La commission d'éthique commune aux Eglises Evangéliques Libres de France (UEEL) et à la Fédération des Eglises Evangéliques Baptistes (FEEB) et aux Eglises Protestantes Réformées Evangéliques en France (anciennement EREI) publie un document “Aimer mon prochain homosexuel”, en faveur d’une pastorale de l’homosexualité “qui soit digne, respectueuse et empreinte d’amour envers les personnes homosexuelles, tout en étant fidèle à la vérité biblique”. En voici le texte :
Aimer mon prochain homosexuel
Ce texte désire proposer et promouvoir, dans les Églises protestantes et évangéliques, une pastorale de l’homosexualité qui soit digne, respectueuse et empreinte d’amour envers les personnes homosexuelles, tout en étant fidèle à la vérité biblique. Telle est, nous semble-t-il, l’urgence à laquelle l’Église doit aujourd’hui faire face. Telle est sa responsabilité.
La société française est récemment passée par une période de débats pour le moins houleux autour de la loi dite du «mariage pour tous». Les principales instances représentatives du protestantisme français (CNEF, FPF) se sont déjà prononcées à juste raison contre cette loi, si bien que l’enjeu du texte proposé ci-dessous n’est pas de se pencher à nouveau sur cette question, mais d’en aborder une autre qui nous semble urgente dans le climat d’hostilité créé par ce débat : comment aimer notre prochain homosexuel ?
Bien évidemment, c’est avec crainte et tremblement que nous avons abordé ce domaine pastoral. Le fait est que le sujet est difficile à traiter, qu’il est particulièrement chargé émotionnellement, qu’il nécessite rigueur intellectuelle, mais aussi et surtout amour. En effet, bien plus qu’un sujet ou qu’une thématique, c’est de personnes dont il est question. Nous avons voulu les garder au cœur de nos réflexions et de nos propositions. Mais ce faisant, nous avons ressenti comme jamais certaines tensions : Comment dire la vérité biblique avec amour? Comment accueillir sans nécessairement cautionner? Comment accompagner sans juger ? Tenter de répondre à de telles questions est similaire à une marche dangereuse et fatigante sur une ligne de crête... Il se peut que nos lecteurs aient parfois l’impression que nous ayons penché, voire dérapé, d’un côté de la montagne ou de l’autre – et il se peut qu’ils aient raison ! Néanmoins, notre souhait est que ce texte puisse, sinon guider leurs propres pas, au moins encourager leur réflexion et leur mise en pratique de l’amour du prochain homosexuel.
A. Bible et homosexualité
La Bible consacre extrêmement peu de place à discuter des comportements homosexuels : en tout et pour tout il existe six à sept références explicites à l’homosexualité dans toutes les Écritures (Gn 19.1-19 ; Lv 18.22 ; 20.13 ; Jg 19 ; Rm 1.18-32 ; 1 Co 6.9-11 ; 1 Tm 1.10). Cette courte liste indique que l’homosexualité n’est pas, selon la Bible, un « problème urgent », même si, notamment à l’époque du Nouveau Testament dans l’Empire Romain, certaines pratiques homosexuelles étaient courantes et considérées comme socialement « acceptables ». Cela dit, la Bible porte toujours un regard réprobateur sur la pratique de l’homosexualité, en particulier dans la Loi mosaïque : « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination » (Lv 18.22).
