"La mer grignote le littoral et la côte" a expliqué Ratu Isikeli Komaisavai, coordinateur du village pour les projets de développement.
Par Mark Beach (*)
En s'approchant du débarcadère du village de pêcheurs de l'île de Viwa, au large de Viti Levu, la plus grande des îles de Fidji, on a du mal à imaginer un endroit plus idyllique que ce paradis du Pacifique Sud, rempli de panoramas plus stupéfiants les uns que les autres.
Sur le versant de la colline qui surplombe le village se trouve une église dédiée à la mémoire du méthodiste John Hunt, qui a traduit la Bible du grec en fidjien il y a plus de 150 ans. Il reste révéré par les villageois.
A la tombée de la nuit, la chapelle luit comme un phare au-delà de l'eau. Sur les luxuriantes pentes menant à la côte se trouvent nichées les maisons des 110 âmes pour qui Viwa, c'est chez elles.
C'est ici que, fin mai, les quatre membres d'une délégation de "lettres vivantes" du Conseil œcuménique des Eglises (COE) ont été accueillis par les villageois de Viwa, qui leur ont fait part de leur inquiétude croissante concernant les changements climatiques dans le monde et l'élévation du niveau des mers due à la fonte des glaciers polaires, qui ont d'importantes répercussions sur cette petite communauté.
L'île elle-même est minuscule. Il n'a fallu à la délégation qu'une vingtaine de minutes pour en faire le tour dans un bateau à moteur. Les changements climatiques qui se produisent loin d'ici ont des conséquences sur des endroits comme celui-ci et c'est pourquoi les Lettres vivantes sont venues écouter la communauté et lui exprimer leur solidarité.
Les Lettres vivantes du COE sont de petites équipes œcuméniques qui se rendent dans un pays pour écouter, apprendre et étudier des approches aux problèmes, et aider à faire face aux difficultés afin de vaincre la violence et promouvoir la paix. Dans le contexte de Fidji, le groupe s'est intéressé aux conséquences de la violence faite à la nature sur les phénomènes climatiques dans le monde, à cause des émissions de CO2, du mésusage des terres, de la pollution et d'autres questions liées au développement et aux styles de vie. Outre son étape de 24 heures sur Viwa, l'équipe a également rencontré des responsables d'Eglise et du gouvernement à Suva, la capitale fidjienne.
Le seul moment où l'on peut approcher le débarcadère de Viwa, c'est quand la mer est haute. A marée basse - à la mi-journée en cette fin mai - les eaux calmes se retirent jusqu'à plus d'un kilomètre en certains endroits, découvrant de vastes et impressionnantes étendues de vase.
Le rituel quotidien de ce mouvement fascinant de la mer rythme la vie des villageois. Il faut se dépêcher le matin pour prendre le dernier bateau en partance avant que les eaux près des côtes ne soient plus assez profondes et se retirent.
Quand la mer s'est retirée, la vie sous l'implacable soleil tropical adopte une cadence plus lente, jusqu'à ce qu'une activité plus intense reprenne avec le retour fidèle de l'eau, plus tard dans l'après-midi.
"La mer grignote le littoral"
Plongés dans cette beauté et ce rythme, on a du mal à imaginer ce qui pourrait perturber l'équilibre de la vie à Viwa. Pourtant, Ratu Isikeli Komaisavai, coordinateur du village pour les projets de développement, affirme que les changements climatiques sont en train de changer la vie des villageois. "La mer grignote le littoral et la côte", a-t-il expliqué.
Et il dit vrai, comme on peut le voir le long des pentes escarpées de l'île, où à divers endroits apparaissent des falaises de terre et des arbres au sol. On affirme également que l'eau laisse sa marque un peu plus haut chaque année.
Ce petit coin de paradis est en train de se faire lentement dévorer par les conséquences d'événements qui se produisent bien loin de ces côtes. "La plus grande menace qui pèse sur nous, ce sont les changements climatiques", a déclaré Ratu Isikeli Komaisavai.
Bien que le village se trouve du côté sous le vent de l'île, les typhons et ouragans qui s'abattent de plus en plus fréquemment sur Fidji et d'autres pays du Pacifique Sud font lentement disparaître des îles comme Viwa. Mais les changements ne se limitent pas à l'érosion des côtes.
Les changements de température signifient que "les cultures ne sont pas prêtes au bon moment de l'année", a expliqué Ratu Isikeli Komaisavai, confirmant ce qu'ont constaté certains membres de la délégation de Lettres vivantes venant du Groenland, de Tanzanie, de Grèce et d'Argentine.
L'évêque Sofie Petersen, qui représentait le Groenland au sein de la délégation, a déclaré à un groupe d'anciens du village que l'augmentation des températures que les éleveurs d'ovins du sud du Groenland observent entraîne une plus longue saison de pâturage; d'autres, plus au nord, voient la fonte de l'inlandsis modifier la vie économique et sociale.
L'Argentin Elias C. Abramides a expliqué aux villageois qu'on lui avait récemment dit que les récoltes se faisaient de plus en plus tard en Argentine. Dans un premier temps, les agriculteurs ne pouvaient auparavant pas expliquer ce phénomène, mais ils l'attribuent désormais aux modifications du climat.
