Canada: histoire du méthodisme (1)

Le site erudit.org propose une recension de l'ouvrage de SEMPLE Neil intitulé The Lord's Dominion: the History of Canadian Methodism publié en son temps par McGill-Queen's University Press en 1996. William Westfall du Département d'histoire, Collège Atkinson, Université York signe cette recension. Voir RHAF, vol. 52, n° 1, été 1998 


Ce livre est né de l'intention d'un homme, le père Edward Jackman, qui entendait aider les membres de l'Église unie du Canada à conserver, de leur héritage méthodiste, une mémoire collective dont il lui semblait qu'elle s'évanouissait rapidement au fil de l'évolution sociale et religieuse. Grâce au soutien généreux de la fondation caritative dont il est un membre éminent, le service des archives de l'Église unie mit en oeuvre, sur l'histoire de cette Église, un programme de recherche et de publication qui devint bientôt une des plus ambitieuses entreprises intellectuelles au Canada. Le résultat dépasse largement les objectifs plutôt modestes que s'était d'abord fixés le père Jackman. The Lord's Dominion n'est rien de moins qu'un ouvrage magistral sur l'histoire riche et plurielle du méthodisme dans ce pays, depuis la période initiale de la colonisation anglaise jusqu'à la formation de l'Église unie du Canada. 


Tout au long de ces années, les méthodistes en vinrent à former la plus importante collectivité protestante au Canada anglais. Fondé en Grande-Bretagne au milieu du XVIII esiècle, le méthodisme pénétra au Canada à la fois par ce pays et par les colonies américaines; il parsema dès lors la colonie d'une multitude de dénominations religieuses qui tiraient toutes leurs origines de ce moment où le révérend John Wesley, parcourant une rue de Londres le 24 mai 1738, fut touché par l'esprit de Dieu. Comme le décrit assez minutieusement Semple, ces groupements connurent, au cours du XIX esiècle, une évolution extrêmement complexe faite de divisions et d'unifications qui devaient finalement mener, en 1884, à la formation de l'Église méthodiste du Canada, laquelle allait se joindre officiellement à l'Église unie le 10 juin 1925. 


Si l'ouvrage s'articule d'abord sur la croissance institutionnelle du méthodisme, l'auteur n'en aborde pas moins un certain nombre d'autres thèmes. Pratique religieuse, éducation, évangélisation, réforme sociale et missions y figurent en bonne place. On y évoque aussi, de manière très réfléchie, la question des rapports entre les Églises méthodistes et les peuples autochtones. Bien que le texte soit d'abord écrit dans une perspective torontoise (l'Ontario ayant été le terreau même de la réussite méthodiste), l'auteur étudie aussi le méthodisme dans les provinces de l'Atlantique (où il céda la première place au baptisme) et dans l'Ouest (où l'Église méthodiste ne parvint jamais à composer avec le rythme accéléré de l'immigration et de la colonisation). Les lecteurs de cette revue s'intéresseront particulièrement à l'analyse des relations qu'entretinrent les Église méthodistes avec le Canada français, à la fois par leurs tentatives d'assurer des services aux protestants de langue française et par leurs efforts de conversion des Canadiens français catholiques. Elles ne connurent de succès dans aucun de ces domaines. 


Sous-jacente à la croissance et à la réussite du méthodisme est l'interaction complexe entre ce que nous pourrions appeler la perspective religieuse méthodiste et l'émergence des modèles sociaux et intellectuels de la société canadienne-anglaise. Historien des idées, Neil Semple nous propose une Église qui, tout à la fois, modèle le monde qui l'entoure et est modelée par lui. Aucune autre Église protestante ne pouvait prétendre au titre de véritable religion du Canada anglais (fût-ce officieusement), ce qui la plaçait dans une position analogue à celle de l'Église catholique au Québec. Pourtant, tout comme son homologue québécoise, l'Église méthodiste ne parvint pas à réaliser son objectif qui était de «sauver» sa propre société. À maintes reprises, elle dut revoir et modifier ses orientations et ce, aux époques mêmes où elle connaissait au Canada anglais une croissance et un soutien sans précédent. 


Les points forts de cet ouvrage, cependant, en dessinent aussi les limites. En mettant d'abord l'accent sur l'histoire institutionnelle du méthodisme canadien, l'auteur est forcé de négliger quelque peu l'analyse de sa composition sociale de base. En étudiant la réforme à travers le prisme des structures et des personnalités ecclésiales, il s'interdit une étude plus exhaustive de la question complexe des rapports entre le méthodisme et la formation des classes sociales. 


L'ouvrage est néanmoins de portée considérable. Avant sa publication, nous n'avions du méthodisme qu'une connaissance fragmentaire et souvent dépassée. The Lord's Dominion redonne à cette confession la place qui lui revient dans l'histoire et contribue de manière importante au renouveau de l'histoire religieuse au Canada. Il deviendra, à n'en pas douter, la référence obligée sur le méthodisme canadien. L'histoire qu'il raconte est essentielle à la compréhension de l'évolution religieuse, sociale et intellectuelle du Canada anglais. ….

Source: EEMNI