Déclaration de l’écrivain JORGE LUIS BORGES: “j'aurais pu être... méthodiste”

Dans le numéro du mois d’août du Monde Diplomatique 2001, l’écrivain Jorge Luis Borges évoque entre autres choses son rapport à la spiritualité. Il se déclare agnostique après avoir été au bénéfice d’une éducation religieuse. Nous lui laissons la responsabilité de ses propos. Ce qui frappe, c’est d’un côté son admiration pour la Bible et sa sympathie pour le méthodisme et de l’autre sa peine à accueillir la révélation biblique. A vous d’apprécier ses dires!


J’ai reçu une éducation religieuse, comme tout le monde. Mais pas longtemps. Je me suis vite aperçu, en lisant les Grecs, qu'il y avait beaucoup de dieux. Pourquoi un seul ? Et pourquoi celui-là devrait être le bon ? Je n'aurais jamais pu lui pardonner d'être le responsable de ma vie. Et quelle religion est-ce là, le Vatican, avec ses banques, sa police et ses services secrets? Le Christ a dit: «Mon royaume n'est pas de ce monde.» Mon père disait que dans ce monde tout est possible, même la Trinité. Comment croire à ce monstre théologique? La théologie est plus étrange que la littérature fantastique : trois êtres, parmi eux une colombe, dans un seul dieu... Nous sommes au-delà des cauchemars de Wells ou de Kafka. En revanche, j'admire la Bible. Cette idée de réunir dans un seul livre quatre textes d'auteurs différents et les attribuer au Saint-Esprit ! En somme, j'aurais pu être... méthodiste, par exemple, comme quelques-uns de mes ancêtres, mais pas catholique. Les catholiques de mon pays appartiennent à un genre qui m'est désagréable. Ils pensent que l'Argentine est un pays essentiel, alors que nous savons tous qu'il s'agit d'un pays tardif, dont on ne peut pas comprendre l'histoire sans se référer à l'Espagne. 


Vous intéressez-vous toujours aux disputes théologiques ? Depuis les Pères de l'Eglise, il n'y a pas grand-chose de nouveau.


Maintenant, la théologie est très délaissée, mais elle est inépuisable, comme les romans noirs! Et quel sacrilège: on est à la recherche de Dieu comme s'il s'agissait d'un vulgaire assassin. On nous dit que Dieu est un personnage tout-puissant et débordant de bonté, mais il suffit d'un simple bruit de moustique pour en douter.


Source: EEMNI - Le Monde Diplomatique