Devant l’effroyable gâchis humain auquel nous avons tous assisté en suivant les événements de la Côte d’Ivoire et tout particulièrement d’Abidjan du 9 au 11 avril 2011, qui nous rappelle étrangement l’autre tragédie encore en cours en Lybie, l’Eglise ne saurait se taire. C’est en témoin du Royaume de Dieu et de ses valeurs, qu’elle est engagée dans l’histoire. Elle a mission prophétique d’annoncer mais aussi de dénoncer l’arrogance des lois des plus forts. C’est pour cela que nous nous sentons en devoir de parler.
Il nous a été donné à tous, de lire dans les événements survenus, le vrai visage des acteurs de cette triste histoire et quelque chose de leurs mobiles. Le 50è anniversaire des indépendances africaines à peine célébré, nous venons de voir, projetée à la face de la Communauté Internationale, la triste réalité dont tous se gardent de parler à cause des intérêts cachés : la liberté des peuples africains qui ne saurait se passer de l’édification de Nations souveraines est tenue en bride par les anciennes métropoles qui les brisent à leur gré, en se couvrant d’un semblant de manteau juridique, avec hélas l’appui d’une portion de l’Afrique encore inconsciente des grands enjeux. Personne n’en est dupe et ce n’est pas l’Eglise qui le serait.
Nous condamnons fermement et sans réserve toutes les dictatures et tous les impérialismes, quelles que soient leurs couleurs. Nous sommes pour le respect absolu des lois démocratiques et de la volonté du peuple, qui s’exprime à travers des urnes électorales. Nous désapprouvons absolument les Chefs d’Etat africains qui s’installent Présidents à vie et organisent les élections souvent frauduleuses pour se maintenir au pouvoir. Mais au cœur de la fracture sociale grave que vivent la CI et la Lybie en ces instants, l’Eglise voudrait dire à toutes les parties sans distinction, qu’en tant que portions de l’Afrique en évolution historique et en édification laborieuse des Etats souverains qui la composent, elles n’ont pas le droit de sacrifier cette raison de vivre comme Nation pour n’aspirer qu’à survivre : elles ne pourraient qu’en mourir
Pour nous en tenir à la CI, la question qui se pose n’est pas de savoir qui a mis la main sur le président Gbagbo et son épouse, mais de savoir si l’Organisation des Nations Unies avait ou n’avait pas le droit d’autoriser l’ancien pays colonisateur qu’est la France à bombarder des attributs de souveraineté que sont un palais présidentiel et une résidence de Chef d’Etat : ces lieux représentent en soi un sanctuaire pour le peuple souverain. L’opération une fois terminée, il importe peu de savoir qui a été chercher la personne dont la capture était visée. Quelle qu’elle soit, elle n’est qu’une figurante du véritable acteur qui a conduit jusqu’au bout les opérations de totale neutralisation. L’Eglise de l’espace Ouest-africain qui a mission, comme toute l’Eglise catholique, de former les fidèles disciples du Christ à aimer les Nations des autres comme leur propre Nation, dénonce cette atteinte grave au Droit de la Nation ivoirienne.
La Cour Pénale Internationale qu’on dit vouloir saisir du cas des génocides dont l’ancien Président serait coupable, devrait aussi simultanément être saisie du cas du Président qui accède au pouvoir par une force non seulement meurtrière mais aussi génocidaire, comme le camp adverse le prétend. L’enquête doit être rigoureuse et impartiale. Nous invitons tous les témoins des villages et des villes, les communautés chrétiennes et les paroisses à s’engager activement pour ne pas laisser ce travail de vérité et de témoignage devant Dieu à la responsabilité des seuls experts des Nations Unies
Au-delà de cette justice à faire, il resterait à interpeller la Nation qui a estimé devoir porter aussi manifestement atteinte à la souveraineté d’une Nation faible dont la seule défense est la voix de Dieu, qui résonne depuis la conscience, « sanctuaire intérieur » de tout être humain. C’est elle qui nous commande de respecter la dignité de la personne humaine, dignité qu’elle tient du fait qu’elle a été créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Les Droits de la personne sont intrinsèquement liés au Droit d’avoir une Nation souveraine.
L’Eglise ne saurait s’aligner tout simplement sur ce qu’il est convenu d’appeler Communauté Internationale. Selon elle en effet, le droit d’intervention humanitaire de la Communauté Internationale devrait faire l’objet d’un discernement, cas par cas. Il reste évident pour nous tous que des égoïsmes collectifs peuvent prendre la forme de protection humanitaire de populations, pour détruire des symboles de la dignité et de la souveraineté de ces mêmes populations. Que pourrait signifier d’autre l’étrange succession de ces bombardements et de ces captures de personnes humaines par les scènes actuelles de pillage des populations d’Abidjan, sous le regard indifférent des forces d’intervention dites impartiales prévues pour la protection de ces mêmes populations ? Nous continuons de nous interroger : ces populations ont-elles le droit de sacrifier leur raison de vivre pour survivre ? Le scandale le plus grave, c’est que ce sont encore les Africains qui auront à payer et la destruction et les armes de la destruction aux destructeurs.
Au nom de notre mission prophétique en tout cas, nous rappelons à l’adresse de la Communauté Internationale, – de l’Organisation des Nations Unies autrement dit-, et de l’Union Africaine, l’urgence que se forme une gouvernance mondiale de haute intensité éthique. On ne saurait en effet laisser les Nations aux mains d’une gouvernance du minimum éthique pour décider d’interventions en situation aussi dramatiques et complexes que l’étaient celles de la CI et de la Lybie. Ce serait trop tard et nous sommes en train de le déplorer : ce qui est arrivé est un mépris inadmissible de la personnalité africaine et une injure à Dieu, dont cette personnalité elle aussi, est l’image et la ressemblance.
Et maintenant, au nom de Dieu qui « nous a donné pour ministère de travailler à la réconciliation » (2Co 5, 16-21), nous lançons un appel pressant à tous les responsables religieux pour qu’ils commencent à mettre en œuvre sans délai toutes les ressources éthiques de leur capital religieux pour la tâche de longue haleine que sera celle de la réconciliation, de la justice et de la paix véritable, dont le siège reste le cœur de chaque homme et de chaque femme. Nous souhaitons qu’ils soient les premiers acteurs de la Commission Vérité et Réconciliation qui ne devrait pas tarder à être créée. Nous affirmons avec le Pape Benoît XVI que « la violence et la haine sont toujours un échec, et constitue « un chemin sans avenir ».
La Conférence Episcopale de la Côte d’Ivoire, qui n’a jamais cessé de lancer des appels à la paix et au dialogue, fait naturellement partie de la RECAO-CERAO. C’est pour elle comme pour nous le moment, plus que jamais, de renforcer en notre propre sein cette conscience éthique à même de nous donner de devenir de plus en plus des réconciliateurs et des pacificateurs crédibles et entraînants.
L’Eglise reste consciente que Dieu est le Maître de l’histoire. Il nous a dit en son Fils Jésus-Christ : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn15, 5). C’est pourquoi nous le prions pour le peuple ivoirien comme pour le peuple libyen, et avec eux, pour qu’Il nous sauve, nous et ceux dont il nous a confié la charge
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