L'équipe "des Lettres Vivantes" du COE à l'écoute des américains affligés encourage les Eglises américaines à se mettre aussi à l'écoute des autres

L'équipe oecuménique "des Lettres Vivantes" formée par le Conseil Oecuménique des Églises (COE) pour apporter un message pastoral aux Eglises des Etats-Unis après les attaques terroristes du 11 septembre, a formulé son message en ces termes: "nous sommes venus pour vous aimer." 


A la fin de sa visite américaine à Oakland, Californie, l'équipe a rédigé une lettre où elle rend compte du dialogue qu'elle a mené avec des responsables d'Eglises américaines depuis le 8 novembre à New York, Chicago et Washington: 


La délégation a adressé un message final aux Eglises et aux chrétiens des Etats-Unis pour témoigner de leur écoute et de leur solidarité. Des questions ont aussi jailli: comment être aux avant-postes de la lutte contre l'injustice, comment encourager les voix prophétiques quand on est minoritaire ... 


Oakland, le 14 novembre 2001

Aux Eglises et aux Chrétiens des Etats-Unis

Chers soeurs et frères en Christ,


Nous sommes venus dans votre pays comme des "lettres vivantes". Bouleversés par les événements tragiques du 11 septembre, nous sommes arrivés chez vous en tant que représentants d'Eglises membres du Conseil Oecuménique des Eglises (COE), engagés dans la "Décennie pour surmonter la violence: les Eglises recherchent la Paix et la Réconciliation". Nous avons voulu être avec vous, en signe de compassion et de solidarité dans votre souffrance. Nous sommes venus de nos divers milieux de vie, blessés eux aussi, pour partager vos blessures. Nous ne sommes pas venus avec des réponses. Nous sommes venus pour vous aimer. 


Devant les ruines du World Trade Center, nous avons ressenti l'horreur de la mort qui imprégnait ces lieux. Nous avons été profondément impressionnés par le terrible silence qui y régnait, par l'absence de couleurs et le sentiment de perte. Face à ce vide, nous nous sommes tenus les mains et avons offert notre prière: nous revendiquions la vie au sein de la mort.


Il est toujours difficile de pénétrer dans un foyer en deuil. Mais, malgré votre peine, vous nous avez reçus avec une grande hospitalité, et nous vous en sommes reconnaissants. En Afrique du Sud, on a l'habitude de dire lorsque survient un deuil Ce qui vous est arrivé à vous est aussi arrivé aux autres". Nous sommes témoins que Dieu permet à la vie de continuer. De nombreuses Eglises américaines nous ont rendu visite quand nous avons connu des temps difficiles, et elles nous ont aidés à nous en sortir lorsque le malheur nous submergeait. A notre tour nous vous disons aujourd'hui: Prenez courage! Nous sommes venus vers vous en tant que lettres vivantes , signes d'espoir dans la souffrance et la douleur de la Croix.


Au cours de notre séjour à New York, à Chicago, à Washington D.C. et à Oakland (Californie), nous avons eu le privilège d'écouter des voix et des commentaires divers. 


Nous avons écouté un pasteur, témoin des événements en première ligne, exprimer sa douleur et sa colère. "Nous ne sommes pas prêts à recevoir des conseils. Nous sentons encore la fumée. Et tous ces services funéraires qui se déroulent quotidiennement, comment pourrions-nous être objectifs? Un jour, plus tard, nous verrons les choses autrement, mais si on nous y force, notre colère ne fera que s'accumuler". Oui, il faut laisser un espace à la douleur. Et nous sommes prêts à vivre avec vous ce temps d'attente, dans votre deuil et votre guérison.


Nous avons entendu des paroles empreintes d'une profonde tristesse et nous avons été émus par les diverses manières dont elle s'exprimait. Cette immense tristesse submerge aussi les officiants qui, eux, sont maintenant épuisés. "Et qui va guérir ceux qui guérissent les autres?" a demandé quelqu'un.

