L'évêque Heinrich Bolleter sur les structures de l'Eglise et l'oeuvre de l'Esprit : "aujourd'hui, nous nous comprenons plus que jamais comme un mouvement missionaire"

Le 2 mai, Heinrich Bolleter quittait son poste d'évêque de l'Eglise Evangélique Méthodiste en Europe du Centre et du Sud après l'avoir occupé 17 années. Durant ces années, les Eglises de l'Est ont connu un regain de vie. Dans l'interview qu'il a accordée à Livenet.ch, l'évêque Bolleter se prononce sur ces bouleversements et la situation des communautés méthodistes en Suisse.


Livenet : Evêque Bolleter, vous êtes entré en fonction, au moment où se désagrégeait le bloc oriental et que démarrait une nouvelle vie. Si vous regardez en arrière, qu'est-ce qui vous réjouit ?


Heinrich Bolleter : les églises dans ces pays ont repris pied et conscience tout à nouveau de ce qu'elles étaient. Le grand tournant est derrière nous; maintenant, il s'agit de consolider les acquis. Nous avons de loin très peu de moyens pour former et engager les gens qui ont une vocation. De ce fait, il est demandé aux églises locales d'assurer leur auto-financement.


Vous ressentiez les tensions entre les attentes et les possibilités. 


J'ai toujours expliqué que nous attendions une contribution des églises elles-mêmes, même minimale. Elles se sont appropriées de cette manière leur projet. Même les plus grandes églises que nous construisions, participent partiellement à leur financement. Des communautés situées dans les villes de la Bulgarie ont fondé et fondent encore des communautés dans les villages - mais les personnes là-bas sont pauvres et ont peu de travail. Donner aux chrétiens des perspectives d'avenir en encourageant la petite industrie, n'est pas simple en Bulgarie. Quand une institution fut créée au nom d'un pasteur expérimenté, on a mis au premier plan ses intérêts familiaux.


L'Eglise Evangélique Méthodiste a des possibilités particulières, puisque votre diocèse comprend des pays de l'Europe Occidentale et de l'Europe de l'Est. Des figures marquantes de l'Eglise comme le Bulgare Simeon Popov avaient fait leurs études avant la guerre en Allemagne. Avez-vous formé des chrétiens des Balkans à l'ouest depuis 1990 ? 


Nous avons fait diverses expériences. Un pasteur doué qui avait fait ses études à l'ouest, a regardé avec mépris ses frères et soeurs et fait bande à part. Une femme dont nous financions la formation, a eu beaucoup de peine à se faire au jour le jour à la dure réalité bulgare. Nous avons fait de très bonnes expériences intermédiaires : dans une oeuvre sociale luthérienne en Carinthie, nous avons formé nos gens des Balkans. Après avoir étudié l'allemand à l'université de Graz, ils ont fait leur théologie avec nos enseignants et la diaconie avec des luthériens. Les gens des Balkans ont travaillé auprès des personnes âgées, des handicapés et des enfants. Ils ont ainsi couvert les frais, même si ce genre de soins n'allait pas de soi pour ces hommes de culture sudiste.


Comment avez-vous supporté la tension entre le réveil en Europe de l'Est et la stagnation de l'Eglise Evangélique Méthodiste en Suisse ? 


Ici, nous nous trouvions dans une phase transitoire. La direction d'église - mes trois surintendants, la surintendante et moi - nous comprenions très clairement le chemin à suivre à l'avenir. Il a été néanmoins difficile de transmettre cette perspective. Nous voulions concentrer nos forces, pour développer davantage l'action missionnaire. Les restructurations ont souvent été comprises de travers comme une entreprise de démolition, surtout dans le cas de fermeture de postes. Pour nous, il s'agissait de resserrer nos forces pour prendre un nouveau départ. Aujourd'hui, nous avons, certes, moins de membres qu'auparavant, mais sommes plus actifs et nous nous comprenons comme jamais comme un mouvement missionnaire.


