d’y contribuer. 


Depuis le début des années 1970, les activités du COE au Soudan relèvent de trois catégories : appuyer le processus de paix et de réconciliation, jeter les bases d’un renouveau de la société civile, avec notamment la réintégration des combattants et des personnes déplacées, et contribuer à édifier l'infrastructure du pays, notamment dans les domaines de l'enseignement et des soins de santé. 


9 août 2004

Source: COE