France: le pasteur Etienne Rudolph témoigne de la situation en Argentine

EEMNI rapporte les termes de l'interview que l'hebdomadaire protestant "Le Christianisme au 21e Siècle" a réalisé avec le pasteur Etienne Rudolph qui vient de repartir en Argentine pour un second séjour missionnaire.


DIEU N'A PAS ABANDONNEL'ARGENTINE


Le pasteur Etienne Rudolph, originaire d'Alsace, a été «prêté» pour quatre ans par l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM) française à son homologue argentine. C'est à Patagones, dans le sud du pays, qu'il exerce son ministère depuis septembre 99. Educateur de formation, Etienne Rudolph a fort à faire dans ce pays touché par une crise économique, politique et sociale sans précédent. Une Argentine très majoritairement catholique (90 % de la population), mais où les protestants essaient de réfléchir avec d'autres sur la possibilité d'un sursaut national.


Comment votre action de missionnaire protestant est-elle perçue par la population et les autorités argentines? 


En Argentine, il existe des Eglises dites historiques telles que la nôtre. Il y a en tout six Eglises, en dehors de l'Eglise Catholique qui sont reconnues officiellement. La liberté de culte est admise, même s'il n'y a pas toujours égalité de traitement vis-à-vis de l'Eglise romaine qui reste très majoritaire. Et les gens sont toujours un peu intrigués face aux protestants, qu'ils soient réformés, luthériens, vaudois ou méthodistes. Et notamment par un pasteur venant de loin pour exercer son ministère dans un endroit aussi perdu! Mais nous sommes plutôt bien perçus, y compris par les autorités. D'ailleurs, il y a une relative croissance des Eglises protestantes à l'heure actuelle, mais davantage de type pentecôtiste que de type «historique»

Quelles sont les conséquences de la crise actuelle sur les Eglises d'Argentine?


On peut constater une baisse très nette des revenus provenant des offrandes: dans le cas de l'Eglise Méthodiste, nous avons assisté à une chute de 40% des entrées d'argent au cours des six derniers mois. Une baisse Iiée non seulement aux événements de décembre, mais à la situation antérieure. On sentait depuis longtemps que la crise était là et qu'elle allait un jour ou l'autre éclater. Il y a également des difficultés quant aux soutiens pastoraux dans l'ensemble de l'Eglise, au-delà de l'Eglise Méthodiste d'ailleurs. Nous sommes passés d'un traitement mensuel à un paiement hebdomadaire des pasteurs. Sachant que les banques étaient en train de bloquer les comptes et ne pouvant plus retirer d'argent au-delà d'une certaine somme, il a fallu redistribuer les offrandes d'une autre manière.


Quelle est l'action des chrétiens argentins face à la crise morale, économique, politique et sociale de leur pays?


Le tout dernier président de la République d'Argentine a lancé un appel à quelques acteurs de la vie sociale et tout particulièrement l'Eglise. Quand je dis l'Eglise, il s'agit de l'Eglise Catholique. Mais celle-ci étant en grande partie ouverte aux autres Eglises, des protestants ont été invités à se joindre aux débats. Nous ne sommes pas représentés directement au sein de ce mouvement, mais les relations avec les catholiques, notamment ceux dits «progressistes», sont très bonnes. Un dialogue national a donc été amorcé à l'initiative du gouvernement, dans lequel l'Eglise est prête à jouer un grand rôle. Et elle est réellement consultée: elle donne son avis, des textes sont émis, le gouvernement actuel a rencontré ou contacté les représentants de l'Eglise Catholique, mais aussi notre évêque méthodiste qui, soit dit en passant, ne s'est pas gêné pour donner son avis! Des représentants de la Fédération Protestante d'Argentine ont lancé un grand rassemblement et ils ont assuré le gouvernement de leur soutien au pays. Mais bien des chrétiens ont été désorientés par la crise. Ils ne savent plus que faire et certains nous ont demandé au moment de notre départ pour l'Europe de prier pour eux, de les soutenir dans leur désir de tenir ferme dans la foi et le refus de la violence (1). Dans l'ensemble, les Eglises ont bien réagi en invitant les gens au calme et à la réflexion. Même si la situation est difficile et injuste, les chrétiens désirent reconstruire. Mais Ieur question, qui est celle de l'Eglise en général, c'est «comment?»... 


Une personnalité argentine a déclaré: «Les argentins ne croient plus en personne»: la crise de confiance actuelle en l'homme et en la politique affecte-elle également les Eglises? Ou au contraire les Argentins se rapprochent-ils de Dieu en ces temps difficiles?


C'est le genre de discours que l'on a beaucoup entendu depuis deux ans déjà. Les gens, y compris dans les Eglises, n'ont plus confiance dans les institutions du pays, qu'il s'agisse de l'administration, de la police, de la justice ou du fisc. Il y a un profond ras-Ie-bol de la population face au déni de justice des institutions: «A quoi bon respecter la loi, alors qu'au-dessus de nous personne ne respecte plus rien?», se disent les Argentins, tout en se rendant compte qu'évidemment on ne peut tenir ce langage... Ils ne savent plus à qui se raccrocher, mais, d'un autre côté, on trouve des réactions très fortes du style: «Si je suis Argentin, c'est que Dieu m'a placé ici et je dois me prendre en main!». Nous n'avons pas connu de conversions massives. mais beaucoup s'interrogent: «Est-ce que Dieu a abandonné le pays? Pourquoi?»... On se demande quelle est la place de Dieu dans la crise actuelle. qui est aussi une crise de confiance. Mais en tant qu'homme d'Eglise, on ne m'a jamais claqué la porte au nez. Les gens n'ont pas rejeté l'apport des Eglises..., mais ils les ont à l'oeil! Car, dans le passé, une partie du catholicisme argentin a soutenu la dictature. Aujourd'hui, une bonne part des catholiques «progressistes» est engagée dans le Mouvement oecuménique pour les droits de l'homme, en bonne intelligence avec les protestants.


Quelle issue voyez-vous à cette crise?


Je pense comme d'autres que cette crise profonde sera peut-être l'occasion de mettre à plat certains éléments du fonctionnement du pays, de voir où l'on en est et dans quelle direction aller. Les gens sont conscients de la nécessité de se prendre en main, après vingt ans de dictature. Il y a des comités de quartier qui se sont mis en place dans toute l'Argentine, ce qui est tout à fait nouveau. On a le sentiment d'assister à une sorte de bouillonnement démocratique: que va-t-il en ressortir? On ne sait pas exactement... Mais je crois qu'il y a de bonnes raisons de se montrer optimiste, même si l'on n'en voit pas l'issue dans l'immédiat. Dieu n'a pas abandonné l'Argentine. Aux chrétiens argentins, mais aussi d'ailleurs, au Nord comme au Sud, de rester à son écoute et de se servir de l'intelligence qu'Il leur a donnée. Les Eglises auront un rôle à tenir dans ce redressement, à côté d'autres organismes. Je crois que le témoignage chrétien est très important, pour que Ies Argentins puissent se raccrocher à des valeurs - toutes simples peut-être mais fondamentales - telles que l'honnêteté, la vérité et la justice.


(1) Il y a eu des protestants parmi les manifestants,qui ne se sont certes pas tous laissé tenter par la violence.


8 mars 2002


Source: Le Christianisme au 21e siècle