Peu de temps après les attaques terroristes sur New York et Washington, Ann Whiting, rédactrice du journal du "Michigan Christian Advocate", a réalisé une interview avec Thomas Porter, pasteur de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM) et avocat, directeur de "JUSTPEACE", le Centre Evangélique Méthodiste pour la Médiation et la Transformation des conflits. L'agence a été créée en l'an 2000 par le Conseil Général des Finances et de l'Administration. Son but est de "préparer et d'aider les évangéliques méthodistes à aborder les conflits de manière constructive de façon à servir la cause de la justice, de la réconciliation, ... , dans l'Eglise et dans le monde." Porter a passé une année sabbatique en Afrique du Sud à étudier le travail de la Commission Vérité et Réconciliation.
Whiting: Décrivez-nous, s'il vous plaît, le concept de justice réparatrice (en anglais: restorative)
Porter: La justice réparatrice est fondée sur la compréhension biblique de la justice. Elle se focalise sur le mal subi par les victimes et non simplement sur l'infraction de la loi. Cela signifie que la priorité des priorités consiste à comprendre les besoins des victimes et à y répondre ainsi que la guérison des victimes. Les victimes directes sont au centre des préoccupations, mais toute autre personne affectée par le crime y est aussi impliquée, y compris la communauté dans son ensemble.
Cette approche diffère de la justice pénale, qui se concentre sur le contrevenant, détermine sa culpabilité ou son innocence et prononce la sanction... . ...
Par rapport au mal subi par les victimes, la justice réparatrice croit que nous devons affirmer pour ceux qui ont fait le mal leur responsabilité morale et leur besoin d’assumer leur responsabilité.
Le système de la justice pénale voit la responsabilité comme une punition dans la ligne de la loi du talion, regardant seulement au passé et au crime comme à un moment donné dans l'histoire.
Finalement, la justice réparatrice fait voir toutes les parties en présence, y compris la communauté au sens large, engagées à guérir du mal et à créer une communauté, qui inclut à la fois les victimes et les contrevenants à la loi.
Whiting: Comment ces principes de la justice réparatrice pourraient-ils inspirer notre réponse nationale et personnelle aux attaques?
Porter: Je parle avec beaucoup d'humilité ici. Je n'ai aucune réponse toute prête. .... Je crois que le concept de justice réparatrice est très utile pour nous permettre de savoir ce que nous devons faire. Nous savons que nous avons besoin de justice. Après avoir traité une multitude d'affaires pendant 25 ans en qualité d’avocat, je suis parvenu à la conclusion que la justice pénale n'était pas la justice que mes clients attendaient vraiment ou dont ils avaient vraiment besoin.
Nous devons nous concentrer d'abord sur les victimes et sur leurs besoins, - les familles de ceux qui sont morts, de ceux qui ont été blessés-, et ensuite sur nous tous, qui sommes tous des victimes. Chaque victime est différente, comme chaque être humain est unique, mais il y a quelques chose qui semble être assez universel. Avec les victimes et comme les victimes, nous devons pleurer et nous devons être en peine. C'est un temps pour nous lamenter. Nous devons être tendres les uns avec les autres. Nous devons reconnaître que nous et d'autres, nous aurions tendance à projeter notre inquiétude sur les autres.
Un des premiers besoins à satisfaire est le besoin de sécurité; nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, pour que les victimes ne soient pas des victimes une seconde fois et qu'il n'y ait pas ainsi de nouvelles victimes. Cela nous amène à nous interroger sur ce que nous donne vraiment la sécurité: relève-t-elle du pouvoir militaire ou de la vie dans le royaume de Dieu d'amour et de justice? Notre sécurité ultime est de nouer des relations positives, constructives.
Nous devons prendre en compte l'attitude des amis de Job; ce qu'ils ont fait avant de commencer à donner toutes leurs solutions: ils n'ont pas jugé des sentiments populaires et des émotions. ....
Notre gouvernement doit nous tenir tous informés, comme nous tous, nous avons besoin de réponses sur ce qui est arrivé. ... En fin de compte, nous devons être guéris. Qu'est-ce qui nous aidera à guérir? D’après notre compréhension de la Bible, la haine, la vengeance et la violence ne guérissent pas, mais seuls l'amour, la justice et la pitié y concourent. Dieu guérit. Dieu fait cela par compassion et en fin de compte par le pardon et la réconciliation.
En ce qui concerne la responsabilité, je crois que cet acte affreux est à traiter comme un crime contre l'humanité.... Ce sont des actes criminels. Nous ne devons pas donner plus de légitimité aux terroristes qu'à des criminels. Nous devons affirmer notre obligation par rapport à l'autorité de la loi et répondre en conséquence à ce crime. Cela doit être une action de police mise en oeuvre par les nations du monde entier coalisées. Ces criminels doivent être appréhendés, jugés et incarcérés.
