Noël en Palestine: le regard d’une journaliste sur la situation

Comment Marie et Joseph auraient-ils franchi un poste de contrôle?


par Larry Fata (*)


Le temps de Noël évoque de nombreuses images, profanes et religieuses, en rapport avec cette fête. Dans le monde entier, les sapins décorés et les Pères Noël le disputent aux scènes de la Nativité. Et c’est tout naturellement que l’attention du monde se porte sur Bethléem, petite ville de Cisjordanie, à cause de l’événement commémoré par les festivités de Noël.


Les touristes qui ont la chance de se trouver sur les lieux à cette époque se pressent à Bethléem pour célébrer Noël là où tout a commencé, il y a plus de 2000 ans. Mais le fait que les visiteurs du monde entier puissent se rendre à Bethléem, alors que la plupart des Palestiniens ne le peuvent pas, est une ironie cruelle, particulièrement sensible à ce moment de l’année. C’est ce qu’a voulu rappeler l’année dernière le Comité civil du village palestinien de Sawahreh. Tout est parti d’une simple question: de nos jours, Marie et Joseph auraient-ils la possibilité de se rendre à Bethléem pour la naissance de Jésus ?


Marie et Joseph étaient deux citoyens juifs vivant sous l’occupation romaine. Ils durent se rendre à Bethléem sur l’ordre de l’occupant, à cause du recensement décrété par César Auguste. De nos jours, les Palestiniens vivent sous l’occupation israélienne et leurs déplacements sont limités, voire parfois totalement interdits. Deux jours avant Noël 2003, deux Palestiniens jouant le rôle de Marie et Joseph essayèrent de passer le poste de contrôle militaire de Sawahreh pour se rendre à Bethléem. Marie était en réalité une étudiante de 20 ans vivant à Beit Hanina, ville palestinienne incorporée à Jérusalem. Bien qu'elle fût montée sur un âne, les jeans et les bottes qui dépassaient de sa robe traditionnelle rappelaient qu'on était au 21e siècle. Quant à Joseph, âgé d'une trentaine d'années, c'était un habitant d'East Sawahreh.


Lorsque les deux personnages s'approchèrent du poste de contrôle, la scène idyllique, digne d'une carte de Noël, fut troublée par les soldats exigeant de voir les cartes d'identité de Marie et Joseph, tandis qu'un autre nous tenait en joue avec sa mitraillette et qu'un autre encore filmait la scène, sans doute pour des raisons de sécurité. Les deux soldats chargés du contrôle ne se laissèrent pas démonter, demandant en arabe aux deux personnages: «Alors, on joue à Marie et Joseph?» L'un d'eux voulut savoir d'où ils venaient. Tandis que quelqu'un dans la foule répondait «De Nazareth, bien sûr», les deux jeunes gens indiquèrent leur domicile réel. La cause était entendue: Marie et Joseph n'avaient pas le droit de passer. Tout ce que les soldats purent leur proposer, c'était de faire un petit tour de ce côté de la palissade métallique, tandis qu'une partie de l'assistance chantait «O little town of Bethlehem».


Pourquoi, au 21e siècle, Marie et Joseph n'avaient-ils pas le droit de passer? Notre Marie a un passeport israélien et n'est donc pas autorisée à se rendre à Bethléem, qui fait partie de la Cisjordanie: les citoyens israéliens ne peuvent pas entrer dans cette région «pour des raisons de sécurité». Notre Joseph a une carte d'identité de Cisjordanie et aurait donc le droit d'aller d'une ville cisjordanienne dans une autre, mais il n'avait pas ce document sur lui, donc il ne pouvait pas passer non plus. En outre, Marie et Joseph n'auraient guère pu vivre ensemble ni se marier: il ne peut pas habiter dans sa ville à elle, parce qu'elle fait partie de Jérusalem et que la plupart des Cisjordaniens ne sont pas autorisés à vivre à Jérusalem. Elle aurait pu renoncer à sa citoyenneté de Jérusalem et aller vivre en Cisjordanie, mais ce serait l'équivalent d'un suicide économique. Les habitants de Jérusalem qui le font perdent leur droit de résidence et n'ont plus l'autorisation d'entrer dans cette ville ni en Israël.


La situation en matière de restrictions de la liberté de mouvements des Palestiniens dans les territoires occupés est misérable. C'est ce qui ressort des chiffres publiés en novembre 2004 par le bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA). Au total, 719 obstacles ou points de passage restreignent ou empêchent les déplacements d'une partie à l'autre des territoires occupés, ou vers Jérusalem et Israël. Sans compter les "contrôles volants", disposés temporairement sur les routes par la police ou les soldats. Il faut noter que la plupart de ces points de contrôle ne se situent pas entre Israël et les territoires occupés, mais entre différentes parties de ces territoires.


Une part du travail du programme d'accompagnement oecuménique en Israël et en Palestine (EAPPI) consiste à observer les points de passage pour s'assurer que les droits humains des Palestiniens qui tentent de les franchir soient respectés. La présence des "accompagnateurs oecuméniques" permet d'atténuer les tensions dues aux personnes mises en présence. Les accompagnateurs établissent des rapports et prennent des photographies de ce qu'ils observent lors de ces contrôles. Ils sont solidaires des Palestiniens qui cherchent à passer, mais ils tentent également d'interagir avec les soldats sur un plan humain, en défendant une procédure de passage rapide et sans violence. Les accompagnateurs collaborent parfois avec Machsom Watch, un groupe Israélien fondé en janvier 2001. Ce groupe est composé de 400 femmes réparties en Israël, dont beaucoup sont grand-mères, qui surveillent les activités des "Machsom" - le mot hébreu pour "point de passage".


Les points de passages affectent quotidiennement les Palestiniens. La manifestation non violente avec "Marie et Joseph" a constitué une manière amusante d'attirer l'attention sur une situation qui ne l'est pas. Imaginez une scène de la Nativité où la crèche serait remplacée par un siège de jeep et les bergers par des soldats brandissant des fusils. Il ne reste plus qu'à espérer que les rois mages n'auront pas oublié leurs papiers d'identité.


*Larry Fata, enseignant et journaliste catholique des Etats-Unis, est directeur de rédaction et chargé de communication de l’EAPPI.

Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)