Actu : de la laïcité au laïcisme

JP Waechter

Deux événements phare survenus en France au cours du mois de septembre nous interrogent : la mise à pied d’une fonctionnaire pour atteinte à la laïcité et l’éviction de tout religieux du Conseil national d’Éthique (CCNE). Actu est une rubrique commune à Christ Seul et à En route. Cet article sera publié dans le numéro de novembre. Avant-première.

Laïcité ouverte

Bien comprise et bien appliquée, la laïcité, dont les Protestants se sont fait les champions, implique d’un côté la nette séparation entre les Églises et l’État et de l’autre la libre expression des citoyens dans la sphère publique quelqu’en soient la sensibilité, religieuse au politique, dans les limites de l’ordre public et moyennant le devoir de réserve pour les fonctionnaires.

Claude Julien, ancien directeur du Monde Diplomatique, défendait ce point de vue lors d’une conférence-débat initiée par Radio Espoir (47) à l’occasion de la commémoration du centenaire de la loi associative 1901 : « Mon souci a toujours été de défendre la liberté pour chacun de partager ses convictions quelles qu’elles soient en public ». À juste titre, car jusqu’à preuve du contraire, notre « société reste un espace d’échanges et d’opinions, dans le respect de tous » (CNEF).

Laïcisme

Or nous assistons actuellement dans notre société à un glissement progressif de la laïcité la plus ouverte au laïcisme le plus sectaire. Et par laïcisme, nous entendons la volonté déclarée de restreindre au maximum les possibilités d’expression des religions dans la sphère publique.

Deux événements survenus en ce mois de septembre montrent au grand jour la volonté déclarée de la part de certaines autorités d’exclure le religieux des différentes sphères publiques et de le réduire à sa plus simple expression dans la sphère privée.

Acte délictueux ou simple cadeau ?

Nadine Lalanne, fonctionnaire à la tête d’un important service au sein de la mairie de Conflans-Sainte-Honorine, a été sanctionnée professionnellement pour avoir distribué en fin d’année des pruneaux d’Agen et un calendrier illustré de versets bibliques en guise de simples cadeaux à ses collègues.

Péché impardonnable pour Philippe Esnol, sénateur-maire, qui la démet aussitôt de ses fonctions pour « atteinte au principe de neutralité et de laïcité du fonctionnaire » : « Elle n’a pas à mélanger ses responsabilités professionnelles avec la pratique de sa religion. Là on est chez les fous ! », déclare-t-il sur RMC.

Dérive laïciste

Françoise Caron, vice-présidente des Associations Familiales Protestantes (EPF) juge « cette affaire stigmatisante pour les croyants » et « comme une dérive laïciste ». De son côté, Étienne Lhermenault, président du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), s’inquiète d’une « tendance à vouloir aseptiser la vie publique de toute composante religieuse et le sociologue Sébastien Fath de se demander sur son blog si la religion, en France, n’est pas en train de devenir taboue. « Jusqu’où ?... »

Sanction disproportionnée

Dans le cas présent, la sanction semble « disproportionnée ». Sandra Blasiak, présidente de l’AFPM, partage son analyse et d’ajouter dans un courrier adressé au Maire de Conflans que « si le fait de mentionner un extrait de la Bible sur le calendrier vous paraît inadmissible, je vous rappelle que ce livre fait partie intégrante des programmes de l’Éducation Nationale, pour les classes de 6ème, 5ème et Terminale, sans oublier les études supérieures littéraires, qu’elles soient historiques ou linguistiques ». Citer la Bible, partie intégrante du patrimoine de l’humanité, ne saurait en effet être répréhensible en soi, confirme le CNEF qui entend « ne pas laisser courir une telle sanction », car elle remet en cause « la liberté de conscience, acquis démocratique majeur de notre société laïque ».

Déclaration du CNEF, extraits

« La laïcité est avant tout affaire d’équilibre entre plusieurs libertés »

En juillet dernier, le Conseil national des évangéliques de France rappelait que « les protestants évangéliques sont, depuis toujours, d’ardents défenseurs de la liberté de conscience, d’expression et de religion ou d’opinion.

La laïcité est avant tout affaire d’équilibre entre plusieurs libertés : liberté de conscience des individus, liberté d’exercice des cultes et liberté de l’État vis-à-vis des religions ».

Dans cette situation, il ajoute que la liberté d’expression et de conscience ne peut se voir restreintes, même dans le service public, que dans les cas, prévus par la loi et lorsque cela constitue "des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » (Article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme).

Le CNEF appelle donc à une juste mesure permettant que la société reste un espace d’échanges et d’opinions, dans le respect de tous. Et s’il devait y avoir un recours devant les tribunaux, le CNEF fait confiance à la justice pour rétablir le droit.

17 septembre 2013

CNEF


Discrimination religieuse

Le CPDH n’est pas de reste en qualifiant Nadine Lalanne de victime de discrimination religieuse à cause de sa foi chrétienne. Selon ce lanceur d’alerte, tout part « d’une interprétation inquiétante et d’une dérive laïciste : la « chasse est ouverte contre tout ce qui est en lien avec la religion de loin ou de près ». Contrairement à sa véritable définition, cette laïcité « enfreint totalement la liberté d’expression et de conscience ».

