Les violences ont visé des dizaines d'églises et des symboles de la présence française au Niger. L'Action Missionnaire (AM) et l'Action Évangélique de Pentecôte (AEP) mettent en place un soutien d'urgence, Portes Ouvertes lance une semaine de prières ; les trois évêques du pays font part à « l’ensemble de la communauté musulmane » de leur « amitié » et de leur «fraternité». Le DEFAP informe davantage sur la situation présente au Niger.
Pourquoi les chrétiens du Niger portent-ils aujourd’hui « la croix de Charlie » ? Quelques jours après l’explosion de violence de la mi-janvier 2015, un collectif de journalistes indépendants s’est rendu à la paroisse Saint-Gabriel de Niamey, incendiée par les manifestants, et à l’Alliance des missions et Églises évangéliques du Niger. Leur reportage, qui s’efforce de décrire l’enchaînement ayant conduit, depuis les manifestations dénonçant l’attaque contre Charlie Hebdo en France, jusqu’à des attaques d’églises au Niger, est diffusé sur Droit Libre TV, webtv qui se consacre aux droits humains et qui opère depuis le Burkina-Faso.
Parallèlement, les communautés chrétiennes en lien avec le Niger, tout en essayant elles aussi de comprendre, s’efforcent d’organiser le soutien. Les appels viennent autant de milieux protestants que de milieux catholiques. L’Action Missionnaire (AM) et l’Action Évangélique de Pentecôte (AEP) ont mis en place un fonds d’urgence et appellent aux dons sur leur site internet. « Ces sommes récoltées seront directement, et par nos soins, transmises aux personnes référentes au pays, pour une ventilation des aides d’urgence. Très prochainement, notre équipe aura l’occasion d’être sur place, pour être aux côtés de nos frères et sœurs de cœur et d’esprit », annonce un communiqué diffusé par l’Action Missionnaire. Portes Ouvertes indique pour sa part avoir déjà envoyé une équipe « sur place pour soutenir les chrétiens nigériens gravement touchés par les émeutes antichrétiennes. Sa mission : soutenir les chrétiens qui ont tout perdu dans les attaques et recenser les besoins pour mettre en place une aide d’urgence ». Le Conseil Œcuménique des Églises, qui revendique près de 350 Églises membres issues de presque toutes les traditions chrétiennes, notamment protestantes, anglicanes et orthodoxes, a diffusé un communiqué de condamnation en notant que ces violences sont survenues en réaction à la campagne internationale « Je suis Charlie ». Côté catholique, les trois évêques du pays s’efforcent de faire baisser la tension : ils ont fait part à « l’ensemble de la communauté musulmane » nationale de leur « amitié » et de leur « fraternité ».
« Que va-t-il se passer après ? »
Photo d’ouverture : église de Tanout, ville au nord de Zinder, après le passage des émeutiers © Action Missionnaire
Tout s’est déroulé sur quatre jours, du jeudi 15 au dimanche 18 janvier ; et depuis lors, les communautés chrétiennes restent traumatisées par ces attaques. Les témoignages évoquent une brusque montée de tension au cours de la journée de jeudi à Zinder, ville du Sud du pays, située non loin du Nigeria (voir carte), ainsi qu’à Agadez (carte). C’est là qu’ont été signalés les premiers actes de violence, qui ont visé non seulement des églises (une dizaines ont été pillées et brûlées), mais aussi des symboles français (le Centre Culturel franco-nigérien de Zinder a été saccagé). Dès le lendemain, les troubles se sont étendus à Niamey, la capitale. Des rassemblements se sont formés après la prière du vendredi, une manifestation est partie de la grande mosquée ; puis des groupes se sont dispersés en ville en s’attaquant, là encore, aux lieux de culte chrétiens, mais aussi aux commerces tenus par des Français. Plus d’une quarantaine d’églises ont été saccagées en quelques heures, ainsi que les bâtiments appartenant à des communautés de religieuses catholiques, qui ont dû fuir. Au soir du dimanche 18 janvier, le bilan était incertain ; mais le nombre d’églises brûlées, toutes tendances chrétiennes confondues, serait compris entre 60 et 70. Les émeutes ont également fait une dizaine de morts - neuf émeutiers et un policier. Les autorités nigériennes, lentes à réagir durant les premières heures des violences (les policiers envoyés, tardivement, pour défendre les lieux de culte ont été débordés), ont annoncé par la suite plus de 400 arrestations.
Pour les chrétiens du Niger, pays dont la population est très majoritairement musulmane, le choc est d’autant plus grand qu’ils vivaient jusqu’alors en bonne entente avec leurs voisins musulmans. Beaucoup témoignent d’ailleurs avoir été aidés, voire cachés au plus fort des violences, par ces mêmes voisins. « Ma sœur, qui est musulmane, a caché une vingtaine de chrétiens chez elle pendant deux jours avant de les remettre à l’abri à la gendarmerie », raconte dans un reportage de l’AFP Fleur, chrétienne, dont le restaurant a été détruit. « Nos parents, nos grands-parents, sont ici depuis les années 1930 », raconte pour sa part un habitant de Zinder. Sitôt après les émeutes, des responsables religieux musulmans ont lancé à la télévision publique des appels au calme. Mais les chrétiens vivent dans la crainte de nouvelles violences. Interviewé par Radio Vatican, Michel Cartatéguy, l’archevêque de Niamey, a lancé une demande implicite de protection en évoquant des scènes inquiétantes : « Maintenant », dit-il, « il y a des gens qui demandent: "tu es Allah Akbar ou tu es Hallelujah?". Cela veut dire qu’on est en train de repérer les chrétiens qui sont dans la ville. Que va-t-il se passer après?
Franck Lefebvre-Billiez
02/02/2015