Propos recueillis par JP Waechter
Le pasteur Raymond Kayij-A-Mutombu (Tunis) est détaché en Tunisie pour assumer à la fois un ministère pastoral auprès de la très cosmopolite Église réformée et un travail social auprès de l’organisation caritative et humanitaire catholique Caritas. Pour En route, il accepte de parler de la vie de cette église très fortement multiculturelle au service de laquelle il se tient.
Des apports multiples
La communauté évangélique de Tunis, dans laquelle Raymond est engagé, est une communauté fortement multiculturelle. On y retrouve des ressortissants de multiples nations parlant plusieurs langues, une réalité tout à fait exceptionnelle et même spécifique à l’Afrique du Nord selon Raymond. Toutes les nationalités y sont représentées. Les uns y viennent par nécessité et les autres sont présents par leur libre choix. Prenons les migrants africains : la Tunisie étant située à proximité de l’Europe, ils espèrent traverser aisément la Méditerranée, rejoindre l’Europe et y trouver du travail. Mais la majorité des migrants sont des expatriés venant à Tunis pour des raisons professionnelles : ils viennent y exercer leur métier de professeur, ingénieur, médecin, ou banquier… Suite aux événements d’Abidjan, la Banque de Développement Africaine, qui avait son siège à Abidjan (Côte d’Ivoire), a été ainsi transférée temporairement à Tunis avec l’ensemble de son personnel, plus de 1 500 fonctionnaires et la majorité d’entre eux sont des chrétiens. Leur présence est une richesse pour les églises de Tunis.
L’apprentissage de l’unité
L’église de Tunis devient donc ce lieu où se confrontent et se rencontrent des frères et sœurs chrétiens de cultes et cultures différentes. Cette rencontre et cette confrontation sont à la fois enrichissantes et explosives, reconnaît le pasteur Kayij-Mutombu : « Au début, c’était terrible, parce que les uns aiment leur culte et leurs prières traditionnels, dans le silence et la méditation, alors que d’autres sont plus émotionnels : ils aiment crier, font prier tout le monde à la fois et cela a créé des problèmes. Il a fallu trouver des solutions pour arriver à un équilibre, de façon à satisfaire tout le monde ». À ce jour, l’objectif d’unité est atteint grâce à la patience dont tous ont fait preuve et surtout grâce au Saint Esprit : « Aujourd’hui, on est très content. On essaie chacun de tolérer l’autre et d’accepter l’autre tel qu’il est ».
Dans ce sens, l’église de Tunis est une école de patience pour tous, « une école de tolérance, tout comme une école de respect et de liberté pour tout un chacun ».
Diversité d’approche
Cette communauté cosmopolite, marquée par la diversité de formes et de formation, la différence de cultes et de cultures, mais aussi peut-être la différence de théologies et d’arrière-plans dénominationnels, cette communauté fait l’expérience de l’unité ; elle est la preuve que l’unité est possible. Il n’est pas obligatoire d’importer de son lieu d’origine les tensions, les divisions, les séparations et les ruptures dans sa communauté d’accueil. Raymond exprime sa reconnaissance au Seigneur pour l’unité qu’Il a suscitée : « On vient tous d’arrière-plans différents, il y a des pentecôtistes, des méthodistes, des mennonites, des baptistes, etc.., mais là on s’est dit : nous venons ici pour adorer le Seigneur et non pas pour apporter les doctrines qui nous différencient les uns des autres. Alors on essaie de faire très attention sur ce point pour ne pas provoquer les autres ».
Précisons qu’à la tête de cette église plusieurs pasteurs sont en fonction et qu’ils sont tous quatre de dénominations différentes. Cela crée aussi l’originalité du lieu et donc de sa vocation : unir et réunir autour du Christ…
La communication ne pose pas de problème
Autant de nationalités différentes réunies en un seul lieu pour partager la foi et le culte, c’est formidable, mais est-ce à dire que la communication est aisée ? Raymond nous rassure en laissant entendre que la plupart des migrants parlent soit le français, soit l’anglais. Si les anglophones ont leurs cultes, les francophones ont le leur.
Le rapport aux autorités
Pour l’heure, les autorités sont favorables à l’exercice du culte, tant que le culte est dirigé par des étrangers et tourné vers les étrangers, mais elles interviennent dès que les chrétiens se tournent vers les autochtones, tout prosélytisme leur étant formellement interdit. Cela ne veut pas dire qu’il soit interdit aux chrétiens d’avoir des relations de voisinage, bien au contraire, il est toujours possible de répondre aux questions de son voisin musulman sans être inquiété. Raymond relève comme un fait courant le fait d’être interpellé sur la route : « On nous pose beaucoup de questions. Tant que cela reste sur le plan individuel, ça ne crée aucun problème, les choses se corsent, si on ose commencer à entrer dans les maisons pour évangéliser, là, ce n’est pas du tout permis ». Si le témoignage individuel est possible, toute action concertée publique est quasiment impossible.
Le rapport aux chrétiens locaux
On l’a compris, la communauté protestante de Tunis rassemble essentiellement les étrangers de passage dans le pays. Mais qu’en est-il des chrétiens locaux ? Vivent-ils clandestinement leur foi par peur de représailles ? Raymond nous rassure quant à leur existence. Il lui arrive de prier avec eux et de les retrouver l’espace d’une réunion dans un hôtel réservé à cet effet : « Ils ne viennent certes pas en grand nombre, mais ils viennent et on prie avec eux et ce ne sont pas seulement des Tunisiens, mais ce sont aussi des Nord-Africains, des Algériens et des Marocains prêts à braver la peur »…
Autrement dit, quand nous pensons à cette communauté cosmopolite et multiculturelle de Tunis, nous penserons également aux frères et sœurs du pays appelés à vivre leur foi avec discrétion en marge de cette église.
Parmi les besoins que le pasteur Raymond Kayij-A-Motombu identifie, il cite la formation des pasteurs : « Il nous faut des pasteurs bien formés pour essayer de maîtriser la situation, de comprendre les uns les autres. Et la deuxième chose, c’est le partage d’amour : aimer tout un chacun tel qu’il est ».
L’engagement social du pasteur
À mi-temps, le pasteur est engagé pour l’œuvre caritative et humanitaire CARITAS au service des migrants mais aussi au service des Tunisiens en situation de précarité. Il apprécie le caractère œcuménique de ce travail social : « Je travaille dans un cadre œcuménique, avec l’ensemble des églises présentes à Tunis (catholiques, orthodoxes, réformée, anglicane, etc.). Nous travaillons ensemble pour assister ceux qui sont dans la nécessité, surtout les réfugiés qui viennent de part et d’autre ».
Courage donc à notre frère dans sa double mission pastorale et sociale en terre tunisienne.
Source: EEMNI