Tout doit être fait pour créer une communauté où tous soient en sécurité et où la justice nous apporte la paix. Nous sommes appelés à travailler pour le ‘shalom’ ou des relations justes. Pourquoi ont-ils fait cela? Pourquoi y-a-t-il là tant de haine? La plupart des criminels sont des victimes qui ont perpétué un cycle de violence réactive. De quoi avons-nous besoin pour créer un monde sans de tels terroristes?
Le plus grand problème que nous ayons au monde est le cycle interminable de la violence, qui se reflète dans les attaques que nous venons de subir. Comment répondrons-nous sans devenir cela même que nous détestons? Comment pouvons-nous rompre ces cycles de violence dans le monde? Nous savons que Dieu nous a dit que nous y réussirons en travaillant pour le shalom (une image biblique désignant la paix et l'intégrité), ou en établissant des relations justes dans ce monde. C'est de cette façon que nous construirons la communauté, qui est le but suprême de la justice réparatrice.
Whiting: Dans le contexte de l'attaque terroriste du 11 septembre, quels sont les modèles bibliques nous devons reprendre pour comprendre comment les chrétiens doivent répondre?
Porter: Nous affirmons que nous devons suivre Jésus et essayer de discerner ce que l'amour de Dieu nous appelle à faire. La voie de Jésus, telle que je le la comprends, n'était pas celle du châtiment. Sa voie à lui, c'était la compassion pour les victimes mais aussi pour les pécheurs ou les gens qui rompent la communion et les relations avec les autres. Jésus ne diabolise personne, quelque soit son degré de méchanceté. Diaboliser autrui, c'est mauvais.
La justice réparatrice, je crois, c'est une façon de commencer à montrer pratiquement ce que Dieu nous appelle en fin de compte à faire et à être, c'est-à-dire des ministres de la réconciliation. C'est dur pour nous de partager actuellement ce sentiment, c'est même dur d'en parler. Mais, si nous prétendons suivre Jésus, nous devons réfléchir à la manière dont nous, chrétiens, nous pouvons commencer à pratiquer cela dans un monde qui adore la violence et qui la tient pour rédemptrice. Dans ce contexte, nous devons vivre cet appel de Jésus à la non-violence courageuse et agressive, au pardon et à l'amour de l'ennemi. De cette manière seulement, nous pouvons nous battre et combattre ce que nous détestons sans devenir ce que nous détestons, rompre le cycle de violence et guérir le monde de ses maux présents... . Ce n'est pas la grâce bon marché. .... Nous sommes appelés à être les co-créateurs du ‘shalom’ et cela va exiger de la créativité que nous avons à peine commencé à mettre en oeuvre.
Whiting: Quelle approche avoir, en tant que responsables de communautés religieuses par rapport à leurs communautés pour commencer à comprendre les racines du terrorisme liées, par exemple, au problème palestinien? A l'embargo, qui frappe la population civile d'Irak? Aux autres histoires d'oppression américaine?
Porter: je crois que les responsables des communautés religieuses peuvent d'abord nous aider à adopter une nouvelle attitude vis-à-vis du conflit présent. Comme pour tout autre conflit, il y a un danger, mais c'est aussi une occasion à saisir. Nous pouvons continuer à agir sur le mode destructeur des terroristes, ou nous pouvons nous engager de manière constructive.
... Les premières réactions à ce conflit sont tout naturellement remplies de chagrin, de colère et du désir de châtiment.
Ce conflit a déjà provoqué un élan remarquable de compassion pour les victimes. Ce conflit a réconcilié les personnes dans la communauté, dans nos églises. Ce conflit a donné à beaucoup d'entre nous un sens plus fort de dépendance vis-vis de Dieu.
Je crois que ce conflit peut aussi nous aider à voir notre connexion et notre interdépendance avec toute la création de Dieu, y compris avec les montagnards d'Afghanistan, par exemple. Si nous abordons ce conflit de manière constructive, nous devons écouter ceux avec qui nous sommes en conflit, écouter pour comprendre. Nous devons faire savoir au monde que nous comprenons, par exemple, les besoins des Palestiniens aussi bien que les besoins des Irakiens. S'il y a des injustices à l'origine de cette colère, même si elles ne sont pas de notre propre fait, la chose la plus constructive que nous puissions faire, consiste à faire preuve de compassion envers ceux qui souffrent de ces injustices. C'est dans notre plus grand intérêt. C'est aussi ce que Dieu nous appelle à faire.
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27 septembre 2001
Source: umns