"Etre l'Eglise en des temps de crise"
Je remercie Dieu de la possibilité qui m'est donnée de vous parler de son action au coeur de notre réalité argentine. Comment percevons-nous notre vocation d'Eglise au milieu de ce temps de crise?
Nous pressentons que ce qui nous arrive ne nous arrive pas à nous seulement. Ce n'est pas sans rapport avec l'Eglise mondiale. Ce matin (jour de la rencontre missionnaire à Olten), j'utilisais l'image du "corps", au sens où l'apôtre Paul l'avait employée. Quand Paul utilise cette comparaison, il n'avait pas en vue exclusivement la communauté de Corinthes (bien qu'il s'adresse naturellement d'abord à elle). L'apôtre Paul parle de l'Eglise comme étant le corps du Christ, où tous ses membres sont interdépendants les uns des autres, où tous sont en réseau mutuel. Il parle du fait que nous sommes tous ensemble en chemin et tous responsables du bien commun. Si un membre a mal, tout le corps souffre avec lui, si un membre se réjouit, tout le corps se réjouit avec lui. Dans ce sens, je partage avec vous nos douleurs et nos joies, car je sais que vous partagez nos sentiments et êtes solidaires de nous.
Comme évêque de l'IEMA, je vous remercie d'avoir concrétisé votre solidarité par la présence parmi nous d'Erich et Nelly Allenbach, Elisabeth Stauffer, Hanni Gut, Annerös Vögeli, Denise Siegrist et Etienne Rudolph avec sa famille. Ils donnent un visage à la mission. Leurs vies enrichissent la nôtre, nos défis sont les vôtres Ils sont le signe concret que nous appartenons tous au même corps.
Comment pouvons-nous chanter sur une terre étrangère?
Le psalmiste se posait cette question bien des siècles en arrière. Comment louer Dieu en toute liberté au milieu de l'esclavage? Comment faire l'expérience du Dieu de la justice au milieu de l'injustice? Comment annoncer le Dieu de l'amour au milieu de l'indifférence? Comment donner au Dieu des faibles crédit et crédibilité, quand les puissants se pavanent? Comment parler de la vérité de Dieu au milieu des mensonges? Comment témoigner de la miséricorde de Dieu, quand l'égoïsme règne autour de nous?
Ces questions ne se posent pas en Argentine ni en Amérique Latine seulement. Ces questions nous touchent tous peu ou prou. Mais elles prennent une autre signification dans notre contexte. Aussi, dans notre situation présente, nous reprenons certaines de ces questions qui revêtent la plus haute importance pour nous. Celles pour lesquelles nous aimerions apporter une réponse concrète de façon à rendre crédible la Bonne Nouvelle.
Notre position de méthodistes en Argentine, je la résumerai par ces paroles: "d'une oreille tournés vers les hommes, de l'autre tournés vers l'évangile".
Comment ça va?
Quand nous entendons les lamentations des 18 millions d'habitants (soit 50% de la population) vivant en dessous du seuil de pauvreté,
Quand nous entendons les lamentations des gens qui veulent travailler et ne pas mendier. (Officiellement, plus de 30% de la population qui serait apte au travail est réduite au chômage. Celui qui travaille au moins 2 heures par semaine, n'est pas considéré comme un chômeur. Les salariés sous-employés ne sont pas recensés comme chômeurs),
Quand nous percevons les lamentations des mères qui déplorent la mort précoce de leurs enfants par manque de nourriture ou de soins médicaux,
Quand nous entendons les lamentations des parents qui doivent accepter le départ de leurs fils et filles à l'étranger, parce qu'ils ne voient plus aucun avenir en Argentine,
Quand nous entendons les lamentations des personnes âgées qui ont perdu leurs épargnes et auxquelles l'Etat ne vient pas en aide,
Tout ces lamentations se traduisent pas un grand cri: BASTA! : assez! Les gens protestent avec leurs poêles vides dans la rue, des associations de quartier sont fondées et se rencontrent une fois par semaine sur la Plaza, des organisations d'entraide personnelle voient le jour, qui essaient d'aider les personnes concernées à organiser leur vie. Le peuple argentin se réveille après une longue sieste. Ensemble nous découvrons tous ce quedoit signifier la démocratie: la démocratie, c'est bien plus que de déposer de temps en temps un bulletin de vote. Il est clair que cela représente un grand effort pour un peuple qui a vécu beaucoup d'années sous la botte de l'armée ou sous un régime autoritaire. Mais si démocratie signifie bien gouvernement par le peuple, cela veut aussi dire que le système doit représenter les intérêts de la majorité et non pas ceux d'une riche minorité.
