Voici le message que le pasteur Konrad Raiser, secrétaire général du Conseil Oecuménique des Eglises, communique à l’occasion de Noël 2001
Nous vivons dans un monde sans pitié, où de plus en plus de gens se sentent pris au piège. Le temps et l'argent exercent une domination impitoyable et tirent leur toute-puissance de leur rareté. Le temps, c'est de l'argent, dit-on. Ceux qui ont beaucoup d'argent n'ont jamais de temps et les pauvres, qui ont du temps, n'ont pas d'argent. Ils ont pourtant besoin d'argent pour vivre, alors ils l'empruntent et se trouvent pris dans l'étau implacable de la dette.
On nous dit que dans un monde de pénurie, la concurrence est le meilleur moyen d'obtenir davantage. Elle obéit à la règle impitoyable qui divise le monde en gagnants et en perdants. Parce que le temps et l'argent sont rares, c'est le plus rapide ou le plus offrant qui gagne. Ceux qui sont trop lents ou qui ont peu à offrir sont éliminés de la course - exclus. Dans un monde de compétition, il n'y a pas grand chose pour les protéger.
Là où l'argent domine, presque tout devient rare. Lorsque le pouvoir et même la justice peuvent s'acheter, les pauvres n'ont plus guère de ressources. Là encore, il n'y a que des gagnants et des perdants.
Lorsque l'argent règne en maître, même l'exigence de justice devient un facteur de coût. Les puissants veillent à ne pas présenter d'excuses de peur qu'on ne leur réclame des dédommagements financiers. Quant à ceux qui n'ont rien à perdre, ils peuvent dans certains cas extrêmes opter pour la violence afin d'attirer l'attention et faire valoir leurs droits, ce qui les expose à des représailles sans merci.
C'est dans ce monde impitoyable qu'«elle s'est manifestée, la grâce de Dieu, source de salut pour tous” (Tite 2,11). C'est le même Dieu que Moïse a rencontré, «Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté» (Exode 34,6) et que le psalmiste loue comme celui qui «ne nous traite pas selon nos péchés, ... ne nous rend pas selon nos fautes» (Psaume 103,10). Dieu est venu vivre parmi nous pour nous libérer du règne inexorable du triomphe et de l'échec, du joug de la compétition et de la rareté.
Voici le message de Noël: «Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père.... De sa plénitude, en effet, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce.» (Jean 1,14.16)
Notre monde ne sera pas sauvé par une concurrence accrue face à la rareté mais par la grâce et la miséricorde. La grâce de Dieu qui est son être véritable s'est incarnée en Jésus Christ. La grâce de Dieu l'emporte sur la loi de la rareté et brise l'impitoyable logique des représailles. Dieu ne nous mesure pas à l'aune de la réussite, de la valeur ou du pouvoir. Il donne et pardonne généreusement, sans compter, et offre la vie en abondance (Jean 10,10), surtout aux perdants de notre monde sans merci.
En ce Noël, puissions-nous donc recevoir de sa plénitude «grâce sur grâce» !
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20/11/2001
Source: COE