Parmi les textes évoquant l’homosexualité, celui de l’épître aux Romains (1.18-32) sort du lot. Sans s’opposer aux autres textes, il traite de la question plus longuement en proposant un principe qui inscrit la pratique homosexuelle dans le contexte global du péché qui affecte tout être humain. Il est en cela fort utile. Dans celui-ci, l’intention de Paul n’est pas d’offrir un quelconque code d’éthique sexuelle. Elle n’est pas non plus d’avertir ses destinataires quant à un éventuel jugement de Dieu contre ceux qui sont coupables de tel ou tel péché (dont la pratique homosexuelle). Bien plutôt, Paul offre ici un diagnostic de la condition humaine qui, dans son état actuel, est désordonnée, déchue. La pratique de l’homosexualité est donc, selon lui, une évidence parmi d’autres, de la rébellion de l’humanité à l’encontre de son créateur. Pour Paul, le péché fondamental est le refus d’honorer Dieu et de lui rendre grâce (Rm 1.21). La colère de Dieu, en conséquence, consiste à laisser l’idolâtrie humaine poursuivre sa course destructrice, à la laisser subir les conséquences de son propre péché. Dans ce texte, l’homosexualité ne provoque pas la colère divine, c’est une conséquence de la décision de Dieu de « livrer » ses créatures rebelles à leurs désirs déshonorants. La liste des comportements injustes de Romains 1.26-31 est donc une liste de symptômes : la maladie sous-jacente n’est ni l’homosexualité ni autre chose, mais celle, concernant l’humanité toute entière, de la rébellion, d’être tombé sous le pouvoir du péché (Rm 3.9).
Ainsi, en Romains, (i) Paul donne une vision globale de la déchéance de toute l’humanité. (ii) Il identifie spécifiquement les comportements homosexuels car ceux-ci illustrent la manière avec laquelle la déchéance humaine distord l’ordre créationnel. En ce sens, la pratique homosexuelle est une incarnation de la condition spirituelle de ceux qui ont « changé la vérité de Dieu pour le mensonge » (Rm 1.25). (iii) L’homosexualité n’est a priori pas « pire » que les autres actes mentionnés en Romains 1.29-31 (parmi lesquels se trouvent le meurtre, mais aussi des péchés souvent considérés comme moins graves : la méchanceté, l’avidité, la ruse, la diffamation, etc.). (iv) L’homosexualité n’attire pas le jugement de Dieu, elle est son propre jugement (Rm 1.27), même si les modalités de l’application de ce jugement restent à ce jour indéfinissables. Comme toute situation de péché, la pratique homosexuelle est un symptôme de la révolte qui sépare l’être humain déchu de son créateur et qui entraîne de fait son jugement et sa condamnation.
Dans ce texte, Paul s’exprime à partir du présupposé biblique selon lequel les pécheurs (dont les médisants, les cupides et les homosexuels, entre autres) méritent d’être condamnés du fait de leur péché « selon le juste décret de Dieu » (Rm 1.32). Cependant, Paul pousse le raisonnement plus loin en soulignant deux points :
- Premièrement, pour lui, approuver de tels actes est également condamnable (Rm 1.32). Celui qui approuve est condamnable car, non seulement il se perd-il lui- même, mais, confirmant les autres dans leur comportement, il les égare d’autant plus dans son vain raisonnement et retient ainsi doublement « la vérité captive ».
- Deuxièmement, Paul se tourne vers les destinataires de son épître, qu’il personnalise (« tu ») pour accentuer qu’il est « donc » inexcusable de juger l’autre, car, en prenant ses distances et en se positionnant sur un niveau moral supérieur, celui qui juge ne reconnait pas que son propre comportement est aussi symptomatique d’une humanité malade. Nulle personne, et certainement pas les chrétiens hétérosexuels, n’a le droit de se considérer comme se tenant sur un socle stable lui permettant de juger de haut l’humanité toute entière, et les personnes homosexuelles en particulier. Tous, nous sommes coupables, malades.
