Pakistan: Des moyens pacifiques pour éviter d’entrer en guerre contre l’Iraq - Lettre de deux responsables chrétiens pour la paix

L’archevêque catholique de Lahore, Mgr Lawrence J. Saldhanha, et le secrétaire du Conseil National des Eglises (protestantes) du Pakistan, Victor Azariah, ont signé le 16 janvier 2003 la lettre ci-dessous, lettre aux chrétiens, destinée à les aider à affronter la situation de crise qui pourrait résulter d’une éventuelle guerre en Iraq.


Les chrétiens du Pakistan ont subi de plein fouet les retombées de la guerre entreprise par les Etats-Unis et leurs alliés contre le terrorisme et les talibans d’Afghanistan.


Depuis octobre 2001, plus de quarante d’entre eux ont trouvé la mort dans des attaques menées contre des églises ou des établissements d’Eglise.


Beaucoup de chrétiens craignent que leur situation n’empire dans le cas où les Etats-Unis entameraient les hostilités avec l’Iraq, nation à majorité musulmane.


Deux jours plus tôt, les auteurs de la présente lettre avaient envoyé une lettre ouverte au président des Etats-Unis, Georges W. Bush, lui demandant de recourir à tous les moyens pacifiques afin d’éviter d’entrer en guerre contre l’Iraq.


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Chers frères et sœurs dans le Christ,


Nous, les responsables de la communauté chrétienne du Pakistan, par cette lettre pastorale adressée à tous les chrétiens, nous vous envoyons tous nos voeux de paix dans le Christ et nos bénédictions. En ces temps difficiles et décisifs pour notre pays et notre Eglise, nous voulons vous apporter des paroles d’exhortation et d’espérance.


En premier lieu, nous adressons nos sincères condoléances à vous tous qui portez le deuil d’êtres très chers, victimes des attaques terroristes au cours de ces dernières années. Nous partageons votre peine et prions le Seigneur de la vie et de la mort d’accorder la plénitude de la vie éternelle à toutes les victimes innocentes de la haine des hommes. Nous exprimons également toute notre sympathie à tous ceux qui ont été blessés et mutilés au cours de ces attaques.


Alors que la calamité de la guerre en Iraq se dessine à l’horizon, nous reconnaissons que cette guerre sera d’une grande envergure et entraînera de désastreuses conséquences pour toute notre région. Nous partageons l’inquiétude de nos frères musulmans et de tous les hommes de bonne volonté en exprimant notre totale condamnation d’une frappe préventive. La communauté internationale a clairement manifesté son opposition à une guerre dirigée contre l’Iraq. Les principales Eglises chrétiennes ont condamné sans équivoque le choix de la guerre. Au premier rang de cette campagne se tient notre Saint-Père, le pape Jean-Paul II qui, à plusieurs reprises, a dénoncé l’action militaire en Iraq. Le nouvel archevêque de Canterbury, Rowan William, a lancé une mise en garde contre une action trop hâtive des forces alliées. Il a trouvé un soutien total chez le Sud-Africain Mgr Desmond Tutu, prix Nobel de la paix. Les évêques catholiques des Etats-Unis ont eux aussi condamné la guerre.


Nous joignons notre voix à la leur et affirmons qu’il ne s’agit pas d’une guerre contre le terrorisme international, mais bien plutôt d’une attaque contre un Etat souverain qui constituera un précédent entraînant des Etats forts a déclarer unilatéralement la guerre à des nations plus petites et plus faibles. Nous appelons le président Georges W. Bush et le Premier ministre Tony Blair à revenir sur leur décision de faire la guerre et les invitons à user d’autres moyens pour forcer l’Iraq à satisfaire aux résolutions des Nations Unies sur le démantèlement des armes de destruction de masse. Nous appelons les responsables de l’Iraq et les autres dirigeants mondiaux à prendre leur part dans les efforts accomplis pour éviter la guerre et empêcher les immenses souffrances de millions d’innocents affectés par la guerre.


Nous exhortons nos fidèles à faire face à l’imminent danger de la guerre avec une foi et un courage de chrétiens. En tant que chrétiens, disciples de Jésus-Christ, nous devons insister sur notre rôle d’artisans de paix et de réconciliation car le Seigneur a dit: «Bienheureux les pacifiques, ils seront appelés enfants de Dieu» (Mt 5, 9). Engageons-nous à être des agents de paix et de réconciliation.


