Pakistan, Peshawar: les organisations humanitaires à la frontière Afghane attendent que baisse la violence

La débacle spectaculaire des Talibans en Afghanistan a suscité l'espoir que l'aide humanitaire puisse être rapidement acheminée aux millions de civils afghans en proie à la famine.


Mais les humanitaires postés à la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan ont dit qu'à partir du 17 novembre, ils étaient toujours dans l'incapacité de fournir de la nourriture ainsi que d'autres provisions à ceux qui en avaient besoin.


La poursuite des combats entre les Taliban et les combattants de l'Alliance du Nord ainsi que les bombardements par les avions de guerre américains ont convaincu bon nombre de chauffeurs de camion de ne pas risquer la traversée du Passage de Khyber, ont annoncé les travailleurs humanitaires.


Un camion chargé de 400 tentes destinées aux familles déplacées à l'intérieur de l'Afghanistan est resté coincé depuis le 12 novembre au poste frontière de Turkham à l'ouest de Peshawar. Plusieurs camions sont à l'arrêt à la frontière, parce que les chauffeurs ont peur des combats qui se poursuivent près de Jalalabad, une ville située sur la route de Kaboul.


L'organisation humanitaire de l'Église Norvégienne (NCA) et l'Aide Chrétienne (CA) ont fourni des tentes à l'Agence pour la Réadaptation et les Économies d'énergie en Afghanistan (AREA). A la fois, la NCA et la CA sont membres de l'Action par les Églises Ensemble (ACT), un réseau international d'organisations religieuses de soutien aux sinistrés qui comprennent l'organisation humanitaire de l'Eglise Evangélique Méthodiste (UMCOR) et le Service Mondial de l'Église (CWS).


Mohammed Naeem, coordonnateur de l'association afghane soutenue par l'ACT, malgré certains reportages, affirme que, si les Taliban avaient reculé du secteur de Jalalabad, le reste de la situation était loin de s'arranger. "Beaucoup de Taliban ont juste enlevé leurs turbans et mis sur leurs têtes d'autres chapeaux," a dit Naeem.


Dans plusieurs secteurs de l'Afghanistan, les combattants de l'Alliance du Nord ont pris sur le terrain le contrôle de la situation à la suite du retrait Taliban. On constate encore sporadiquement des meurtres et couramment le pillage des entrepôts d’ONG dans plusieurs parties du pays, selon des humanitaires. Dans le chaos, plusieurs véhicules appartenant aux Nations unies et à des agences humanitaires privées ont été volés.


Bien qu'une grande partie des Taliban Pashtun aient longtemps contrecarré l'action des humanitaires et les aient fait souffrir, les travailleurs humanitaires avouaient avoir aussi des sentiments mitigés vis-à-vis des chefs militaires Uzbek, Tajik et Hazara qui forment l'Alliance du Nord.


"Ils sont les libérateurs de Kaboul aujourd'hui, de même que les Taliban ont été les libérateurs de Kaboul il y a cinq ans, quand ils ont libéré les gens de la poigne des types qui forment l'Alliance du Nord aujourd'hui," a dit Geir Valle, directeur des opérations ici pour la NCA.


La poursuite des bombardements le long de la frontière interdit aussi aux ONG tout déplacement. ... Les bureaux de toutes les agences de l'ONU et des organisations non gouvernementales à Jalalabad ont été pillés le 14 novembre. Le personnel local à Jalalabad du Comité Danois de l'Aide aux Réfugiés Afghans a été sérieusement frappé de coups.


Le gouvernement du Pakistan avait soutenu les Taliban avant que le Président Pervez Musharraf ait accepté les incitations financières américaines en échange de l'allégeance de son pays. A la suite de la chute annoncée des Taliban, Musharraf doit encore rouvrir une grande partie de la longue frontière du Pakistan avec l'Afghanistan sur 1,500 milles.


A Peshawar le 16 novembre, un grand nombre de journalistes étrangers s'étaient rassemblés impatiemment des heures durant à l'extérieur du bureau local du Haut commissaire des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR), en attendant que les autorités pakistanaises leur accordent la permission de rejoindre un convoi de l'UNHCR en partance pour Kaboul. À la fin de la journée, les fonctionnaires pakistanais sont restés inflexibles sur leur position: la frontière resterait fermée et les journalistes de retourner à leurs hôtels.