Cette perspective sur le texte de Paul en Romains est loin « d’accepter » ou « d’approuver » les comportements homosexuels. Mais ce n’est pas plus une condamnation de l’homosexualité que de tous les autres comportements de péchés abordés dans ce texte. Paul considère l’homosexualité comme une conséquence et un signe de la chute de l’humanité. Ainsi, quelles que soient les pressions et les tentatives (souvent bien intentionnées) de considérer que les textes se référant à l’homosexualité dans la Bible, et en particulier en Romains, permettent de concilier une vie chrétienne et un style de vie homosexuel, ces lectures sont erronées et forcées. Par exemple, certains proposent qu’en Romains 1.27, Paul ne condamne que les actes homosexuels pratiqués hors mariage par des personnes hétérosexuelles – abandonnant ainsi les relations naturelles, pour elles, en faveur de relations qui ne le sont pas (puisqu’elles sont mariées et hétérosexuelles). Or, une telle lecture, au-delà d’une mauvaise compréhension du contexte dans lequel ces versets sont placés, introduit de manière anachronique le concept « d’orientation sexuelle ». Paul traite ici toute activité homosexuelle comme manifestation de la confusion de l’humanité et de son aliénation du créateur. Autant il pourrait sembler légitime de désirer que la Bible approuve l’homosexualité, par compassion pour les personnes homosexuelles, autant nous ne considérons pas les arguments avancés, celui-ci en étant un parmi d’autres, comme convaincants.
B. L’Église : une communauté appelée à souffrir avec l’humanité
L’amour de Dieu est pour toute l’humanité, y compris pour les personnes homosexuelles. Et si le Nouveau Testament n’accepte jamais la pratique homosexuelle comme style de vie légitime, mais bien (avec tout autre péché) comme un symptôme de l’humanité déchue, la réponse de l’Église doit être empreinte de compassion et d’une attention pastorale toute particulière (vis-à-vis des personnes homosexuelles non chrétiennes comme de celles qui se définissent comme « chrétiennes homosexuelles »). Nous déclinerons une telle attention en quatre points.
1. L’exigence de l’amour
L’amour de la personne homosexuelle est essentiel, car c’est une personne. Si nous considérons comme une évidence le slogan « aimer la personne, mais détester son péché », nous en percevons aussi le danger : les mots sont faciles, les actes le sont moins. Le témoignage de l’Église est atténué sans la concrétisation de cette parole par des gestes et des attitudes vérifiables dans le domaine des relations familiales, dans les diverses collaborations et amitiés rencontrées au cours de la vie, ainsi que dans la lutte contre les injustices de l’homophobie au travail, à l’école et dans tout autre contexte1. La personne prime, elle doit toujours primer, et la grâce de Dieu nous enjoint à l’aimer, quel que soit son péché ou mode de vie. Ne permettons pas à « la haine du péché » d’influencer notre amour pour la personne.
2. La nécessité de demander pardon pour les torts commis
Pour aimer pleinement la personne homosexuelle, le chrétien doit humblement reconnaître les torts commis au nom de la foi chrétienne à l’égard des personnes homosexuelles. L’Église a personnifié, à maintes reprises et parfois de manière institutionnalisée, une offense, une pierre d’achoppement pour les homosexuels. Alors que bien des personnes homosexuelles sont en souffrance, elle a démontré fort peu d’amour et de compassion, préférant la parole distante et sévère de la condamnation inconditionnelle. En cela, elle s’est jugée elle-même (Rm 2.1) et doit, devant Dieu comme devant la « communauté homosexuelle », apprendre à reconnaître ses torts.
Toutefois, le danger guette certainement l’Église contemporaine de chercher à remédier à ces torts en exprimant une approbation, conditionnelle ou pas, de la pratique homosexuelle, ou en légitimant certaines interprétations complexes des Écritures pour soustraire l’homosexualité à la condamnation que les textes bibliques réservent à tout péché. Ce serait tenter de compenser un tort par un autre tort.
3. L’aspiration au dialogue
C’est sur la base de l’amour inconditionnel qu’un dialogue authentique, vrai et fructueux pourra être entrepris. L’Église ne doit pas oublier l’objectif premier dans son annonce de la vérité évangélique : proclamer l’accès au salut par la grâce de Dieu, impliquant pour chacun la reconnaissance du péché et la nécessité de la repentance. L’annonce de cette vérité du salut doit primer sur le discours de l’Église concernant l’homosexualité (il n’est pas du ressort de l’Église, ni de sa responsabilité, de tenter de transformer les homosexuels en hétérosexuels). Comme pour toute personne, l’écoute et le dialogue sont une clef pour la communication de ce message aux personnes homosexuelles. Cela nécessiterait une ouverture de la part des chrétiens qui n’a pas jusqu’ici caractérisé l’Église dans ses relations avec ces personnes.
