Gérald Machabert (*)
En tous points du globe, aujourd'hui, la présence de plusieurs religions en une même zone géographique est devenue la norme. Cela ne va pas sans créer de tensions, liées aussi aux enjeux géopolitiques de la mondialisation et aux conflits armés les plus récents. Dans cette situation de confrontation entre traditions religieuses, les chrétiens réunis pour la Conférence Mondiale sur la Mission et l'Evangélisation (CME) du 9 au 16 mai à Athènes s'interrogent sur leurs relations avec les autres religions et sur les évolutions des conceptions au centre de leur mission. Les enjeux du développement du pentecôtisme et de l'évangélisme dans de larges parties du monde interrogent d'ailleurs tout autant les Eglises protestantes historiques. Au point d'occulter l'importance du dialogue interreligieux ?
Lors de cette journée du 12 mai centrée sur les questions de la mission et de la violence, de nombreuses prises de parole étaient empruntes de mots de repentance et de révisions critiques de l'histoire de la mission, souvent liée aux pouvoir politiques. Ainsi, un représentant de la délégation catholique à la CME déclare concernant la mission de son agence basée aux Etats-Unis et oeuvrant au Proche-Orient : "aujourd'hui, nous ne pouvons simplement plus nous envisager comme devant dire aux gens ce qu'il faut faire et croire. Nous avons à être au milieu d'eux et à les écouter". Puis, Frère Austin David Caroll Fr. Austin David Caroll, vice-président de CNEWA (Catholic Near East Welfare Association) basée Etats-Unis est l'un des 26 membres de la délégation de l'Eglise Catholique romaine à la CME. poursuit : "Nous essayons de faire profil bas".
Le difficile dialogue islamo-chrétien
Dans le contexte mondial actuel et les tensions liées aux interventions armées à la suite du 11 septembre, les relations entre le Christianisme et l'Islam reviennent dans nombre de discussions. Elles sont au coeur du programme de la CEVAA, communauté d'Eglises en mission créée en 1971 entre des Eglises protestantes francophones d'Europe, d'Afrique, d'Amérique du Sud et de l'Océan Indien, intitulé "A la rencontre de nos voisins". Ce programme d'échange et d'animation théologique veut offrir l'occasion de la découverte des autres : au sein de la CEVAA elle-même ou avec d'autres religions ou confessions dans les différents contextes des Eglises membres. "Dans certaines régions du globe" souligne Alain Rey, secrétaire général de la CEVAA, "le dialogue islamo-chrétien ne va pas de soi. Parfois les Eglises ignorent même la présence et l'existence de communautés musulmanes auprès de chez elles". Ainsi au Lesotho, dans le cadre du programme "A la découverte de nos voisins", les responsables de l'Eglise Evangélique ont découvert la présence d'une mosquée, au coeur de la capitale, dont ils ne connaissaient même pas l'existence.
Au Bénin, si les relations entre les musulmans, qui représentent la deuxième religion du pays, et l'Eglise protestante méthodiste du Bénin sont plutôt paisibles, le dialogue n'est pourtant pas encore à l'ordre du jour. "Les relations interreligieuses sont souvent vécues au sein même des familles", nous assure le pasteur Jacques Noumon-Kpessou. "Certains sont chrétiens, d'autres musulmans ou animistes. Pourtant, entre responsables religieux, le dialogue reste à construire, à commencer par apprendre à parler le même 'langage' ".
Une évolution qui touche les sensibilités chrétiennes elles-mêmes
Le dialogue interreligieux commence au coeur-même des Eglises chrétiennes dans toutes leurs composantes. Ainsi, la forte croissance des Eglises pentecôtistes et évangéliques principalement dans les pays en voie de développement modifie en profondeur le profil du christianisme à l'échelle mondiale. Ces Eglises et ces mouvements incorporent souvent dans leur théologie et leurs pratiques des éléments des cultures traditionnelles qu'ils rencontrent. Il en résulte un christianisme ressemblant de moins en moins au christianisme qui s'est développé pendant 2000 ans en Occident. "Une rencontre comme celle-ci à Athènes, avec des composantes aussi diverses que les orthodoxes et les pentecôtistes, les catholiques et les protestants, est déjà un premier pas dans le dialogue interreligieux, et pas seulement le dialogue oecuménique tel qu'il était compris il y a quelques années", note Alain Rey.
Le pasteur Jean-François Faba, du DEFAP - Service protestant de mission, surenchérit en disant que "le dialogue doit déjà être à l'oeuvre de manière régulière entre les Eglises partenaires du Nord et du Sud, aidant chacun à préciser ses concepts théologiques et nous donnant simplement la possibilité de pouvoir continuer à parler ensemble. L'adaptation de la théologie chrétienne aux contextes culturels du Sud conduit à une inévitable évolution dans nos relations". Ce travail de réflexion sur l'influence du contexte culturel sur la théologie devrait d'ailleurs, selon Jean-François Faba, aussi être conduit en Occident où trop souvent les Eglises sont persuadées d'avoir donné naissance à un christianisme "universel".
Le dialogue pour la paix
Comment cependant concevoir la mission chrétienne dans ce contexte de globalisation, aux côtés d'autres religions ? Pour Alain Rey, "il y a peu de lieux de réflexion théologique entre religions. Le dialogue interreligieux, en particulier islamo-chrétien, est souvent réduit à l'association de personnes de bonne volonté unies pour une paix sociale. Même à ce niveau cela ne fonctionne pas toujours. Au Togo, avec le soutien de la CEVAA, les Eglises chrétiennes se sont associées pour promouvoir la paix et chercher des solutions de sortie à la dernière crise politique. Mais l'implication des musulmans s'est limitée à un appel à la prière..."
Pour Frère Austin David Caroll, ce dialogue est souvent rendu difficile soit à cause du contexte de concurrence entre religions, soit à cause de la grande différence de situations dans lesquelles se trouvent les religions en présence. Aux Etats-Unis, où Frère Austin David Caroll est membre de la commission des évêques pour le dialogue islamo-chrétien, les musulmans ne représentent qu'une très faible minorité. Les questions auxquels ils sont confrontés appellent plutôt des réponses pratiques ou d'ordre sociologique que théologiques...
Il y a pourtant, selon certains, urgence à un dialogue où chacun doit dire clairement ses options théologiques et idéologiques. "La religion, c'est une bombe !", clame Jean-François Faba, "si les responsables des différentes confessions n'apaisent pas le débat face aux discours guerriers et fondamentalistes de tous bords, on va au-devant de graves problèmes !"
(*) Gérald Machabert vient de Montbéliard - France. Il est actuellement pasteur de l'Eglise Evangélique Luthérienne de France pour lequel il est également rédacteur en chef de son mensuel L'AMI CHRETIEN.
13/05/2005
Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)