Marie-Noëlle von der Recke, théologienne, Laurentiuskonvent, Laufdorf (D)
Le nombre de réfugiés à travers le monde atteint un pic inconnu depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de 80 % des réfugiés vivent dans des pays en développement… Pratiquer l’hospitalité est possible. Exemple dans une communauté de vie en Allemagne. La chronique est publiée simultanément par Christ Seul et ENroute.
« Tout a commencé en 2011 par des manifestations pour plus de liberté. Entre-temps, le pays a sombré dans un conflit sanglant. » C’est ainsi que, lors de la journée des Réfugiés de l’ONU, Haitham H., invité à témoigner dans un culte, explique le motif du départ de sa famille de Syrie en 2013. Comme beaucoup d’autres, ils étaient pris en étau entre les forces du dictateur Assad et celles de l’état islamique, à la fois en tant que Kurdes et en tant que croyants pratiquant un islam ouvert et tolérant vis-à-vis des non-musulmans.
Début mars 2015, six adultes et trois enfants ont atterri à Francfort et vivent depuis dans notre communauté. D’autres familles d’accueil ont été trouvées dans notre région et on cherche encore des personnes prêtes à se porter garantes pour des familles échouées en Turquie ou en Irak.
Lorsqu’il décrit la fuite vers l’Irak à pied, puis le séjour dans des camps de réfugiés avant l’obtention de visas pour l’Allemagne, Haitham souligne que la plupart des réfugiés syriens vivent des situations bien plus dramatiques et perdent la vie avant de pouvoir quitter le pays.
Des chiffres et… des êtres humains
Les statistiques sont parlantes : 55 millions de réfugiés dans le monde. La moitié sont des enfants. Il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour trouver de tels chiffres. Accueillir des réfugiés dans une communauté, c’est découvrir les êtres humains derrière les chiffres. C’est partager leur soulagement d’être en sécurité et de pouvoir envisager un avenir. C’est accompagner leurs démarches administratives et leurs premiers pas dans une société étrangère. C’est les aider à apprendre une nouvelle langue. Mais c’est aussi sentir leur reconnaissance, goûter à leurs spécialités culinaires, se réjouir de leur aide dans les travaux du jardin, apprendre quelques mots de leur langue, découvrir leur foi. C’est beaucoup de chaleur humaine et un enrichissement inestimable.
Solidarité au village
Contrairement à l’impression communiquée par les médias, qui se font si volontiers l’écho de la peur de l’étranger, nous n’observons aucune animosité dans le village, bien au contraire : chacun est prêt à participer à notre projet. On apporte des jouets aux enfants, des vêtements. L’agriculteur donne du lait gratuitement à la famille. La voisine la plus pauvre achète des bottes pour Rosan qui entre au jardin d’enfants. Les plus âgés se souviennent : « Moi aussi, enfant, j’ai été réfugié à la fin de la Seconde Guerre mondiale. » Nous voyons le même élan au niveau régional.
Découvertes
Nos hôtes sont musulmans. Dans cette situation où ils dépendent de nous de bien des manières, nous ne cherchons pas à les gagner à notre foi. Nous avons pourtant acheté une Bible en arabe, qui a vite disparu – sans doute dans une des chambres. À notre surprise, le deuxième exemplaire déposé pour la remplacer est depuis un certain temps sur le tapis de prière orienté vers La Mecque qui a trouvé sa place dans notre chapelle. Où cela nous mène-t-il ? Un partage sur les questions spirituelles se dessine. La maman nous a assurés de sa prière et nos chants sont accueillis avec bienveillance. Lors d’un décès dans notre communauté, Haitham a suggéré de prier avec celui qui le lui a annoncé. L’un ou l’autre de nos hôtes se joint parfois à nos temps de prière. Nous découvrons des thèmes où nous sommes en accord et sommes frappés par le respect de nos interlocuteurs pour notre foi et pour nos écritures. J’ai proposé d’aller plus loin, pour que nous posions nos questions concernant le Coran et répondions aux leurs concernant la Bible.
Compassion
La plus belle découverte ? Le terme utilisé en arabe pour parler de Dieu, « Allah le miséricordieux » (Bismillah Al-Rahman Al-Rahim), a la même racine que son équivalent hébreu : c’est l’utérus, le sein de Dieu. L’amour maternel de Dieu que nous sommes appelés nous aussi à pratiquer est l’une des convictions que nous partageons avec nos hôtes. C’est sans doute aussi la seule réponse raisonnable à apporter à la situation des millions de réfugiés errant sur les routes de notre monde.
ENroute EEMNI