Hors de l’amour véritable, ce dialogue ne peut avoir lieu. La vérité ne peut être ni dite par les chrétiens, ni entendue par les personnes homosexuelles si elle n’est pas incarnée dans l’attitude, les paroles et les gestes de ceux qui se réclament du Christ. Elle ne trouve son sens que par une prise en compte des spécificités de l’homosexualité dans le cadre d’une réelle écoute de la part des chrétiens.
Hors de l’amour véritable, les positions ne peuvent que se crisper et se radicaliser : d’un côté des activistes homosexuels demandant l’acceptation inconditionnelle, de la part de l’Église, de leur style de vie ; de l’autre, la condamnation sans nuance, de la part de l’Église, vis-à-vis de la communauté homosexuelle. Pour encourager un discours et un dialogue vrais et capable de porter du fruit, seuls l’amour, la reconnaissance des torts et le refus des préjugés réciproques sont à même de permettre l’émergence d’un dialogue apaisé, d’une compréhension mutuelle et d’une relation qui soit un canal de la vérité de l’Évangile.
4. La soif de vérité
Un dialogue authentique est, par nature, vrai. Il donne du temps, il laisse s’exprimer, met en œuvre l’empathie, l’écoute. Dans ce cadre, l’Église pourra apprendre à connaître son prochain homosexuel (ses désirs, ses attentes, ses angoisses, ses colères, ses questions, ses convictions, etc.) et s’exprimer à son tour. C’est dans ce cadre qu’elle pourra dire, par exemple, qu’aucune personne ne doit ni ne peut trouver son identité véritable dans et à travers sa sexualité. Faire de la sexualité le socle de notre identité, c’est, insidieusement et de manière idolâtre, s’éloigner de Dieu.
Dire la vérité, pastoralement, avec compassion et amour, c’est dire à la personne homosexuelle, comme à la personne hétérosexuelle, que la grâce de Dieu n’est pas « bon marché », que la liberté que l’Évangile annonce est difficile, mais néanmoins belle, bonne et vraie.
C. La place des personnes homosexuelles dans l’Église
Jésus le dit : il n’est pas venu pour des justes, mais pour des pécheurs. À moins de penser que l’Église est composée de « parfaits », les personnes homosexuelles y ont donc leur place avec pour compagnie les autres pécheurs repentants la composant. De facto, dans l’Église, nous sommes appelés à vivre ensemble, même si nous n’en sommes pas au même point sur le chemin de l’obéissance au Christ : nous nous respectons et nous aimons les uns les autres comme frères et sœurs en Christ. Par amour, nous disons la vérité, nous nous encourageons, nous nous exhortons sur la voie de la sainteté, nous nous demandons pardon, nous reconnaissons et acceptons notre interdépendance en même temps que notre entière dépendance vis-à-vis de la grâce divine.
L’Église vit de la grâce. Elle est aussi une communauté appelée à la sainteté dans tous les domaines, pas seulement celui de l’éthique sexuelle, mais aussi celui de l’éthique sociale : elle ne doit pas supporter qu’un de ses membres s’adonne à l’exploitation de ses semblables, pratique la violence, tienne des discours haineux, racistes, etc. Ce qui est inacceptable dans la vie d’une Église qui se veut fidèle aux Écritures est la tentative de revendiquer comme légitime un comportement qui ne l’est pas selon le texte biblique. C’est l’interprétation la plus limpide de Romains 1.32, où Paul considère comme un signe dedéchéance non seulement la pratique de certains actes, comme l’homosexualité, mais aussi leur approbation.