Où repérez-vous ces progrès ?


Certains centres fonctionnent très bien et sont actifs sur le plan missionnaire, et nous voyons se développer des activités diaconales : des soupes populaires pour élèves et personnes âgées, des groupes d'entraide pour mères célibataires. il faut ajouter certaines initiatives éminentes, comme "Netz4", le travail communautaire et social du Cercle 4 (Kreis 4) à Zurich.


A côté de cela, des communautés stagnent


Malheureusement, quelques communautés se déchirent parfois dans des conflits théologiques détestables. ... Nous avons en tant qu'Eglise le devoir de donner une nouvelle perspective aux gens. Pour moi, c'est l'alignement sur le Royaume de Dieu : Nous avons à procurer aux gens cette vision du Royaume de Dieu- avec aussi toutes les dimensions sociales, je renvoie au Sermon sur la montagne - et les vivre avec eux. Nous sommes là une église en devenir, non pas une église nostalgique du réveil des premiers chrétiens et de l'époque des débuts - mais une église en devenir alignée sur le Royaume de Dieu.


La théologie et le poids de la tradition méthodiste déterminent la conscience des pasteurs. Cela ne contrecarre-t-il pas l'ouverture au Royaume de Dieu - à ce que Dieu veut offrir actuellement ? 


Les pasteurs ont le devoir de transmettre les valeurs et traditions méthodistes dans une grande ouverture à l'action de l'Esprit Saint. A la base des communautés, je vois plutôt le contraire : On s'expose à chaque courant qui passe et on a rien qui permette une saine théologie. On surfe sur les vagues à la mode.


Etre et devenir l'Eglise méthodiste : quels poteaux indicateurs posez-vous dans ce but ? 


Premièrement, nous avons à apprendre tout à nouveau aux gens à entrer dans une relation personnelle avec le Christ et à y rester attachés. Ils doivent recevoir grâce à l'enseignement une ligne de conduite qui conforte leur vie. Nous devons tout à nouveau réintroduire cet enseignement dans les différentes situations de la vie. Nous nous sommes beaucoup trop concentrés sur des événements (Events dans l'original), sur des expériences immédiates, instantanées. La consécration personnelle au Christ et l'adoption réfléchie d'un enseignement doivent reprendre de nouveau une plus grande importance. Le méthodiste que je suis défend l'enseignement du salut wesleyen* qui développe à partir d'une consécration personnelle à la fois la sanctification personnelle et la sanctification sociale. Si la première est la seule à survenir, le christianisme sera vite égocentrique - et tournera autour de la question : Qu'est-ce que cela m'apporte ?


La sanctification, c'est donc plus que le simple fait de vivre toujours à nouveau Dieu en profondeur ? Qu'est-ce qui nous manque aujourd'hui ? 


La sanctification ne doit pas déboucher sur l'amour de soi égocentrique. Elle doit m'amener à aimer l'autre, le prochain. Sans cette dimension sociale de l'amour, nous allons dans une impasse, j'en suis convaincu. Si les chrétiens reprennent pour un peu à leur compte le goût de nos contemporains pour l'évènement (Event), ce ne saurait être que le premier pas pour aller chercher les gens. L'essentiel est de dépasser le stade de l'évènement et de l'expérience. L'essentiel, c'est d'être intégré et accompagné dans une communauté si bien que je sois là pour les autres et pour le monde.


Grandir en Méthodiste dans la sanctification - comment cela se passe-t-il ? Par l'étude de la Bible ? La participation obligatoire aux réunions de prière, des partenariats ?


Aujourd'hui, nous avons trop peu de telles structures. Certes, on ne doit pas en faire une loi ("Si tu passes chaque jour une heure ...."), mais nous avons réellement besoin de balises pour la vie spirituelle. Wesley avait des classes et des groupes pour mener ses gens à la croissance spirituelle. Aujourd'hui, les cercles de maison sont très vivants dans nos communautés; ça et là, il existe des cercles où l'on étudie la Bible et approfondit la foi.


