<14/01/2000 Une prédicatrice laïque méthodiste, témoin d'une exécution capitale

Hans Peter Roth a écrit l'article suivant dans le quotidien "St. Galler Tagblatt" du 11 janvier.

Jessie Lee Wise a été une des 98 personnes exécutées l'année dernière aux Etats Unis. Elle a été exécutée à la fin du mois de mai par une injection mortelle. "Jamais, je ne pourrai oublier cette scène", dit Carole Mehl, 59 ans, militant contre la peine de mort. Même six mois après l'exécution de Jessie Lee Wise, elle ne peut cacher son ébranlement. Elle avait accompagné jusqu'à la fin le jeune homme de couleur condamné à mort pour crime crapuleux. A minuit le 26 mai 1999, Carole Mehl a été appelée dans un des locaux réservés aux témoins, qui entourent le lieu d'exécution. Le condamné à mort était étendu et lié sur un lit de camp: "C'était comme s'il était mis en vitrine. Tout le corps de l'homme était recouvert d'un papier blanc, de façon à ce que la seringue devant inoculer le poison mortel dans une veine ne soit pas visible. On ne voyait que le visage noir de Jessie en contraste grotesque avec tout le reste resté blanc." Le lieu d'exécution de la prison d'Etat dans l'Etat fédéral du Missouri est entouré sur trois côtés de vitres obscurcies. "Depuis les trois pièces bien séparées les unes des autres, les témoins ont une vue dégagée sur le condamné à mort. Dans une pièce se trouvaient les parents de Jessie. Dans la pièce opposée, il y avait les parents de la victime du crime que Jessie avait commis", se souvient Carole Mehl. "Je me trouvais dans la troisième pièce en même temps qu'un pasteur et quelques représentants de la presse. Une minute après minuit, tout aurait dû être terminé. Mais ensuite eurent lieu "les minutes les plus longues, les plus terribles et les plus insupportables" de la vie de Carole Mehl. "Et pourtant ce n'est rien en comparaison avec ce que Jessie a dû endurer." Ce n'est qu'à 0h49 que débuta l'exécution. Les exécutions par injection se déroulent aux Etats Unis de la façon suivante: une première injection plonge le prisonnier dans l'inconscience. Ensuite, une substance est injectée, qui coupe la respiration. La troisième inocule du poison qui mène à l'arrêt cardiaque. A 0h54 a été constatée la mort de Jessie Lee Wise. Wise a été condamné, pour avoir abattu une femme en 1988 dans la grande ville de St Louis dans l'Etat fédéral du Missouri. Il a clamé son innocence jusqu'à la mort. "Le nombre d'indices parlant contre Jessie était impressionnant", admet Carole Mehl. Pourtant ce point est secondaire pour l'enseignante de musique et mère de deux enfants adultes. Elle est convaincue que les onze années que Wise a passées dans une cellule de condamné à mort ont fait de lui "un autre homme". Elle l'a toujours trouvé comme "un homme sensible et très cultivé". L'opposante à la peine de mort a commencé à écrire à Jessie Wise en 1995. C'est parce qu'elle considérait comme un "devoir chrétien" d'assister les gens en détresse qu'elle a pris contact avec Wise par le biais d'une organisation de lutte contre la peine de mort dans sa ville natale du Kansas-City. Ainsi a grandi rapidement entre eux une forte amitié à travers leur correspondance. Une année plus tard, ils ont pu se rencontrer directement pour la première fois: "nous étions tous les deux incroyablement nerveux", dit Carole Mehl. Mais leur échange de correspondance avait d'ores et déjà brisé la glace entre eux. La femme blanche a été parmi les seuls confidents du condamné à mort; sa famille a plutôt cherché à l'éviter. Et pourtant, même si la confiance était de rigueur entre eux, ils n'ont pas eu le droit de se serrer la main, de se prendre dans les bras, de s'embrasser ni de se parler entre quatre yeux. et systématiquement une grille en métal séparait les deux amis. Et systématiquement un gardien était en faction dans la petite pièce. "Un jour, j'ai voulu coller ma main à la grille et lui la sienne." Carole Mehl était dans tous ses états. "Mais le gardien m'en a empêchée". Après une nouvelle tentative, elle a dû abréger sa visite. Il lui est arrivé une seule fois de ne pas être séparée de lui par une grille - c'était pour se faire prendre eux deux en photo-Polaroid. "Tout ça est brutal et inhumain. Pas une seule fois, un enfant ou de proches parents ont le droit de toucher un condamné à mort - comme si la peine de mort n'était pas à elle seule suffisamment grave", dit Carole Mehl. Elle a encore visité Jessie Lee Wise deux autres fois par la suite le 25 mai 1999, le jour précédant l'exécution. Elle a partagé 12 heures de sa vie avec lui le dernier jour de sa vie. Ils sont venus ensuite le chercher et l'arracher à elle à 22h00. Les préparatifs à l'exécution d'un condamné à mort durent deux heures. Puis le condamné à mort doit revêtir un vêtement spécial, réservé à l'exécution avant d'être emmené par les fonctionnaires - sans que la famille ne l'accompagne- au lieu d'exécution. Quelques minutes avant que le poison ne commence à couler, tous les participants à l'exécution quittent la pièce. Le prisonnier vit sa mort totalement seul. Carole Mehl se souvient que Wise n'a pas même eu le droit de s'offrir un petit crucifix en métal, parce que, soit disant, il aurait pu être tenté "de se suicider", telle est la raison invoquée officiellement au refus. "La justice revendique manifestement pour elle le privilège de mettre à mort des condamnés", ajoute la prédicatrices laïque méthodiste. Celui qui est pauvre et noir a encore moins de chances d'en sortir vivant. "La peine de mort en somme", pense Carole Mehl, "n'a rien à voir avec la justice. Mais seulement avec la vengeance."

>Source: St. Galler Tagblatt