Le membre d’une Église est celui qui accepte que Dieu soit et fasse grâce. Il n’est pas approprié pour la personne chrétienne et homosexuelle de (continuer à) pratiquer l’homosexualité, mais pour elle comme pour toute autre, Dieu est et fait grâce. La personne homosexuelle rejoignant une Église reconnaît cette communauté comme un lieu de transformation, de discipline, de formation.
L’Église est une communauté de pécheurs, et une communauté qui embrasse et accueille les pécheurs. C’est une communauté de ceux qui sont morts, ensevelis et ressuscités avec Jésus-Christ, une communauté qui est ainsi en transformation, anticipant la résurrection finale et la nouvelle création. Son espérance dans l’harmonie parfaite, la réconciliation totale de la création, influence dès aujourd’hui son présent : en l’attendant, elle continue de souffrir avec la création déchue, tout en vivant et en se laissant transformer par l’œuvre rédemptrice de Dieu.
Ainsi, le degré d’intégration de la personne homosexuelle dans une Église locale ne peut pas être déterminé, positivement ou négativement, par son orientation sexuelle. Cette intégration devrait être sujette aux mêmes cautions et encouragements que l’intégration de tout pécheur sauvé par grâce et sanctifié par le sacrifice du Christ à la croix. Ainsi, pour l’intégration pratique dans une Église locale, sagesse, bon sens et discernement pastoral devront jouer un rôle tout aussi important s’agissant de la personne homosexuelle que de la personne hétérosexuelle.
D. La pastorale des personnes homosexuelles
Comme tout chrétien, la personne homosexuelle qui s’engage avec le Christ est appelée à changer, à se laisser transformer, à évoluer dans sa relation avec Dieu vers une manifestation toujours plus claire de la sanctification dans ses aspirations, dans ses paroles et dans ses comportements. En conformité avec l’enseignement biblique, une telle transformation représente la clef du bonheur pour le chrétien. Cette affirmation est importante dans le contexte contemporain qui affirme de manière erronée que le bonheur passe inéluctablement par une pratique sexuelle conforme à l’orientation de l’individu. Un enseignement biblique clair pose d’autres jalons pour une vie chrétienne: c’est par l’obéissance aux commandements divins exprimés dans la Bible que le chrétien peut cheminer vers l’épanouissement. Certes, cet épanouissement ne comprendra certainement pas l’assouvissement de tous ses désirs (qu’ils relèvent de la sexualité, des biens matériels, des relations familiales ou des réalisations professionnelles, etc.). Il consistera plutôt en une saine et sainte gestion des manques et des désirs inassouvis, dans un contexte de reconnaissance et de jouissance pour les plaisirs néanmoins nombreux que Dieu accorde à ses enfants.
1. Accompagner la personne homosexuelle, pas la transformer
Une pastorale efficace consistera donc à accompagner les personnes homosexuelles dans une démarche, dont elles restent toujours responsables devant Dieu, correspondant à ce modèle biblique. Cette pastorale doit être principalement réactive, c’est-à-dire qu’elle doit être la conséquence d’une demande formulée par la personne homosexuelle. Personne, responsable chrétien ou pas, ne peut imposer une croix que lui-même ne portera pas : en l’occurrence le renoncement à une activité sexuelle pour un homosexuel. Cela ne peut provenir que d’une libre réponse, par amour pour le Christ, à son appel à prendre sa croix. La seule pastorale efficace dans ce domaine sera celle qui répond à une demande exprimée par la personne homosexuelle convaincue de la pertinence de ces sacrifices dans le contexte d’une relation d’amour avec le Christ.
Cette approche nécessite une parole claire qui va à l’encontre du discours prôné par les lobbys gays : l’orientation homosexuelle n’est pas forcément inéluctable, et la personne qui admet son orientation sexuelle n’est pas obligée de pratiquer sa sexualité pour vivre une vie épanouie.