Dans notre société, ça se perd, l'idée qu'il n'y ait rien de plus grand sinon de vivre respectueusement devant ce grand Dieu saint et de devenir toujours plus semblable au Christ. La sanctification ne semble pas adaptée à notre époque. 


C'est lié à la privatisation de la religion. Ce qui est saint, je le vis, je le sens, peut-être, encore pour moi-même, mais je ne le vois plus pour les autres, avec les autres. Le scandale fait autour des caricatures de Mohammed s'explique par le fait que nos hommes politiques et journalistes n'ont pas le sens du sacré.

La sanctification vise plus qu'un changement dans ma vie; elle inclut ma relation avec l'autre. Elle n'est pas d'ailleurs, d'un point de vue méthodiste, 'rigide'; Wesley parlait de l'amour comme d'un moteur pour la sanctification. L'apôtre Paul motivait les chrétiens dans sa lettre aux chrétiens de Galates en faveur de la "foi active dans l'amour". Nous devons épeler et exercer cette foi tout à nouveau.


Livenet.ch : l'Eglise Méthodiste est très ouverte et souvent très engagée sur le plan oecuménique. En interne, certains remettent en cause la collaboration de l'EEM avec la Communion des Eglises Protestantes en Europe (CEPE) et son affiliation à la Fédération des Eglises Protestantes en Suisse (FEPS).


Heinrich Bolleter : la CEPE est d'un côté très intéressante pour nous, parce qu'elle nous aide à relier entre elles les minorités protestantes et à les affermir ainsi. En Serbie, la CEPE nous a aidés à jeter un pont entre nous et les luthériens et réformés (qui nous ressentaient sur place comme des concurrents) et de trouver un discours commun vis-à-vis de l'Etat. En Autriche aussi, nous collaborons étroitement avec ces églises que j'ai mentionnées. Mais en tant que communauté avant tout des églises "protestantes historiques", la CEPE relève pour l'instant le seuil de ses exigences vis-à-vis des Eglises libres. Il est important ainsi pour nous que la CEPE ouvre des discussions intensives avec les Baptistes.

En Suisse, la FEPS elle-même se donne pour objectif de redéfinir tout à nouveau son identité. Nous avons réclamé qu'elle ne soit pas une fédération réformée, mais ce qu'elle est (jusqu'à maintenant) une fédération d'églises protestantes. Donc, la question de l'identité réformée de la Suisse a pris une telle importance dans la FEPS que nous devions dire une fois : Si vous voulez être une fédération d'églises réformées - ou si vous voulez évoluer dans le sens d'une "Eglise Réformée de Suisse", nous pouvons nous retirer de la FEPS. Mais alors, nous aurions besoin en Suisse d'une autre plate-forme pour rencontrer les Réformés comme les Mennonites, l'Armée du Salut et les autres églises protestantes.


D'autre part, l'EEM appartient aussi à la Fédération Evangélique de Suisse, VFG. Pourquoi cela n'a aucun sens pour vous de vouloir positionner la VFG comme la "troisième force" dans le paysage ecclésial suisse ?


De mon point de vue, la VFG ne changera jamais ses positions sur l'unité religieuse au sens oecuménique du terme - à cet égard, ses unions membres sont trop différentes. Dans certains domaines, elles ont les mêmes intérêts et peuvent s'entraider énormément mutuellement. Mais chacun reste sur ses positions. La VFG est une communauté d'intérêts.



On dit que l'EEM serait devenue au cours des dernières décennies une grande Eglise dès lors qu'elle a adopté des documents oecuméniques, ceux qui ont trait à la compréhension du baptême et de l'ordination.