Nous avons entendu des personnes parler de "rejoindre le monde". "Ce n'est pas seulement ma paroisse que j'ai vu pleurer, j'ai vu pleurer un monde". Un pasteur, parlant du mélange de douleur et de souffrance qu'éprouvaient les enfants blessés et orphelins de New York auprès desquels il se rendait, disait: "J'aurais aimé prendre aussi dans mes bras les enfants iraquiens blessés et orphelins". Peut-être que cette expérience de la souffrance nous aidera à prendre dans nos bras "tous ces autres qui souffrent".


Nous avons entendu des hommes et des femmes nous dire leur sentiment de peur et d'insécurité, depuis ces immigrants venus aux Etats-Unis pour y trouver sécurité et liberté, jusqu'aux pacifistes qui se sentent troublés, accusés de pas être patriotes.

Nous n'avons pas entendu de paroles d'amertume ou de revanche. Nous avons été poussés à plus d'humilité et réconfortés d'entendre des dirigeants d'Eglises s'affronter à des questions qui dépassent leurs propres préoccupations et s'élargissent au contexte mondial. Ce débat-là commence tout juste à s'ouvrir.

Nous avons entendu des hommes et des femmes demander: "Qu'avons-nous fait, qu'a-t-il été fait en notre nom, pour que l'on éprouve tant de haine contre nous?"


Nous avons entendu des hommes et des femmes dire leur ignorance et leur peur de l'Islam, mais nous en avons aussi entendu donner des témoignages de solidarité envers des voisins musulmans. Nous avons entendu des hommes et des femmes faire le lien entre leur souffrance et la souffrance des peuples d'Afghanistan et de Palestine.


Nous avons entendu expliquer combien il est difficile pour des communautés chrétiennes de s'engager sur les questions éthiques que pose la réponse américaine aux attentats du 11 Septembre. Nous avons entendu un pasteur en larmes demander: en quoi le bombardement de l'Afghanistan peut-il être la voie du Christ?


Ces paroles n'appelaient pas de réponses de notre part. Nous avons pleuré et prié avec vous; et maintenant, avec vous, nous posons les questions qui ont accompagné nos conversations.


1 - Sur quelle base repose notre communion? Que va pouvoir être notre commune recherche dans les jours à venir? Nous avons en commun notre rejet du terrorisme. Nous pouvons affirmer qu'une réponse militaire n'apportera jamais la sécurité et la paix. Quelle sorte de relations devons-nous construire le plus rapidement possible avec nos voisins, par delà les frontières géographiques et religieuses?


2 - Comment les Eglises peuvent-elles être aux avant-postes de la lutte contre l'injustice? Les Eglises se doivent de réfléchir ensemble et de mettre ensemble un nom sur les injustices majeures de notre monde. Lors de notre rencontre, nous avons parlé des déséquilibres économiques destructeurs, de l'oppression qui sévit dans des lieux comme la Palestine, des discriminations de sexes et de races, du soutien des régimes totalitaires.


3 - Comment transmettre les impératifs de l'Evangile là où un conflit règne en maître sur les coeurs et les esprits? Quelle sorte de communication, quelles images peuvent nous rassembler en une communauté au lieu de creuser toujours davantage le fossé entre les gens comme le font les images des principaux médias? En tant que chrétiens, porteurs de diverses histoires, nous sommes invités à former une communauté qui ose dire la vérité aux autorités détentrices du pouvoir. Nous disons à nos Eglises: soyez à l'écoute de tous les autres chrétiens de par le monde. En permettant aux Eglises de dire leur propre histoire, nous leur donnons la parole.

4 - Allons-nous attendre l'unanimité pour oser parler? Comment encourager les voix prophétiques parmi nous?


L'amour nous rassemble. Vous êtes nos soeurs et nos frères. Ensemble, nous sommes le corps du Christ. Tenons-nous par la main et efforçons-nous de surmonter toutes les formes de violence, qu'elles soient directes ou structurelles, afin de construire une culture de paix. 



L’évêque Mvumelwano Dandala de l’Eglise Méthodiste d’Afrique du Sud, président du Conseil des Eglises d’Afrique du Sud, est le responsable de l’équipe des ”Lettres Vivantes”. Parmi les autres membres: le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération Protestante de France (FPF). …

Source:  COE