Il ne s'ouvre que lentement. Boris Trajkovski est un homme réservé. Né en 1956 à Strumica, une localité située au sud du pays, le président de la Macédoine a des allures modestes. Mais il sait fort bien qu'il est devenu le personnage clé d'un drame. "Je veux être le président de tous les citoyens de Macédoine", souligne-t-il. Et il est convaincu de représenter également les Macédoniens, les Albanais, les Roms, les Grecs et les Serbes, les Bulgares et les Valaques. Pour le prouver, il dit: "Je suis méthodiste, c'est à dire le représentant d'une minorité de 0.1 %. Et j'ai été élu à la présidence".
Que le conflit entre Albanais et majorité slave puisse être résolu pacifiquement dépend finalement de Trajkovski, le président. Mais il n'est plus certain, après les événements des semaines passées, qu'il dispose toujours de la confiance de tous les groupes ethniques. Avant, c'était indubitablement le cas. Elu à la présidence par le suffrage populaire en novembre 1999, il avait pu à ce moment-là, compter également sur l'appui des voix albanaises. Lors des élections parlementaires de 1998 déjà, son parti, le VPOM-DPMN, avait éjecté les socialistes du gouvernement et, de manière surprenante, conclu une coalition avec ceux qui paraissaient être ses adversaires les plus résolus, le parti albanais (DPA) de Arben Xhaferi…
Trajkovski entra au parti en 1992, alors que celui-ci était en crise. Mais la mutation réussit: alors que les socialistes voulaient gagner les élections de 1998 avec des slogans nationalistes, le VMRO se présenta comme modéré et européen. Et gagna avec ce programme. Mais l'espoir des Albanais de pouvoir enfin se débarrasser dans le cadre de cette coalition de leur statut de "minorité" et d'être reconnus comme une nationalité à part entière, fut déçu. L'émergence de l'UCK remit sur le tapis, une nouvelle fois, la question d'une modification de la constitution.
La "victoire" des forces de sécurité macédoniennes sur l'UCK n'a pas réglé les problèmes. Précisément en ce moment où, en signe de détente, la frontière avec le Kosovo est à nouveau ouverte, il faudrait dialoguer sérieusement avec les Albanais. "Personne n'est victime de discrimination dans notre pays", déclare Trajkovski. Tous les membres des minorités ont, en tant que citoyens, les mêmes droits et les mêmes devoirs. Pour ce qui est des droits des groupes, "nous dialoguons depuis 10 ans", pousuit-t-il. "Et nous allons continuer à le faire à l'avenir. Mais nous ne pouvons pas discuter d'une solution qui mettrait en cause l'intégrité du pays et sa stabilité à long terme." Les relations interethniques ont été résolues de manière exemplaire; la communauté internationale l'a reconnu et la Macédoine a toujours été citée positivement à ce propos. "Le problème est qu'actuellement, ce dialogue sur le développement futur de notre société a été interrompu par 200 ou 300 bandits."
Le président ne veut rien savoir de droits particuliers, de droits collectifs pour les Albanais ou encore d'une modification de la constitution. "Nous pouvons faire évoluer la constitution au profit de tous les citoyens, mais pas dans le sens de droits collectifs. Pourquoi tout le monde ne parle-t-il que des Albanais ? Il y a aussi les autres minorités", dit le président.
Mais le pays est dans une situation dramatique et le combat de l'UCK n'est pas terminé. Arguant de ce que les Albanais représentent, selon leurs propres données, bien au delà de 30 % de la population totale, même les partis albanais modérés demandent maintenant nettement plus que ce qui leur avait été proposé jusqu'ici. Dès lors, et compte tenu de sa position, Trajkovski ne peut pas répondre à la question de savoir ce que les dirigeants macédoniens pourraient réellement offrir pour couper l'herbe sous les pieds de l'UCK. "Nous nous offrons nous-mêmes, notre réelle volonté de dialogue".
Le temps est compté, car des négociations avec l'Union européenne sont agendées pour le 9 avril. D'ores et déjà, le parti de Arben Xhaferi menace de quitter la coalition gouvernementale et ainsi de faire échouer les négociations. Le PPD, le deuxième parti albanais en importance, veut boycotter ces rencontres, qui selon lui n'ont de toute manière pas de sens. Est-ce que cela ne fait pas réfléchir Trajkovski? "Bien sûr. Mais nous ne pouvons rien faire d'autre que d'indiquer, encore et toujours, que pour agir, la seule voie possible est celle des institutions démocratiques. Nous devons renforcer l'éducation à la tolérance et aller ensemble vers l’Europe".
Source: die Tageszeitung (taz) - ERICH RATHFELDER (04.04.2001)