Nos sacrements (le baptême et la Cène) étaient liés depuis toujours à l'ordination : Seul procède à un baptême celui qui a un ministère spirituel. La pratique très libre du baptême est un problème véritable pour nous. Beaucoup de collègues baptisent quelqu'un pour la seconde fois rien que pour avoir la paix dans sa communauté. Nous ne trouvons pas cela correct, puisque la Bible parle d'"un seul baptême" (Eph 4,5) et nous reconnaissons le baptême des autres grandes églises; nous avons signé en 1973 en Suisse avec trois Eglises nationales une reconnaissance mutuelle du baptême.

Certains jeunes collègues regardent ce pas comme insignifiant et renvoient à la nécessité spirituelle d'une expérience de baptême. Je leur rappelle que nous devrions nous dédire logiquement de l'accord mentionné précédemment. La direction de l'EEM aimerait travailler à la mise en place de la confirmation du baptême qui permettrait à des personnes baptisées enfant de s'approprier le cadeau qui leur est fait sans remettre en cause le baptême initial.

Nous devons admettre généralement que la direction d'église a moins d'influence sur ce qui se passe localement qu'avant. Si ça ne va plus, cependant, dans une communauté, on fait appel à l'évêque et à son cabinet...


Dans l'EEM est-on en train de passer du baptême des enfants - au baptême des croyants ? 


Les baptêmes des croyants constituent, peut-être, moins de la moitié des baptêmes pratiqués dans l'EEM Suisse / France, mais ils sont en augmentation. Traditionnellement, déjà 200 ans auparavant, quand aux USA on se distinguait des Baptistes, le baptême des bébés se trouvait clairement au premier plan - bien que nos règlements de l'Eglise prévoient l'un et l'autre.


Que dites-vous si des jeunes veulent quitter la communauté EEM, parce qu'ils partent du constat que rien ne se passe chez elle ?


Nous voyons l'un et l'autre : des jeunes vont dans des communautés comme ICF - et d'autres jeunes qui se battent pour faire bouger leurs communautés locales. Cela donne des conflits de génération, de la turbulence qui a aussi beaucoup de côtés positifs. Si des jeunes sont partis, on a le devoir de motiver ceux qui sont restés pour qu'ils restent ouverts. Car après des années, c'est notre expérience, certains reviennent de nouveau dans leur communauté d'origine.

Les communautés qui ne s'adressent qu'à une catégorie d'âge, ne sont pas pour moi une communauté dans le vrai sens du terme. La communauté chrétienne embrasse tous les âges - j'ai parlé dans mon dernier message épiscopal "ensemble - l'église". Nous devons revenir à ce modèle. Dans le Christ, nous pouvons être et vivre ensemble par-delà toutes les barrières générationnelles.



Autrefois, votre église est née d'un puissant réveil; elle vit de la foi de pouvoir recevoir la richesse offerte par Dieu dans de bonnes structures. Que souhaitez-vous pour votre église comme communauté de réveil ?


A partir des expériences que j'ai faites en Europe de l'Est, je dis ceci: Nous avons besoin d'être ouverts aux gens du dehors. Avec plus de courage, nous devons donner des responsabilités aux personnes récemment converties et les faire participer, parler et organiser. De cette façon, on peut gagner en ouverture. De bonnes structures et l'action de l'Esprit vont de pair et ne sont pas en contradiction.


Heinrich Bolleter (né en 1941) a été en fonction depuis 1989 comme évêque de l'Eglise Evangélique Méthodiste en Europe du Centre et du Sud. Les communautés méthodistes sonrt représentées en Suisse, France et Autriche, Hongrie, Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Croatie, quatre pays Balkans et l'Afrique du Nord. Le 2 mai dernier, il a transmis le relais à son successeur Patrick Streiff à Zurich.


* John Wesley (1703-91) fondait et formait en Angleterre le mouvement wesleyen


La page Web : www.umc-europe.org 


04.05.2006


Auteur: Peter Schmid

Source: Livenet.ch