Nous voulons qu’il soit clair pour tous nos compatriotes que nous, les chrétiens, membres d’une minorité religieuse, sommes des citoyens pakistanais, nés et élevés dans ce pays. Nous avons vécu des siècles sur cette terre et nous nous enorgueillissons de notre héritage et de notre culture. En tant que citoyens du Pakistan, nous avons acquis des titres de gloire au service de la nation, spécialement dans le domaine de l’éducation et de la santé, mais aussi dans la défense de notre pays. Nous aimerions déclarer carrément que, dans cette crise, nous nous tenons, épaule contre épaule, avec nos compatriotes musulmans face à l’éventualité et aux conséquences d’un conflit en Iraq. Nous rappelons que le président Pervez Musharraf a déclaré aux dirigeants des minorités, le 9 octobre 2001: «Vous êtes une part du Pakistan.» Ainsi, nous continuerons de montrer que nous sommes des citoyens modèles et que notre loyauté s’exerce à l’égard du peuple du Pakistan et non à l’égard d’un quelconque pays étranger. Nous sommes prêts à prendre notre part de sacrifice pour notre patrie.


Nous sommes convaincus qu’en la présente crise, l’Eglise a un rôle positif à jouer pour le renforcement et la promotion de la paix. Dans son message à l’occasion de la Journée mondiale pour la paix, le 1er janvier 2003, le pape Jean-Paul II a déclaré: «La religion exerce son rôle en matière de paix si elle se concentre sur son rôle propre, son attention à Dieu, le renforcement de la fraternité universelle et la diffusion de la solidarité humaine.» Aussi bien nous demandons aux fidèles d’élever leurs mains vers Dieu chaque jour pour prier pour la paix en redisant avec ferveur: «Seigneur, donne-nous ta paix!» Nous ferons nôtres les paroles du psalmiste: «Ô Dieu, relève-nous, fais briller ta face devant nous et nous serons sauvés!» (Ps 80, 4). Participez aussi aux assemblées de prière interreligieuses où chacun prie selon sa propre tradition pour la paix du monde, la solidarité et l’unité.


En plus de cette prière quotidienne et de ce culte commun, nous encourageons nos organisations ecclésiales à travailler ensemble à l’intégration nationale et à l’harmonie intercommunautaire. Elles doivent, avec les autres Pakistanais, se porter volontaires pour travailler de concert avec les groupes de défense civile et les associations de première aide. Elles devront former des communautés de paix à la base, qui travailleront à empêcher tout conflit au cas où la guerre serait déclarée. Nous assurons les chrétiens que nous sommes préoccupés de leur sécurité et de leur bien-être et que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider. En même temps, les communautés ecclésiales doivent dresser des plans prévoyant comment faire face aux situation d’urgence mettant en cause la sécurité.


Nous affirmons que notre Eglise du Pakistan doit être un levain conformément à la volonté du Christ. Nous aimerions jouer un rôle positif, soutenir tout ce qui est bon et convenable, authentique et légitime en notre société, rester toujours ouverts à la collaboration et promouvoir la réconciliation et une paix juste. Nous souhaitons à tous et à chacun de nos amis citoyens le vrai progrès et le succès.


Pour finir nous souhaitons élever collectivement notre voix contre une action militaire en Iraq et exprimer notre espoir que ce conflit soit rapidement réglé par des moyens pacifiques de telle sorte que la nation iraqienne soit intégrée à nouveau dans la communauté internationale. Que Dieu, Celui qui donne la vie, éclaire les dirigeants mondiaux dans les jours qui viennent afin qu’il oeuvrent en ce sens.


Nous invoquons la bénédiction de Dieu sur vous tous et nous vous transmettons nos voeux les plus sincères. Que la Paix du Christ soit toujours avec vous!


Mgr Lawrence J. Saldanha, pour l’Eglise catholique au Pakistan


M. Victor Azariah, pour le Conseil national des Eglises


Islamabad, le 16 janvier 2003


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Vendredi 7 février 2003

Source: Ucanews/EDA