Sébastien Fath, sociologue

18/09/2013

Calendrier biblique : nuit gravement à la laïcité ?

L’affaire met en jeu la définition même de la laïcité dans l’administration. Jusqu’où la religion, en France, devient-elle taboue ?

Son blog


Éviction de religieux

L’autre événement notable du mois a été la non-reconduction par l’État de religieux dans leur fonction de membre du Conseil consultatif national d’Éthique (CCNE). Dorénavant, l’avis d’experts religieux ne sera plus requis au sein de cette instance sur les chapitres sensibles de la bioéthique, du PMA et de l’euthanasie.

OPA idéologique

Pour Charles-Henri Jamin, président du Parti Chrétien-Démocrate, c’est un acte fort de propagande commis par le président François Hollande. Il parle d’« une OPA agressive de la gauche sur le CCNE… visant à changer les mentalités et consacrer l’enfant comme objet de désir ». FranceTV Info titre : « Le Comité national d’éthique soupçonné d’être remanié pour servir la gauche ». « Le Comité Consultatif National d’Éthique transformé en Comité politique », titre de son côté ‘La Manif pour tous’ (rapporté par le Salon Beige). Dernier titre significatif, celui de Liberté politique : L’Etat-PS démantèle le Comité national d’éthique.

Autoroute pour le changement

Avec cette mesure, le pouvoir en place aura aisément la majorité pour influencer les débats éthiques à venir et faire passer en force des réformes toutes très délicates et controversées (ouverture du PMA et la GPA aux couples homosexuels, fin de vie, don de sang par les homosexuels) et les personnalités nouvellement choisies sauront prendre les positions correspondant aux souhaits du gouvernement : « Le gouvernement veut s’entourer de personnalités qui prendront des positions dans le sens souhaité », le pasteur Louis Schweitzer en est persuadé. « Un changement pour se constituer une assemblée obéissante sur des sujets de société sensibles ? » question posée de son côté par France TV Info.

Forcing politique, laïcité musclée

Remplacé par Marianne Carbonnier-Burkard, l’historienne spécialiste de la Réforme protestante, le pasteur Louis Schweitzer regrette dans les colonnes du Figaro l’absence de concertation : « Même si c’est le président de la République qui nomme, la tradition veut que toutes les autorités religieuses soient toujours consultées au préalable pour proposer un nom, c’est même comme ça que, moi-même, j’ai été élu. Or cette fois nous n’avons pas été consultés ». Selon ses dires, cette manœuvre et cette tactique répondent à la volonté politique délibérée de « revenir à une laïcité musclée » et de « faire payer aux représentants religieux leurs positions plutôt hostiles au mariage pour tous. En les écartant de la réflexion sur des questions de société, le gouvernement impose une vision de la laïcité fermée au risque d’appauvrir le débat », ajoute-t-il.

Louis Schweitzer : les raisons de son éviction du CCNE

«Le gouvernement fait comme si les chrétiens liés à une institution religieuse n'étaient pas libres de penser et dignes d'avoir leur mot à dire sur les questions de société. Je vois là un refus d'accepter la présence des religions dans le champ du débat public. Mais il serait fou de penser que les religions n'auraient rien à dire sur les sujets de société !»

LA VIE


Claude Baty

«Ecarter les religieux du comité d'éthique, c'est un manque de respect doublé d'un manque de sens politique. Si l'on prétend régler les questions sur lesquelles le CCNE est consulté en concluant : l'ensemble du Comité est favorable à ce que propose le gouvernement, tout le monde va rigoler, ça n'a pas de sens ! C'est absurde : quel est l'intérêt d'avoir des comités ''oui oui'' aux ordres ? Ils n'ont de sens que grâce au dialogue qu'ils provoquent, et parce que tout le monde n'est pas forcément d'accord... On a voulu faire partir les opposants. On a là une illustration de plus de la volonté de certains laïcs d'écarter les religieux du débat public.  Les choses se sont passées de la même façon lors de la création de l'Observatoire de la laïcité. Nous avons reçu la liste de ses membres sans avoir été consulté, il n'y avait ni religieux, ni même de représentant de nos religions alors que le Comité comprenait des francs-maçons et des personnalités connues pour leur laïcité combative. Tout cela constitue une brutalité dommageable pour la démocratie».

Extraits de fait-religieux.com, 25/09/13 


Laïcisme sectaire

Ces deux affaires distinctes témoignent chacune à sa manière d’une forme de dérive laïciste et sectaire. Les citoyens protestants que nous sommes, dont les pères ont défendu ardemment la laïcité, ne peuvent rester silencieux devant cette dérive et se doivent de protester, tout en sachant que leur destin est d’être souvent relégués aux marges de la société comme leur Maître, « en dehors du camp, en supportant le même mépris que lui » (Hé 13.13), mais nous restons convaincus que « la pierre que les bâtisseurs avaient rejetée deviendra la pierre principale » (Mt 21.42).

ENroute