Il demeure néanmoins essentiel d’aborder le cheminement de transformation de la personne homosexuelle avec beaucoup de sensibilité, car l’objectif qu’une telle personne se fixe (et qui correspond à l’exigence du Seigneur dans la Bible) est un objectif de transformation de son « être », pas juste de son « faire ». L’orientation homosexuelle touche tous les domaines de la vie d’une personne, et ne peut donc pas être traitée comme un comportement auquel il suffit de renoncer une fois pour toutes. L’accompagnement pastoral dans ce domaine doit tenir compte de la souffrance de l’individu et ne pas se satisfaire d’une simple exigence comportementale.
L’objectif de la pastorale de l’homosexualité est d’abord d’accompagner la personne concernée sur le chemin de la foi en Christ, et non pas de la transformer en personne hétérosexuelle, ni de lui trouver une conjointe ou un conjoint. Ce genre d’objectif (la conjugalité hétérosexuelle) cherche plutôt à rassurer l’entourage qu’à ouvrir la personne elle-même au bonheur d’une vie accomplie en Dieu, et conduit presque toujours à de graves détresses relationnelles.
Compte tenu de la diversité des homosexualités, une approche pastorale judicieuse devra chercher, à la demande de la personne homosexuelle, à l’aider dans son exploration des diverses pistes qui pourraient s’ouvrir à elle et qui seraient compatibles avec une éthique chrétienne bibliquement fondée. Parmi les pistes envisageables figurent les suivantes, chacune nécessitant pour le chrétien, l’intervention, l’aide et le discernement de Dieu, et certaines pouvant bénéficier d’un accompagnement spécialisé :
1. Privilégier les penchants hétérosexuels éventuels et chercher la réalisation de la sexualité dans une conjugalité légitime. En effet, plusieurs études psychosociologiques affirment qu’homosexualité et hétérosexualité ne sont pas des orientations sexuelles exclusives et constitueraient plutôt deux pôles d’un continuum. Un grand nombre de personnes homosexuelles ne le sont donc pas exclusivement.
- Trouver un accompagnement psychologique professionnel qui rechercherait les causes éventuelles de l’homosexualité et, le cas échéant, tenterait de remédier (tous les psychologues n’acceptent pas, bien entendu, de travailler dans cette perspective).
- Demander à Dieu, et attendre de lui, une intervention miraculeuse de transformation et de restauration de la sexualité.
- Demander à Dieu, et attendre de lui, un don miraculeux de patience, d’obéissance et de maîtrise de soi dans la perspective d’une abstinence sexuelle qui peut être temporaire (en attendant une modification de l’orientation sexuelle) ou durable (allant dans certains cas jusqu’au vœu de chasteté). Un tel choix ne peut être exigé par une autorité spirituelle humaine, mais certaines personnes considèrent qu’il s’agit d’une demande de la part de Dieu à laquelle elles veulent se soumettre. Quand une personne homosexuelle sollicite un accompagnement pastoral pour vivre conformément à un tel choix, elle doit pouvoir trouver écoute et soutien auprès de l’Église et de ses responsables.
2. Le rôle de l’Église locale dans la pastorale de la personne homosexuelle
Parmi les facteurs qui peuvent aider une personne homosexuelle à cheminer en tant que chrétien figure le rôle important des autres chrétiens, décrits dans la Bible comme une famille spirituelle (Mt 19.29). Ce rôle trouve généralement son expression la plus concrète dans la participation à la vie d’une Église locale. Il ne faut pas sous-estimer ce rôle, ni le surestimer.
ØCe rôle risque d’être sous-estimé si une Église ne mesure pas sa responsabilité d’accueil ou si elle rejette la personne en raison de son orientation homosexuelle. Comme tout être humain qui sentirait son besoin de Dieu et rechercherait les réponses à ses interrogations spirituelles, une personne homosexuelle devrait pouvoir trouver auprès d’une Église un lieu d’accompagnement et d’écoute. La communauté des chrétiens est un des outils que Dieu veut utiliser pour contribuer à la guérison des blessures relationnelles et émotionnelles de ses enfants, au soulagement de la solitude des personnes esseulées et aux besoins d’accompagnement spirituel et pastoral de chacun. La communauté spirituelle de l’Église est aussi le contexte voulu par Dieu pour réorienter notre focalisation identitaire sur le Christ. Dans une société préoccupée par le narcissisme, le culte de l’image, la consommation et l’épanouissement individuel, une composante essentielle du cheminement du chrétien est le recentrage de notre identité sur le Christ. L’Église est un cadre privilégié pour ce processus de transformation spirituelle, dont l’enjeu n’est rien de moins que le bonheur de chaque être humain, quelle que soit son orientation sexuelle.
