COE: c’est l’eau qui a déclenché la crise au Darfour - selon la Conférence du réseau oecuménique de l’eau, les conflits pour l’eau, même limités, peuvent être meurtriers
Par Fredrick Nzwili (*)
Du Darfour, dans l'ouest du Soudan, jusqu'au mont Elgon au Kenya, le manque d'eau des populations rurales est une des nouvelles principales causes de conflit sur le continent africain. Au Darfour, près de deux millions de personnes déplacées sont plongées dans la souffrance et le désespoir. Les organisations au travail dans la région sont convaincues que ce sont des querelles à propos de l'eau et des pâturages qui ont tout déclenché.
"Tout a commencé lorsque les Janjawid se sont mis à brûler des villages avant de s'emparer des points d'eau", déclare Ismail Algazouli, ingénieur au SUDO (organisation soudanaise de développement social) qui, avec Norwegian Church Aid (NCA) et le Conseil des Eglises du Soudan, ainsi qu'avec l'aide d'ACT (Action commune des Eglises) et de Caritas Internationalis, apportent eau et éducation au Darfour.
Selon Ismail Algazouli, qui participait à la Conférence du Réseau œcuménique de l'eau (ROE) du 21 au 25 mai à Entebbe (Ouganda), ce conflit a été déclenché par des affrontements à propos de l'accès à l'eau et aux pâturages entre petites communautés de paysans africains et groupes d'éleveurs arabes. Ces groupes sont devenus de plus en plus nombreux et les affrontements se sont multipliés. Le tournant s'est produit en 2003 lorsque de puissants dirigeants des Janjawid ont demandé l'aide de leurs alliés du gouvernement, ce qui a donné à ce conflit une autre dimension.
"Les miliciens qui, pense-t-on, ont l'appui du gouvernement, chassaient les habitants. Une fois que ceux-ci avaient quitté leurs maisons, les Janjawid s'emparaient des points d'eau pour leur bétail", dit Ismail Algazouli. "Ils ont des millions de bêtes et il n'est pas facile de leur procurer de l'eau en quantité suffisante", explique-t-il.
Depuis près de trois ans, ces Janjawid - "les hommes à cheval" - se sont heurtés aux membres des communautés locales, ce qui a poussé des milliers de gens à chercher refuge dans les camps situés à la frontière entre le Soudan et le Tchad.
Des "petits conflits" de plus en plus nombreux
Bien qu'on puisse estimer que le Darfour représente un cas isolé, les spécialistes, lors de cette conférence, ont signalé qu'on ne pouvait pas ignorer le danger de conflits du même type ailleurs. Des délégués d'Eglises travaillant à la base disent qu'ils craignent des conflits plus importants et que les affrontements mineurs vont en augmentant.
Il n'y a pas plus de huit mois, un violent conflit à propos de terres et de ressources s'est déclenché dans un projet d'implantation du nom de Chepyuk, dans la région du mont Elgon, au Kenya. "Il s'agissait de l'accès à la terre et à l'eau, qui diminue rapidement", explique le pasteur Maritim Rirei, coordinateur de programme de l'Eglise anglicane du Kenya, dans la région d'Eldoret. Son Eglise a dirigé des programmes consacrés à la paix dans ce secteur.
Au cours de cette brève période, on estime à 60 000 le nombre de personnes déplacées, des centaines de maisons ont été détruites et 35 écoles fermées. Environ 200 personnes ont été tuées et 300 arrêtées lors de tentatives du gouvernement pour mettre un terme au conflit. "Cela signifie que les personnes appartenant à ces communautés déplacées n'auront plus d'accès à l'eau en quantité et en qualité suffisantes", dit Maritim Rirei.
En trente ans, la population a doublé dans la région, ce qui a pesé sur des ressources limitées. Au cours de la même période, les fleuves et les rivières de ce secteur ont vu leur volume diminuer, ce qui a amené par exemple un groupe appelé Soy à émigrer dans la montagne là où le terrain est plus fertile et où les sources sont encore pures. Entre 1965 et 1989, ce groupe a dû à deux reprises quitter la montagne sur ordre du gouvernement pour en abandonner les pentes aux Dorobo, une population de chasseurs-cueilleurs qui vit de miel et de fruits sauvages et qui élève un peu de bétail sur les landes de cette montagne.