Il importe maintenant de passer des manifestations aux propositions. Nous prenons conscience que c'est difficile, car il manque au pays 30 ' 000 personnes qui seraient à présent en âge d'assumer des positions de premier plan dans le pays, si elles n'avaient pas été éliminées au cours de la dictature militaire (1976-82).
Passer du raz le bol à des visions
L'Eglise s'est toujours efforcée de tendre son oreille à la détresse des gens, aussi tous les points évoqués précédemment lui sont familiers.
Comme une partie du peuple de Dieu, nous cherchons dans sa parole la lumière en ces temps sombres. Ainsi découvrons-nous un "ça suffit" prophétique. D. Nestor Miguez l'exprime ainsi: "la vision ne peut pas être séparée du prophétique" ça suffit", cela nous conduit à passer des protestations aux propositions, à passer du désert à la terre promise. Sur ce, nous dénonçons la corruption, nous renversons les tables des changeurs d'argent dans les temples de l'économie mondiale pour redevenir de nouveau des créatures de Dieu.--- La vision connaît le passé, elle tire sa force des souvenirs et affermit l'esprit de résistance. Elle n'est pas quelque chose que nous pourrions inventer à nous seuls, mais elle est un cadeau de Dieu."
Une résistance prometteuse
Au milieu de la crise et malgré la crise, nous avons le sentiment que nous sommes appelés par Dieu à son service pour...
Proclamer la vie dans sa plénitude
Contribuer à la vie en abondance pour tous
Résister à toute forme de désespoir
Rendre concret et visible l'amour de Dieu
Vivre sa foi au milieu de notre peuple
Comment réalisons-nous nos visions, nos rêves?
Que signifie croire, sinon voir avec d'autres yeux. Vivre la foi en communauté, cela veut dire s'entraider l'un l'autre à voir. De la même manière que nous compatissons avec les différents visages marqués par la douleur, l'injustice, la faim, la maladie, la pauvreté et les infirmités, nous nous réjouissons avec d'autres visages, visages joyeux qui participent à des clubs d'échange, des cuisines de rue, des ateliers artisanaux, des clubs de personnes âgées, des associations de solidarité pour personnes encore plus nécessiteuses, des groupes de théâtre et des chorales, le rattrapage scolaire pour les élèves, un accompagnement médical alternatif et des associations de quartier.
La liste pourrait être encore complétée. Il est important que toutes ces activités n'aient pas lieu à l'extérieur, mais à l'intérieur des Eglises. Les locaux sont mis à la disposition et les paroissiens y participent activement ou prennent l'initiative. En pleine crise, les communautés de l'IEMA renforcent leurs activités sociales; au milieu des pauvres et des exclus, ils vivent la présence de Dieu. Chaque jour, de nouvelles personnes poussent la porte de l'Eglise, avant tout des enfants, des jeunes et des femmes. Au cours des dernières années sont nées en Argentine plus de 20 nouvelles Eglises, toutes dans les quartiers les plus pauvres des villes. Les membres viennent de la rue, de maisons squattées ou sont de nouveaux pauvres. En beaucoup d'endroits, de telles personnes se joignent aussi aux communautés méthodistes déjà existantes et modifient radicalement leur composition.
C'est ainsi qu'une nouvelle Eglise ne cesse de grandir à partir de la crise qui doit se donner d'autres objectifs majeurs et repenser en profondeur son ancienne compréhension de la mission.
Les nouveaux membres y apportent leur histoire, ils témoignent de l'action de Dieu dans leur vie, ils sont prêts à opérer des changements, ils ont la volonté d'apporter leur pierre à l'édification du Royaume de Dieu.
Ainsi vivons-nous, ainsi rêvons-nous et inventons-nous tout à nouveau l'Eglise missionnaire. Nous prenons conscience dans ce processus que c'est la mission de Dieu. Nous sommes certains que Dieu nous a appelés à participer à cette tâche. Nous sommes joyeux de pouvoir assumer ce ministère au sein de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM). Nous partageons l'espérance vivante que Dieu fera de tout du nouveau en Jésus Christ.
Souvent nous chantons dans nos cultes et nos rencontres le tango d'un vieil évêque Frederico Pagura:
"Aussi avons-nous aujourd'hui l'espérance,
Aussi luttons-nous aujourd'hui avec persévérance,
Aussi regardons-nous aujourd'hui avec assurance
l'avenir de notre pays."
Nélida Ritchie, Barbara Oppliger-Frischknecht (traduction espagnol/allemand)
29 mai 2002
Source: EEMNI