Plus de 2 millions de réfugiés afghans résidant au Pakistan et des fonctionnaires pakistanais espèrent qu'au moins la moitié d'entre eux aient envie de retourner chez eux dès la fin des hostilités. Le flux des réfugiés d'Afghanistan, stabilisé après trois ans de sécheresse, a augmenté après le commencement de la campagne de bombardements américains le 7 octobre.


Les humanitaires ont annoncé que les réfugiés observaient attentivement l’évolution de la situation de l'Afghanistan, si le pays se stabilisait ou non. Le directeur d'AERA, Masoom Stanezkai, a dit que beaucoup de réfugiés au Pakistan avaient renoncé à acheter de nouveaux articles pour éviter de devoir finalement ramener plus de poids à la maison.


Plusieurs agences d'entraide ont coopéré avec l'UNHCR et le gouvernement du Pakistan dans l'établissement d'une nouvelle série de camps. Ces camps étaient destinés à l'origine à retenir les réfugiés Afghans près de la frontière et à les empêcher de pénétrer davantage à l’intérieur du Pakistan. À la suite de la débacle apparente des Taliban, les fonctionnaires pakistanais espèrent que beaucoup de réfugiés commencent à retourner chez eux et ils ont rapidement modifié leurs plans: selon eux, les camps frontaliers serviront éventuellement d'étapes aux réfugiés sur leur chemin de retour en Afghanistan.


D’après Valle, le Pakistan entend "encourager très fortement" les réfugiés à rentrer chez eux, mais il perdrait l'appui de l'UNHCR et des organisations non gouvernementales comme la NCA, -avertit-il-, si leur retour n'était pas volontaire.


Valle ... a averti par ailleurs que l'établissement de camps pour familles déplacées n'était pas une solution à long terme.


"Bien avant le début du bombardement, les gens avaient été déplacés de leurs villages ruraux par la sécheresse," a fait remarquer Valle. "Ils ont partagé les uns avec les autres ce qu'ils avaient autant qu'ils le pouvaient, mais cette solidarité appartient maintenant au passé. Ils ont vendu leurs tapis et leurs chèvres jusqu'à ce qu'ils n'aient plus rien, alors ils sont partis pour les villes ou pour d'autres pays. Si nous voulons qu'ils retournent chez eux, nous devons mettre en place des programmes de distribution alimentaire, construire des réseaux hydrographiques et réhabiliter les fermes et les logements détruits à la suite des bombardements - des facteurs qui tous contribueront à leur retour au pays."


Pour le moment, cependant, il demeure très difficile de projeter des programmes à long terme. La communication entre collaborateurs ici au Pakistan et leurs homologues à l'intérieur de l'Afghanistan a été rétablie en plusieurs endroits, bien que dans d'autres secteurs elle reste impossible. Selon Julia McDade, représentante de la CA, les organisations humanitaires sont rapidement opérationnelles, une fois les communications et les liaisons entièrement rétablies. Elle a dit que les neiges hivernales n'avaient pas encore complètement fermé au public plusieurs secteurs du nord de l'Afghanistan susceptibles de bientôt devenir inaccessibles.


De l'extérieur du pays, on s’apprête à acheminer de la nourriture. Cette aide alimentaire ne suffira pas à aider les 7.5 millions de personnes vivant en Afghanistan; la famine les menace dans les six prochains mois. ...


La nourriture pourra parvenir aux villages affamés, pour peu que la situation politique se stabilise dans les jours à venir. McDade déclarait qu'une des clefs à la fin du conflit, c'est que les Afghans voient dans la solution à venir négociée internationalement une alternative viable aux Taliban, quelque chose d'autre que les chefs militaires belliqueux de l'Alliance du Nord.


"Si les gens peuvent accepter la solution que la communauté internationale va négocier avec des responsables afghans, alors ils rejetteront les Arabes et les autres combattants ayant soutenu les Taliban et les dénonceront," a dit McDade. "Mais s’ils perdent tout espoir, ils redonneront alors aux Taliban une nouvelle chance pour se réorganiser. Cette solution doit arriver bientôt, dans les quatre ou cinq jours à venir, sinon la souffrance des gens se prolongera."


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Le 19 novembre 2001

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