Dans cette région du Pacifique Sud, autour de Fidji, la question des changements climatiques ne se limite pas à une simple discussion sur l'érosion et la montée du niveau de la mer. De plus en plus, pour le gouvernement et les responsables d'Eglise de la région, l'urgence porte sur les conséquences sur la population, en particulier pour les personnes qui devront être déplacées.
"Etre responsable d'Eglise, c'est important, ici", a déclaré Fe'iloakitau Kaho Tevi, secrétaire général de la Conférence des Eglises du Pacifique (CEP), lorsque l'équipe de Lettres vivantes a rencontré le secrétaire général adjoint du Forum des îles du Pacifique, Feleti P. Teo.
Pour Fe'iloakitau Kaho Tevi, cela signifie que l'Eglise a des réponses à donner aux questions "qui, quand, où, comment et pourquoi" dans le cadre de la réinstallation de populations vivant dans des îles comme l'atoll de Tuvalu, le pays le plus menacé par l'augmentation du niveau de la mer.
L'Eglise s'active au moyen d'initiatives telles que la reforestation, afin d'empêcher l'érosion lors des fortes pluies. "La seconde initiative consiste à construire des remparts de cordon littoral, initiative qui a les faveurs du gouvernement et des villages", a déclaré le pasteur Tuikilakila Wagairatu, secrétaire général de l'Eglise méthodiste de Fidji, lors d'une rencontre avec la délégation de Lettres vivantes.
Ce n'est que depuis peu que les responsables nationaux du Forum des îles du Pacifique (FIP), qui est constitué de représentants de presque tous les gouvernements nationaux de la région, semblent disposés à aborder la question du déplacement et de la réinstallation des populations.
"Le discours du Forum a changé", a déclaré Feleti P. Teo, du FIP. "La phase de réinstallation est désormais engagée et les dirigeants prennent conscience de la réalité."
Pour l'heure, le FIP n'a pas de position officielle sur la réinstallation. Des discussions doivent encore avoir lieu sur les questions du droit maritime et des intérêts nationaux, qui n'ont pas été bien définies, selon Feleti P. Teo.
Avant de participer aux réunions sur les changements climatiques à Copenhague en décembre dernier, le nouveau ministre fidjien de l'Administration locale, du Développement urbain, du Logement et de l'Environnement, Samuela Saumatua, n'avait pas conscience de l'urgence de la question climatique pour la région. "Cela ne relève plus simplement de l'exercice théorique", a-t-il affirmé.
"Nous n'avons même pas de politique sur les changements climatiques", a déclaré Samuela Saumatua. Sous sa direction, une politique nationale est en cours d'élaboration, avec la participation de la Conférence des Eglises du Pacifique. Samuela Saumatua s'est entretenu avec la délégation de lettres vivantes pendant près d'une heure et l'a encouragée à aider les Eglises à mieux prendre conscience des questions relatives aux changements climatiques.
"Des Eglises compétentes en matière de changements climatiques"
Plus tôt, à l'occasion d'une discussion avec le pasteur méthodiste Wagairatu, l'équipe de lettres vivantes a évoqué la possibilité de former des "Eglises compétentes en matière de changements climatiques", en s'inspirant du programme du COE visant à développer des "Eglises compétentes en matière de SIDA" à travers l'Afrique.
Pour la CEP et l'équipe de Lettres vivantes, le constat sur la nouvelle politique du gouvernement en matière de changements climatiques est une nouvelle encourageante.
Pendant ce temps, les efforts faits pour porter un coup d'arrêt à l'érosion et inverser les conséquences des orages tropicaux, qui sont de plus en plus intenses, pourraient ne pas porter leurs fruits à temps pour aider l'île de Viwa.
"Les populations du Pacifique sont confrontés à une véritable menace, or leurs ressources sont limitées", a expliqué Ratu Isikeli Komaisavai au groupe à son arrivée à Viwa. Si la plupart des maisons sont en sécurité pour le moment, l'érosion semble préoccupante à proximité de la résidence du pasteur, qui se situe plusieurs mètres à l'écart du principal noyau de maisons et près d'une falaise donnant sur la mer.
Avant de repartir de Viwa, la délégation de Lettres vivante a fait une marche de 15 minutes vers l'autre côté de l'île, pour atteindre un endroit où le traducteur John Hunt venait prier, au 19e siècle. Ce lieu revêt aujourd'hui une importance particulière pour les villageois et ceci d'autant plus qu'ils se rendent compte que leur île est en train de se faire lentement grignoter. Le groupe a prié pour Viwa.
Pour Viwa, comme pour beaucoup d'autres îles du Pacifique Sud, l'augmentation du niveau de la mer, l'intensification des orages et l'altération des périodes de récoltes annoncent toutes la menace d'un désastre qui, à moins qu'on ne s'y attaque à l'échelle mondiale, pourrait mettre fin au paradis.
(*) Mark Beach est le directeur de la Communication au COE.
28 juin 2010
COE