France, Paris: Conférence théologique pour repenser la mission en Europe après les Lumières

Pendant quatre jours, 125 théologiens spécialistes de la mission ont travaillé sur le thème : « L'Europe après les Lumières : oser la mission dans l'Europe qui se construit ». Penser la mission dans une Europe marquée par les Lumières. C’est avec ce cahier des charges que 125 théologiens européens – catholiques, protestants et orthodoxes – ont travaillé à Paris durant quatre jours de conférences et de débats qui se sont achevés lundi 28 août. Ci-dessous l’article du quotidien la Croix


Pour l’Association francophone œcuménique de missiologie (Afom), organisatrice de la conférence, un seul souci : honorer le riche héritage des Lumières et comprendre comment il implique de repenser la mission aujourd’hui en Europe. 


« Beaucoup de catholiques mettent les difficultés actuelles de l’Église et de la mission sur le compte des Lumières, regrette le P. Jean-Marie Aubert, responsable de la Coopération missionnaire pour l’épiscopat français et coprésident catholique de l’Afom. Cette hostilité me semble injustifiée, car beaucoup de valeurs des Lumières sont consonantes avec l’Évangile. »


Dès la conférence d’ouverture, le P. François Bousquet, de l’Institut catholique de Paris, a souligné les principaux apports des Lumières : l’autonomie de la raison et l’appel à «oser penser par soi-même», le souci de l’universel et la formulation des droits de l’homme, l’appel à la liberté, et un art de vivre marqué par «l’attention à l’autre» et le désir de communiquer avec lui.


Les Lumières "ne sont pas antichrétiennes"


À la lumière de cet héritage, le théologien a tenu à rappeler que, d’un point de vue religieux, les Lumières « ne sont pas antichrétiennes » mais qu’elles se caractérisent par « un refus du pouvoir politique de l’Église. »


L’un des apports du colloque a certainement été la confrontation des analyses du paysage religieux européen. Pour Grace Davie, sociologue des religions à l’université d’Exeter (Grande-Bretagne), la situation d’aujourd’hui se caractérise par un « croire sans appartenir » (« believing without belonging ») – l’individu peut être croyant sans être membre d’une communauté ecclésiale – et par le maintien d’une « religion par procuration »


Elle a défini cette dernière comme une « religion mise en œuvre par une minorité active, mais au nom d’un beaucoup plus grand nombre de personnes qui, au moins implicitement, non seulement comprennent mais, assez clairement, approuvent ce que fait la minorité ».


"Le pire serait un retour à l'irrationnel"


Durant ces quatre jours, les intervenants ont ainsi cherché à redéfinir le rôle de la mission face à une situation religieuse inédite en Europe, qui fait de ce continent un cas particulier à l’échelle mondiale. Par-delà des divergences d’appréciation sur les Lumières, les théologiens ont tous plaidé pour une mission qui ne se place pas dans un rapport d’opposition à la culture qui en est résultée. « Le pire serait un retour à l’irrationnel, sous toutes ses formes, y compris de religiosité », a souligné François Bousquet.


Dans la même ligne, Knut Wenzel, de l’université de Ratisbonne, a vigoureusement plaidé pour une mission qui soutienne le « sujet ». Il entendait répondre à la critique du sujet qui caractérise la postmodernité. Le théologien allemand a plaidé pour la notion de « subjectivité radicale », invitant la théologie et la pratique missionnaire à soutenir le « sujet capable » (Paul Ricœur), qui est aussi un « sujet sous pression », éprouvé par l’immensité des responsabilités qui pèsent sur lui : réussir à s’orienter soi-même, réussir à s’inventer soi-même, réussir à se rendre flexible dans tous les domaines… 


Il a invité l’Église à être « un espace accessible, un espace riche de sens et orienté vers un développement sans restriction de la subjectivité ».


Education, écoute, dialogue


La réalité plurireligieuse nouvelle de l’Europe a également été au cœur des débats des théologiens. Grace Davie a souligné combien la distinction entre espace privé et espace public (héritée des Lumières et de leur souci d’éviter la confrontation violente des convictions individuelles) était remise en cause par l’arrivée sur le sol européen de croyants, musulmans ou chrétiens, n’ayant pas la même conception de l’espace public. Devant cette nouveauté, les débats ont souligné l’importance d’aller à la rencontre des autres croyants. 


Peter Lodberg, professeur de théologie à l’université d’Aarhus (Danemark), a ainsi invité les ministres des Églises à être « en contact journalier avec des personnes de traditions religieuses différentes » : « Le pasteur est responsable de maintenir et de développer l’identité chrétienne comme source de coopération et de résolution non-violente des conflits », a-t-il souligné.


Éducation, écoute et dialogue : il n’est pas apparu, aux théologiens réunis à Paris, d’autres réponses possibles à la situation religieuse de l’Europe et à la coexistence en son sein de la prémodernité, de la modernité et de la postmodernité. Un cocktail inédit, qui ne doit pas devenir explosif.


Elodie MAUROT


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Qu’est-ce que la missiologie ?


Le mot sonne étrangement pour des oreilles françaises : d’origine anglo-saxonne et protestante, la missiologie désigne la réflexion sur le fait missionnaire. Les premiers « missiologues » ne furent pas des théologiens de métier, mais des missionnaires qui, dès le XVIIIe siècle, durent confronter leur théologie aux réalités culturelles inédites rencontrées dans les régions qu’ils évangélisaient. Les théologiens « missiologues » d’aujourd’hui sont, pour la plupart, d’anciens coopérants.


« Le rôle de la missiologie est de poser de vraies questions à la théologie, à partir du contexte culturel et social dans lequel nous vivons », explique Jean-François Zorn, professeur de théologie à la faculté protestante de Montpellier et coprésident de l'Association francophone oecuménique de missiologie (Afom). 


Pour les deux responsables de l’Afom, Jean-François Zorn et le P. Jean-Marie Aubert, la missiologie doit être « le nerf de la théologie », « une théologie en mouvement », mais aussi une théologie « qui construit des ponts » entre l’Église et la société, les diverses confessions chrétiennes et les différents continents.


Les missiologues français se sont organisés selon le modèle des sociétés savantes anglo-saxonnes. Ils ont créé l’Afom, association loi 1901, en 1992. Celle-ci vit des cotisations de ses membres et de subventions, notamment venues des Œuvres pontificales missionnaires (OPM) et du Service protestant de mission (Defap). L’Afom est rattaché à l’Association internationale pour les études sur la mission (Iams).


eemni: Nous vous recommandons la revue de missiologie protestante francophone semestrielle Perspectives Missionnaires éditée conjointement par la Commission luthérienne des relations avec les églises outre-mer (COLUREOM (Paris), le Comité Français du Mouvement de Lausanne, le Département Missionnaire des Eglises Protestantes de Suisse Romande (Lausanne), le DEFAP - Service Protestant de Mission (Paris) et le Service Missionaire Evangélique (Genève). 


28-08-2006

Source: La Croix