ØLe rôle d’une Église locale risque d’être surestimé si elle pense qu’elle pourrait ou devrait combler tous les manques chez la personne homosexuelle. En effet, il est légitime de chercher hors de l’Église locale certaines formes de soutien comme les amitiés, l’accompagnement de relation d’aide, l’apport d’un psychologue, etc. Toutes les Églises n’ont pas les moyens humains de satisfaire tous ces besoins chez tous les chrétiens, et il serait néfaste pour un pasteur (ou autre responsable d’Église) de s’attendre à maîtriser tout l’accompagnement spirituel et émotionnel d’un chrétien homosexuel, comme de tout autre chrétien, d’ailleurs. Dans ce but, il peut donc être très utile pour les responsables d’une Église locale d’établir des liens de confiance avec divers partenaires (responsables d’autres Églises, professionnels formés en relation d’aide ou psychothérapie, etc.).
Il arrive souvent que le rôle de l’Église locale ne se limite pas à l’accompagnement des personnes homosexuelles, mais concerne également leurs proches, notamment leurs parents et leur fratrie. En effet, l’orientation homosexuelle concerne autant les familles dans l’Église que celles qui sont extérieures à l’Église. Dans le cas, relativement fréquent, des parents chrétiens qui découvrent l’homosexualité d’un de leurs enfants adolescent ou adulte, il importe de proposer aux parents (mais aussi aux autre membres de la famille) un accompagnement spirituel et pastoral qui soulage leur détresse éventuelle et les déresponsabilise des choix de vie de leur enfant. L’Église ne peut pas aider une personne homosexuelle qui ne le désire pas, même à la demande de ses parents. Par contre, elle peut proposer écoute, réconfort et accompagnement aux parents eux-mêmes.
3. Distinguer accompagnement pastoral et œuvre de l’Esprit
Le chrétien d’orientation homosexuelle est appelé, comme tout chrétien, à grandir à la ressemblance du Christ (2 Co 3.18). Ce processus de transformation est avant tout l’œuvre de Dieu lui-même, par l’action du Saint-Esprit, et nécessite un engagement volontaire de l’individu, motivé par sa relation avec le Seigneur. L’aspiration du chrétien à se laisser ainsi changer par Dieu ne peut pas provenir d’une imposition légaliste, d’une pression ecclésiale ou d’un désir d’émulation du pasteur ou d’un autre chrétien, mais doit trouver sa source dans l’amour du Christ, qui a donné sa vie pour nous. Aucun accompagnement de la part d’un pasteur ou d’une Église ne peut aboutir à un résultat durable et épanouissant dans la vie d’un chrétien d’orientation homosexuelle à moins que ce dernier soit d’abord convaincu de l’amour de Dieu pour lui et sûr de son désir de vivre en disciple du Christ. Seule cette relation intime et personnelle entre l’individu et le Christ peut conduire à une vie chrétienne heureuse et spirituellement mûre.
4. Quelques interrogations pratiques et pistes de réponse
Dans la pratique, la pastorale de l’homosexualité variera énormément selon les individus et les circonstances réelles. Aucune approche théorique, comme celle que nous proposons dans ce document, ne peut espérer proposer des solutions pastorales à la multitude des cas de figure qui se présentent et qui ne manqueront pas d’apparaître dans nos Églises dans les années qui viennent.
