Franco Frattini vice-président de la Commission européenne, responsable pour les affaires de justice, liberté et sécurité, plaide dans les colonnes du quotidien Libération de ce jour (30 octobre 2006) pour un nouveau regard sur le christianisme, pensée toujours vivante et sur le religieux comme le ciment même de l’Europe. En voici des extraits. EEMNI
Nous n'avons été capables que de repousser avec peine, pour les éliminer ensuite, nos racines chrétiennes. Certes, il s'agissait de sanctionner le refus du sécularisme de l'Eglise catholique, surtout dans son rapport avec les monarchies et l'absolutisme ; mais le monde d'après le 11 septembre 2001 n'est pas celui que la raison du siècle des Lumières avait imaginé. C'est-à-dire un monde libéré de ce préjugé religieux qui semblait appartenir à un stade dépassé de l'évolution de l'humanité.
De deux choses l'une : ou bien le sentiment religieux est l'antichambre de l'obscurantisme, et alors il faut que soit rude la bataille de l'Europe contre la violence au nom d'une religion. Ou alors il nous faut regarder les religions comme des espaces privilégiés d'expériences individuelles et collectives significatives, dont il est difficile de se passer.
Jusqu'ici, l'Europe a choisi, non le silence, mais de mettre sous le boisseau la religiosité, sauf à en prendre timidement la défense quand il s'agit d'affronter l'antisémitisme ou, plus récemment, l'islamophobie. De fait, nos institutions gardent un coeur aride, tandis que Benoît XVI nous aiguillonne en rouvrant le débat sur le rapport entre religion et raison ( «Ce n'est pas religion et violence, mais religion et raison qui vont ensemble», affirme-t-il) ou lorsqu'il nous met sous les yeux le thème de la liberté religieuse et du statut politique de la religion dans la société.
Poser le thème des racines chrétiennes revient aujourd'hui à lancer un triple défi : celui de notre identité européenne, celui d'un univers religieux qui s'affirme, celui d'un christianisme qui n'est pas seulement mémoire du passé mais en posant le thème de la liberté comme voie du dialogue une partie de notre avenir.
Nous ne pouvons pas ignorer que nous pouvons, et que nous devons, construire l'Europe à partir de notre identité. De quoi est faite cette identité ? Nous ne pouvons pas ignorer la dette que les principes et les valeurs de la modernité ont à l'égard de la tradition judéo-chrétienne. Nous ne pouvons pas oublier le fait que les principes d'égalité, de séparation entre le politique et le religieux, de la tolérance religieuse et des libertés sont nés dans les esprits, dans les divisions et dans les conflits qui jalonnent le parcours chrétien de l'Europe qui est la nôtre. Il est important, pour notre avenir, que nous parvenions à reconstituer cette mémoire, car le processus d'unification européenne nous met face à de nouveaux dilemmes identitaires, face à nous-mêmes. Il faut que nous nous réappropriions ce noyau partagé, autour duquel et à partir duquel il sera possible de construire, dans l'ouverture, cette nouvelle communauté supranationale qui s'appelle l'Europe.
Or nous vivons un renouveau de l'identité et de l'expérience religieuse. Il y a en Europe des millions de croyants sincères, pratiquants, et souvent critiques à l'égard du mode de vie sécularisé. Ils représentent un facteur constitutif du pluralisme de nos sociétés. Ils font partie de nous, ils veulent vivre avec nous. Ce qui est nouveau de la part du pape Benoît XVI, c'est la reconnaissance de positions rationnelles non religieuses. L'Eglise soutient désormais une forme de civilisation intégrant la valeur de la liberté et, partant, la différence entre le sacré et le rationnel.
C'est la raison pour laquelle c'est le troisième défi le christianisme n'est pas seulement la nostalgie d'un passé, mais une pensée vivante, qui veut être utile à la paix en garantissant la liberté et, en premier lieu, la liberté religieuse.
Cette affirmation, d'une part, réduit la fracture avec le monde laïc, et, d'autre part, aide l'Europe de demain, car elle contribue à une identité européenne qui demande aux religions de définir leur rapport avec la liberté et la raison.
lundi 30 octobre 2006
Source: libération