La 9e assemblée du Conseil œcuménique des Églises s’est réunie depuis le 14 février à Porto Alegre, au Brésil. «Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce» a été retenu comme thème de la rencontre. Pour Nicolas SENÈZE du journal la Croix, c’est l’occasion pour l’ensemble des Eglises de mettre tout à plat et de repenser l’oecuménisme.
Tous les sept ou huit ans, le Conseil œcuménique des Églises (COE) rassemble la grande famille de l’œcuménisme pour une grande assemblée qui définit les perspectives du mouvement vers l’unité des chrétiens pour les années à venir. Après Harare (Zimbabwe) fin 1998, c’est à Porto Alegre, dans le sud du Brésil, que 3 000 participants, dont 1 200 délégués des 347 Églises membres, se retrouvent à partir de mardi 14 février et jusqu’au 23 février, pour cette grande foire de l’œcuménisme.
Une foire ? Un mutirão plutôt, selon le mot portugais choisi pour désigner cette 9e assemblée, qui exprime à la fois le rassemblement, la célébration et la réflexion pour changer les choses. Car, dans cette capitale historique de l’altermondialisme qu’est Porto Alegre, le COE a choisi comme thème «Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce».
"Les chrétiens doivent repenser leur identité"
« Ce thème de l’assemblée exprime à la fois la prière et l’espérance, explique le pasteur méthodiste kényan Samuel Kobia, secrétaire général du COE. Il nous rappelle que «Dieu, en Christ, a offert réconciliation et vie nouvelle à l’humanité ainsi qu’à toute la création. Cela m’amène à croire que l’assemblée peut apporter une impulsion qui conduira à renouveler le programme œcuménique du XXIe siècle».
Car le mouvement œcuménique, depuis plusieurs années, semble en crise. Une crise d’identité, liée d’abord à une tentation de repli identitaire de la part des confessions chrétiennes qui y participent. « La question de l’identité religieuse est revenue dans la sphère publique, souligne le pasteur Kobia. Alors que le XXe siècle était dominé par la confrontation entre différents courants idéologiques, la question des ‘‘identités’’ émerge comme l’un des traits caractéristiques du XXIe siècle. Tous les chrétiens doivent repenser leur identité dans le contexte d’une nouvelle pluralité religieuse».
Lors de la dernière assemblée, en décembre 1998, les Églises orthodoxes avaient aussi fait part de leur très mauvaise humeur face au fonctionnement du COE, en particulier lorsque celui-ci s’engageait sur les sujets sociaux et éthiques : les orthodoxes se retrouvaient jusqu’alors en porte-à-faux avec un libéralisme démocratique des protestants, très majoritaires en nombre d’Églises membres, et regrettaient de ne pouvoir faire entendre leur part de vérité.
74% des Brésiliens se rattachent à l’Église catholique
Depuis lors, grâce à une commission de travail « ad hoc », le COE a modifié son fonctionnement, remplaçant le vote majoritaire par un fonctionnement plus axé sur le consensus. « Il doit continuer à permettre aux Églises de confronter leurs différences dans un esprit de dialogue, et de redécouvrir une voix commune lorsque cela est possible », espère Samuel Kobia. Cela suffira-t-il, dans un contexte mondial de « concurrence » entre Églises ?
La question est sensible dans cette Amérique latine, qui accueille aujourd’hui pour la première fois une telle assemblée. Et particulièrement au Brésil, où l’Église catholique – à laquelle se rattachent, selon le recensement de 2000, 74 % des Brésiliens – doit faire face à la concurrence des groupes évangéliques et pentecôtistes, qui pourraient représenter aujourd’hui plus de 12 % de la population.
Cette crise d’identité du COE se double d’interrogations sur la mission du mouvement œcuménique. Confronté à une grave crise financière, le Conseil basé à Genève a dû réorienter son action. « Je souhaite que nous développions une nouvelle approche de l’œcuménisme au XXIe siècle, et que nous commencions à considérer sérieusement de nouvelles formes et de nouvelles configurations possibles », confie le pasteur Kobia, qui appelle à redéfinir les priorités du COE.
Le secrétaire général explique ainsi que certains domaines, comme la défense de causes ou le service des pauvres, relèvent davantage de la mission des Églises elles-mêmes. « Il nous faut réorganiser notre travail et lier plus étroitement notre réflexion et notre action sur des questions comme celles d’une économie équitable, du développement durable et de l’écologie », explique le secrétaire général du COE, qui souhaite « faire moins mais le faire mieux ».
Un œcuménisme plus spirituel
Enfin, autre axe que Samuel Kobia entend faire approfondir : un œcuménisme plus spirituel. « Je suis convaincu que le mouvement œcuménique devra prendre beaucoup plus au sérieux la spiritualité, afin de nourrir et d’enrichir notre expérience œcuménique commune », avance-t-il.
Car toutes ces difficultés dans le paysage œcuménique ne doivent pas faire oublier le but ultime de la démarche du COE : parvenir à l’unité visible des Églises. L’assemblée de Porto Alegre débattra d’ailleurs d’une déclaration sur l’ecclésiologie, pour redéfinir sa conception de l’Église et de la mission. Élaboré par la commission Foi et Constitution – instance théologique du COE, la seule dont l’Église catholique est pleinement partie prenante –, il servira de base de réflexion sur ce qui rattache les Églises entre elles et ce qui menace de les diviser.
« Ce n’est pas par hasard que ce document est intitulé Invitation aux Églises, car il les appelle à un dialogue nouveau et approfondi, souligne le pasteur américain Thomas Best, directeur de Foi et Constitution. Il les appelle à être l’Église une, à rendre visible dans l’Esprit l’unité que Dieu leur a donnée en Christ. De plus, il les met au défi d’affronter ouvertement leurs divisions, de les nommer et de travailler à les surmonter ».
13/02/06
Source: La Croix