"Tout le monde a voulu avoir des terres sur cette montagne, explique Maritim Rirei. Ce qui a tout déclenché, ce sont les sources abondantes, les terrains fertiles et de bonnes pluies. C'est une zone de captage d'eau qui dessert les populations de l'ouest du Kenya."
Rirei ajoute qu'en raison des conséquences manifestement négatives pour les sources dans cette montagne, le gouvernement a commencé à transférer ailleurs les groupes qui y vivaient, ce qui a déclenché le conflit. Environ 1700 foyers ont été réinstallés, mais 5800 n'ont pas de terrain. Des jeunes appartenant aux communautés qui ont reçu des terres se sont regroupés pour constituer une milice appelée Saboat Land Defence Force, dont les actions violentes déstabilisent la région.
Selon le coordinateur du programme pour la paix, des femmes aussi bien que des enfants ont été attaqués alors qu'ils cherchaient de l'eau ou abreuvaient leurs bêtes à des sources ou à des puits, ce qui les a contraints à abandonner leurs maisons pour chercher refuge dans des églises et des écoles.
"Ceux qui se battent veulent rester dans les zones forestières et vont toujours plus haut dans la montagne, dit Maritim Rirei. On peut voir actuellement des maisons détruites recouvertes de végétation. Des éléphants se promènent là où il y avait autrefois des fermes."
D'après lui, les Eglises ont la charge de protéger les sources et, en même temps, de réinstaller les personnes déplacées. "Nous sommes menacés de deux côtés. Il nous faut travailler de façon à protéger les zones de captage et, en même temps, venir en aide à ces gens" a-t-il dit aux participants à la conférence du ROE dans un exposé intitulé "Médiation des conflits à propos de l'eau et des ressources naturelles".
Les eaux du Nil
Après avoir constaté les conséquences de ces conflits limités, les dirigeants d'Eglises et d'organisations apparentées s'inquiètent à propos des masses d'eau douce les plus importantes d'Afrique. On peut craindre, par exemple, que les eaux du Nil ne donnent naissance à un conflit régional, étant donné que divers pays tentent d'y pomper de l'eau ou de s'en servir pour créer des projets de développement. "Les eaux du Nil sont un sujet extrêmement délicat", dit Dawit Kebede, ingénieur travaillant avec NCA.
Il précise que, si dix pays d'Afrique se partagent les eaux du Nil, il semble que l'Egypte dispose de droits exclusifs sur cette énorme richesse. "Chaque fois qu'un pays envisage d'utiliser cette eau, la tension monte", et il explique qu'un accord datant de 1929, conclu entre la Grande-Bretagne et l'Egypte, prévoit que tout pays désireux d'utiliser ces eaux devra préalablement obtenir l'approbation de l'Egypte. Un autre accord a été signé en 1959 entre le Soudan et l'Egypte par lequel les deux pays se sont entendus pour se répartir les eaux.
Malgré les tensions de plus en plus fortes à propos des ressources en eau, les participants à la conférence ont insisté sur le fait qu'il est possible de parvenir à des solutions pacifiques des conflits présents et futurs au sujet de l'eau. On peut également considérer ces tensions comme des occasions de coopération pacifique et de solution commune des problèmes. Les dirigeants d'Eglises ont la conviction que les eaux du Nil elles-mêmes peuvent représenter un élément unificateur entre les pays riverains.
"N'oublions pas que l'eau a toujours relié et rapproché les peuples", a dit Danuta Sacher, responsable des orientations et des campagnes de Pain pour le monde (Allemagne). Dans une déclaration finale, les participants affirment que, pour le règlement des conflits, il est nécessaire de rechercher des solutions avec les populations concernées et que ces solutions doivent se fonder sur le respect réciproque du droit à l'eau de tous les intéressés. Beaucoup de choses vont dépendre, disent-ils, de la volonté des gouvernements d'agir ouvertement et loyalement à propos de ces questions, en donnant la priorité aux populations les plus pauvres et les plus vulnérables et en recherchant des moyens de coopération pacifique et de partage entre les Etats et au sein de chacun d'entre eux.
(*) Fredrick Nzwili est un journaliste indépendant du Kenya. Il est actuellement correspondant de l'agence de presse ENI (Nouvelles œcuméniques internationales) à Nairobi, capitale du Kenya.
05/06/2007
Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)