Trois nouveaux livres dûs à des spécialistes du méthodisme américain expliquent pourquoi les Méthodistes ont fleuri au 19ème siècle avant de faiblir au cours du 20ème. Jennifer Woodruff Tait vient d’écrire à ce propos dans les colonnes du magazine Christianity Today un article au titre fort suggestif: les disciples de Wesley ont-ils mal tourné?
Par Jennifer Woodruff Tait
"Une aussi bonne église, on ne peut trouver,
Leur doctrine et musique sont si pures,
Il y a une raison à cela,
Le Diable déteste les Méthodistes.
Si Satan pouvait tous les détruire,
Les troupes de l'enfer crieraient de joie;
Je prierai Dieu d'en augmenter le nombre
Et de remplir le monde de Méthodistes."
Au cours de la majeure partie du 19ème siècle, en particulier aux Etats-Unis, la prière exprimée dans ce premier hymne méthodiste était, semble-t-il, sur le point de devenir réalité. Nombreux, prolifiques en matière de publication et portés à la mission, les Méthodistes n'ont peut-être pas gagné les mentalités des classes dirigeantes de la nation mais ont influencé pleinement la culture populaire évangélique du pays. Mais même leur succès contenait en germe sa destruction.
Methodism: Empire of the Spirit de David Hempton (Méthodisme : l'Empire de l'Esprit) (Oxford, 2005) décrit comment un mouvement contestataire sur le plan culturel est devenu une église totalement conformiste culturellement parlant. Originaire de la Grande-Bretagne et enseignant maintenant à l'Université de Boston, Hempton aborde l'histoire des origines du méthodisme au 18ème siècle et la prédominance de la dénomination au cours du 19e siècle de deux façons distinctes. Il a en vue l'histoire du méthodisme britannique, quand il relate l'histoire américaine, et il n'organise pas son livre selon l'ordre chronologique, mais selon un regroupement thématique.
Chaque chapitre se concentre sur un jeu différent des forces complémentaires ayant caractérisé l'éthos méthodiste et conduit à son expansion : compétition et symbiose (ou avantage mutuel), éclaircissement et enthousiasme, opposition et conflit, argent et pouvoir, moyen et message, frontières et marges, stratégie et mission. Le résultat, c'est un voyage énergique à perdre haleine à travers un mouvement constamment en tension entre l'"ecclésiologie autoritaire" de ses éminentes autorités et l'expérience vécue "bruyante, populiste et éclectique" de ses membres. Dans ce contexte, il a rassemblé plus de 9 millions de membres dans le monde entier jusqu'au début du 20ème siècle.
Au 20ème siècle, le méthodisme n'a pas échappé au déclin affectant le Protestantisme historique dans son ensemble. Hempton rejette les explications simplistes avancées à ce déclin, - les jérémiades des initiés pleurant un âge d'or spirituel perdu, ou l'affirmation selon laquelle "la religion est inévitablement en déclin" suivant la théorie de la sécularisation. le déclin était réel et il note comment les Méthodistes ont cherché à collaborer avec la culture ambiante de ce 19ème siècle et à réduire ainsi le fossé qui s’était creusé entre d’un côté "les idéaux de sainteté scripturaire définis en interne par le mouvement et atteints à l'extérieur au sein de la société plus largement" ... "à des dimensions tout à fait respectables". Jamais plus puissant que quand il est en tension avec son environnement, le méthodisme peine à survivre une fois qu'il est en phase avec une culture sécularisée. La conquête du monde a été concédée à ses héritiers, aux mouvements prônant la sanctification et aux mouvements pentecôtistes.
Ce contraste entre le méthodisme "du début" et le méthodisme "tardif" apparaît fortement dans deux autres livres récents, Early Methodist Life and Spirituality: A Reader de Lester Ruth (Kingswood, 2005) et Marks of Methodism: Theology in Ecclesial Practice de Russell Richey (Abingdon, 2005). (Les deux auteurs Ruth et Richey sont tous deux professeurs en activité dans des séminaires théologiques de tradition méthodiste, Ruth au Séminaire Théologique d'Asbury et Richey à la Faculté de Théologie Candler à l'Université d'Emory, dont il est aussi le doyen) Ruth édite et présente des extraits de poésie (incluant l’hymne cité plus haut), des articles de journaux, des cantiques, des sermons, des lettres et des récits de la première génération de Méthodistes américains (des années 1770 aux années 1810). Dans sa préface, il présente les Méthodistes sous l'image vive d'une foi qui s’affirme et caractérisée par "l'émotivité, l'extase, la rigueur, l'exubérance et l'évangélisation." Les méthodistes de Ruth sont énergiques, disciplinés, consumés par leur message et entièrement convaincus de "prier, chanter, prêcher le meilleur".
En contraste, le livre de Richey - le volume est le dernier d'une série de cinq ouvrages portant sur la dénomination -, "United Methodism and American Culture" (L'Eglise Evangélique Méthodiste et la Culture américaine) - jette un regard à l'intérieur de l'institution et procède à une forme d’auto-analyse institutionnelle pour un résultat relativement mitigé (de temps en temps, la terminologie utilisée n'est compréhensible qu'aux initiés). Richey identifie la plupart des traits distinctifs de l'ecclésiologie méthodiste comme le connectionalisme, le Règlement Intérieur, l'esprit catholique et le système des affectations (cf la pratique méthodiste selon laquelle les évêques affectent les pasteurs au service d’une communauté locale opposée à celle qui consiste pour les églises à faire appel à des pasteurs), mais il note que ces caractéristiques, conservées autrefois avec soin selon l'idéal que Wesley se faisait du mouvement, cessent d'être vraiment "les traits distinctifs (de la dénomination), ou collectivement la vision de l'église." Ces éléments qui devraient être des moyens pour répandre la sanctification scripturaire, finissent souvent par devenir une fin en soi ... bureaucratique. Les méthodistes croient toujours qu'ils prient, chantent et prêchent le meilleur (the best), mais sont de moins en moins convaincus de quoi, du pourquoi et du comment......
Tous ces livres précisent que la tradition religieuse américaine est incompréhensible sans la prise en compte du témoignage méthodiste, que ce témoignage résiste au message culturel ou le porte. (C'est un point discuté de plus en plus fermement par des historiens religieux américains au cours de ces dernières décennies; voir Grégoire Schneider, The Way of the Cross Leads Home [l'Université de l'Indiana, 1993] et John Wigger, Taking Heaven by Storm [Oxford, 1998]). Ces livres attirent aussi l'attention du lecteur sur l'énergie victorieuse initiale dépensée par le méthodisme dans sa conquête du monde... Une question est laissée ouverte, à savoir si on se dirige ou non vers une réforme; il reste à savoir si le méthodisme est en mesure de se réformer effectivement. A la fin de son ouvrage, Richey émet le voeu que les Méthodistes pensent théologiquement aussi bien que pragmatiquement aux changements à mettre en oeuvre aussi bien dans leur Règlement que dans leur structure. Son voeu n'est pas destiné aux seules oreilles des Méthodistes.
Jennifer Woodruff Tait
traduction: eemni
08 août 2005
Source: Christianity Today