Mais dans tous les cas, il conviendra de distinguer entre :
Ø l’accueil de la personne,
Ø l’acceptation ou l’accompagnement de la personne,
Ø et l’approbation de ses comportements.
Il est possible de proposer une écoute et un accompagnement de la personne homosexuelle qui cherche des réponses à ses interrogations spirituelles, sans pour autant approuver ses comportements. Et l’expression de cette désapprobation ne sera pas prioritaire – elle peut attendre un moment opportun quand la relation sera déjà établie, à l’image de l’approche de Jésus avec la femme samaritaine au bord du puits (Jn 4).
Cette distinction entre l’accueil, l’acceptation et l’approbation permet de formuler une approche qui ne rejette pas d’emblée la personne homosexuelle qui demande à devenir membre d’une Église, par exemple. Également, cette distinction permettra éventuellement à un pasteur sollicité en vue de la bénédiction d’une union homosexuelle de réagir autrement que par un refus immédiat qui rejette les personnes. Une telle demande peut provenir du désir de légitimer « religieusement » leur demande d’union civile. Mais elle peut aussi provenir d’une réelle recherche spirituelle et d’un désir de se rapprocher de Dieu, auquel cas, une Église ou un pasteur sollicité ne voudra pas se fermer à toute éventualité d’un dialogue.
De même, dans la situation d’un couple homosexuel avec des enfants qui se mettrait à fréquenter une Église, il ne sera pas forcément dans l’intérêt de tous, notamment des enfants, d’exiger une séparation des « parents » homosexuels concernés. Une approche pastorale empreinte de grâce voudra chercher à construire des relations qui ouvrent à l’Évangile, tout en affirmant clairement la vérité biblique sur les comportements et en veillant à la sérénité de la communauté. En effet, la destinée éternelle des hommes, des femmes et des enfants qui nous entourent prime sur leur comportement moral. L’Église faillit à ses responsabilités si elle impose des normes hétérosexuelles à des situations complexes et, ce faisant, brise l’élan éventuel de personnes homosexuelles qui seraient à la recherche d’une relation avec Dieu. En bref, l’essentiel n’est pas que les homosexuels se mettent à vivre comme des hétérosexuels, mais que chacun se tourne en vérité vers Dieu.
E. Une remarque finale en vue de préserver l’unité des chrétiens
La complexité de la pastorale de la sexualité, notamment de l’homosexualité, est telle qu’un consensus dans tous les cas de figure est impossible. Toutes les Églises et tous les pasteurs, même au sein des dénominations qui se disent évangéliques (ou « représentées par les auteurs de ce document»), n’aboutiront pas aux mêmes conclusions concernant ces situations.
La question de l’homosexualité divise aujourd’hui : entre des Églises qui rejettent sans autres considérations les personnes homosexuelles et celles qui bénissent des unions homosexuelles, le dialogue peut même paraître impossible. Pourtant, entre ces deux extrêmes, le texte présenté ci-dessus propose qu’il existe dans l’Église un espace pour l’accueil et l’accompagnement des personnes homosexuelles. Dans cet espace il nous faut nous accorder réciproquement, entre chrétiens et responsables d’Églises, le « droit » de parvenir à des conclusions et des lignes d’action parfois différentes les unes des autres, du moment qu’elles ne franchissent pas la double frontière biblique du rejet unilatéral de la personne homosexuelle et de l’acceptation de la pratique homosexuelle, mais qu’elles s’inscrivent dans un véritable amour du prochain homosexuel. Il en va de la légitimité de notre témoignage chrétien et de la visibilité lumineuse du message de l’Évangile dans l’obscurité du monde où nous vivons.
1 Étant entendu que la désapprobation, sur des bases bibliques, des pratiques homosexuelles ne constitue pas une attitude homophobe. En effet, aimer n’implique pas forcément approuver.
Commission d’éthique protestante évangélique, en collaboration avec Jonathan Hanley 20/05/2013
À télécharger ici: Aimer mon prochain homosexuel.pdf
© Commission d’éthique protestante évangélique