Assemblée générale 2003 de la Fédération protestante de France: retour sur l'analyse du président de Clermont

Le pasteur Jean Arnold de Clermont, président de la FPF s'est exprimé longuement sur les événements en cours en Irak, en particulier sur le dévoiement spirituel qu'il perçoit à travers le discours du président Bush. En voici quelques extraits significatifs.


La Fédération protestante a fait entendre sa voix - elle l’a fait en étroite relation avec le Conseil Oecuménique des Eglises (COE), la Conférence des Eglises européennes (KEK), les Conseils d’Eglises des Etats-Unis et du Moyen-Orient, le Conseil d’Eglises chrétiennes en France. 

Elle l’a fait aussi dans la perspective des relations inter-religieuses qui, dans ce domaine, devraient permettre de refuser de faire de ce conflit une confrontation entre l’Occident «chrétien» et le Moyen-Orient musulman. 

Mais il faudra pour le moins que notre réflexion et notre engagement publics soient forts et convaincus si nous voulons faire valoir une autre idéologie que celle développée par le Président Bush et son administration. 


La question n’est plus de savoir comment mettre fin au régime tyrannique de Saddam Hussein et nous ne pouvons que souhaiter une rapide issue à l'opération militaire engagée, dès lors que nous avons échoué à faire entendre les principes qui nous y opposaient... Un autre débat va traverser les mois et probablement les années à venir, qui aura des répercussions tant sur les relations transatlantiques qu’européennes, celui qui concerne l’impérialisme américain. 


Mais il est un domaine où nos Eglises sont interpellées - si j’ose dire - sur leur propre terrain , car c’est au nom d’un véritable messianisme politico-religieux, d’une idéologie de lutte contre l’axe du mal, que le Président Bush et une partie de son entourage politique se sont engagés dans cette aventure. Nous devons, en relation avec les Eglises américaines, nous mobiliser théologiquement et spirituellement contre une telle idéologie, un certain fondamentalisme dans lequel nous ne pouvons nous reconnaître et qui - à mes yeux - doit être combattu.


Nous sommes donc devant un défi théologique.


Le remarquable article de Sébastien Fath dans Le Monde (15/03) et son interview dans Réforme (n°3022) permettent de préciser l’enjeu du débat dont nous avons la conviction qu’il doit être largement ouvert - pas tant pour nous opposer à George Bush que pour la juste compréhension de la foi chrétienne et de son expression protestante.


Alors que le président Bush veut donner l’image d’une piété authentique, ce dont je ne veux en aucune manière être juge et que je ne veux mettre en doute, il développe un discours qui n’est qu’une idolâtrie sans aucun rapport avec le Dieu de la Bible. «La déesse pour laquelle Bush part en guerre aujourd’hui, c’est avant tout l’Amérique» (S. Fath); idolâtrie qui a remplacé le Sauveur par un modèle de société libérale et conquérante voulant imposer au monde la pax americana. 


L’idolâtrie, dit Eric Fuchs, naît de ce jeu subtil du désir qui sacralise une réalité pour mieux lui confier une tâche que le sujet sait ne pouvoir lui-même accomplir. L’homme crée ainsi les dieux dont il a besoin et dont il se fait ensuite le serviteur (L’éthique chrétienne, Labor et Fides 2003). 


Mais, direz-vous, n’avons-nous pas opposé une idole à une autre idole, l’Organisation des Nations Unies à la pax americana? Le risque est réel, qui plus est lorsque nous sommes tentés par des simplifications abusives, «l’Amériqu» contre «l’Europe» par exemple, alors que nous savons les Etats-Unis comme l’Europe traversées par les mêmes questionnements. Il nous faut, d’abord, refuser toute généralisation sur «les Américains». Nous avons été ici témoins de la mobilisation passionnée de nos Eglises sœurs aux USA pour éviter l’engagement des forces armées américaines et autres sans l’aval des Nations Unies. Elles ont affronté pour cela les pires critiques, les campagnes les plus calomnieuses ; nous devons leur dire notre fraternelle solidarité. Il nous faut donc répondre en termes politiques au défi que représente l’engagement des forces armées aujourd’hui. N’y avait-t-il pas devoir d’ingérence, comme certains le rappellent? Nous disons que l’approche plurielle et le rempart du droit international qu’offrent les Nations Unies étaient et restent les meilleurs garants pour éviter précisément qu’un pouvoir s’érige en juge, qu’une opinion personnelle ou un choix de société devienne un absolu. 


Nos Eglises protestantes ont aussi à répondre à une autre simplification: tout cela nous dit-on, serait le fruit du fondamentalisme. D’un certain fondamentalisme, soit! Mais le fondamentalisme est d’abord contre le libéralisme protestant du début du XXème siècle, l’affirmation de croyances non négociables, «fondamentales», comme «la naissance virginale de Jésus, sa résurrection corporelle, sa divinité, le sacrifice expiatoire, l’inerrance de l’Ecriture» (J.P. Willaime, article «Fondamentalisme», Encyclopédie du protestantisme, Labor et Fides). 

Or tout cela a fort peu à voir, vous en conviendrez, avec la vision du monde développée par le président Bush dont Sébastien Fath (article cité) démontre avec vigueur qu’il est plus le produit d’une «religion civile» que le fruit d’une lecture raisonnée de la Bible. 


Ce que je tenais à souligner ici, c’est notre responsabilité de protestants français, divers ô combien! , fort peu suspects, je le crois, d’être confondus avec la «Southern Baptist Convention» - je vous recommande la déclaration sans ambiguïté de la Fédération des Eglises Evangéliques Baptistes – c’est notre responsabilité donc de contester l’image que le président Bush donne de la religion, d’en dire les dimensions idolâtres et de refuser toute généralisation dont, encore une fois, nous pouvons attester qu’elles ne sont pas fondées.


Source: News Press